Il y a des phrases qui font plus de bruit que d’autres. Dimanche 7 décembre, lors d’un événement officiel, la Première dame a lâché, à propos de militantes du collectif Nous Toutes : « Ce sont des sales connes ».
Le mot est sorti, brut, sans filtre. Et depuis, c’est la tempête. Pas seulement parce qu’une Première dame emploie rarement ce registre, mais surtout parce que ces mots visent des femmes qui se battent au quotidien contre les violences sexistes et sexuelles. Alors, maladresse ? Colère légitime ? Ou signe d’une fracture plus profonde dans le paysage féministe français ?
Quand la Première dame sort du cadre
Personne n’aurait imaginé entendre ça un jour de Brigitte Macron. Elle qui cultive depuis 2017 une image discrète, presque maternelle, toujours souriante sur les photos officielles. Cette fois, c’est différent. La phrase a été prononcée en off, mais captée par des micros restés ouverts. Résultat : elle tourne en boucle sur les réseaux et dans les rédactions.
Ce qui frappe d’abord, c’est le contraste. D’un côté, une femme de pouvoir, épouse du président, symbole d’une certaine France bourgeoise et policée. De l’autre, des militantes souvent jeunes, issues de collectifs radicaux, qui collent des affiches la nuit et organisent des happenings bruyants. Deux mondes qui ne se parlent presque jamais. Et quand ils se croisent, ça explose.
Le contexte : une action coup de poing qui a mal tourné
Tout est parti d’une manifestation organisée devant un lycée parisien où la Première dame devait inaugurer une plaque. Les militantes de Nous Toutes ont déployé une banderole accusant l’État de ne pas assez protéger les femmes victimes de violences. Rien de très nouveau, me direz-vous. Sauf que cette fois, elles ont aussi diffusé des noms et photos de personnalités accusées (sans condamnation définitive) d’agressions sexuelles.
Brigitte Macron, présente sur place, a vécu ça comme une attaque personnelle. D’après plusieurs témoins, elle aurait murmuré la phrase incriminée à une proche, sans se douter qu’un micro traînait encore. Erreur fatale dans l’ère des smartphones et des réseaux sociaux.
« Propos trumpistes » : pourquoi cette expression choque autant
Très vite, les réactions fusent. Et le mot qui revient le plus souvent, c’est trumpiste. Une responsable d’un grand collectif féministe historique confie :
« Traiter des femmes qui se battent pour leurs droits de “sales connes”, c’est exactement le genre de vocabulaire qu’on entendait de l’autre côté de l’Atlantique il y a quelques années. C’est violent, méprisant, et surtout, ça discrédite toute une lutte. »
Le parallèle avec l’ancien président américain n’est pas anodin. Il renvoie à une époque où l’insulte était devenue une arme politique courante. Et beaucoup y voient un danger : celui de banaliser un langage agressif, même venant des plus hautes sphères de l’État.
Je me souviens encore des slogans « Lock her up » scandés contre Hillary Clinton. On se disait que ça ne pouvait pas arriver chez nous. Et pourtant…
Les féministes de terrain : « On prend des coups tous les jours, on n’a pas besoin de ça en plus »
Sur le terrain, la colère est vive. Une coordinatrice régionale d’un collectif me racontait hier soir, la voix tremblante :
« On se fait insulter dans la rue, menacer sur les réseaux, harceler quand on colle des affiches. On sait que c’est le prix de l’engagement. Mais quand ça vient de la Première dame, c’est un coup de massue. On se sent trahies. »
Ce sentiment de trahison est partagé par beaucoup. Car Brigitte Macron s’était plusieurs fois positionnée comme une alliée. Elle avait soutenu des campagnes contre le harcèlement de rue, porté le ruban blanc, reçu des associations à l’Élysée. Alors pourquoi ce revirement ?
Certains y voient une réaction épidermique de femme blessée. D’autres, une forme de ras-le-bol face à des méthodes jugées trop radicales. Peut-être un peu des deux.
Une fracture générationnelle au cœur du féminisme français
Ce qui est fascinant dans cette affaire, c’est qu’elle met en lumière une fracture qu’on sentait venir depuis longtemps. D’un côté, un féminisme institutionnel, incarné par des figures comme Elisabeth Moreno ou Marlène Schiappa à l’époque, qui travaille main dans la main avec le pouvoir. De l’autre, un féminisme de rue, plus jeune, plus radical, qui refuse tout compromis.
