Imaginez-vous vivre depuis quinze ans dans un endroit que tout le monde considère comme « à l’abandon », payer l’eau, l’électricité, retaper les toitures vous-même, accueillir ceux que la société laisse sur le bord de la route… et puis un jour, on vous dit que vous pourriez enfin devenir propriétaires. C’est exactement ce qui est en train de se jouer aux Roches Blanches, ce coin de paradis un peu sauvage qui surplombe la baie de Douarnenez. Franchement, quand on suit ce dossier de loin, on se demande parfois si on vit encore au XXIe siècle ou si on est revenus