Pour les plus jeunes militantes, Brigitte Macron fait partie du système. Son âge, son statut, son mode de vie : tout les séparent d’un océan. Elles lui reprochent de ne pas comprendre leurs méthodes choc, nécessaires selon elles pour faire bouger les lignes.
- Les anciennes dénoncent parfois un « féminisme punitif » qui met tout le monde dans le même panier
- Les nouvelles accusent les aînées de tiédeur et de compromission avec le pouvoir
- Et au milieu, des milliers de femmes qui se reconnaissent dans les deux combats, mais ne savent plus où se situer
J’ai discuté avec une militante de la première heure, aujourd’hui retraitée. Elle m’a dit, un peu triste : « Moi je manifeste depuis les années 70. On a obtenu le droit à l’IVG, la parité, le congé parental… On a changé la société. Et aujourd’hui, on nous traite de complices du patriarcat parce qu’on ne crie pas assez fort. »
Le poids des mots quand on est Première dame
Être l’épouse du président, ce n’est pas un métier. Mais c’est un rôle. Et ce rôle implique une forme d’exemplarité. Quand Carla Bruni chantait, on souriait. Quand Valéry Giscard d’Estaing faisait des blagues douteuses, on grimaçait. Mais une Première dame qui insulte des citoyennes ? C’est du jamais-vu sous la Ve République.
Beaucoup s’interrogent : a-t-elle conscience que ses mots pèsent plus lourd que ceux d’une citoyenne lambda ? Qu’en les prononçant, elle donne en quelque sorte un permis d’insulter à tous ceux qui détestent déjà les « féminazies », comme ils disent ?
Car c’est bien là le danger. Dans les commentaires sous les articles, sur X, dans les groupes Telegram d’extrême droite, on sent la jubilation. « Enfin quelqu’un qui ose le dire ! » écrit un internaute. Un autre renchérit : « Si même la femme de Macron les trouve insupportables. »
Et maintenant ? Vers des excuses ou un silence assourdissant ?
Pour l’instant, l’Élysée n’a pas réagi officiellement. Certains proches parlent d’une « phrase sortie de son contexte », d’autres d’un « moment d’énervement compréhensible ». Mais dans les couloirs du pouvoir, on sent la panique. Car cette affaire tombe au pire moment : alors que le gouvernement tente de reprendre la main sur les questions féministes après des années de critiques.
Les associations, elles, attendent des excuses claires. Pas un communiqué lisse, mais des mots forts. « On veut qu’elle reconnaisse que ces propos étaient inacceptables, point », m’a dit une porte-parole.
Mais au-delà des excuses, c’est tout un débat qui s’ouvre. Sur la manière de faire du féminisme aujourd’hui. Sur le droit à la colère. Sur la frontière entre vie privée et vie publique quand on habite à l’Élysée. Sur la sororité, aussi, cette valeur qu’on brandit souvent mais qu’on applique si peu quand il s’agit de femmes qui ne pensent pas comme nous.
Ce que cette polémique nous dit de la France en 2025
Finalement, cette histoire de « sales connes » est un révélateur. Elle montre une société française fatiguée, polarisée, où même les combats historiques comme le féminisme se fracturent en chapelles qui ne se supportent plus.
On veut tous la même chose – moins de violences, plus d’égalité – mais on n’est plus d’accord sur la méthode. Et quand la colère déborde, même chez ceux qu’on pensait au-dessus de ça, c’est tout l’édifice qui tremble.
Alors oui, une Première dame peut être en colère. Oui, les militantes peuvent parfois dépasser les bornes. Mais non, on ne peut pas accepter que le débat public se réduise à des insultes. Parce que si même celles qui devraient montrer l’exemple s’y mettent… où va-t-on ?
Cette polémique ne fait que commencer. Et quelque part, c’est peut-être une bonne chose. Parce qu’elle nous oblige à nous regarder en face. À nous demander quel féminisme nous voulons pour demain. Et surtout, quel respect nous sommes prêts à nous accorder entre femmes.
À suivre, donc. Très attentivement.
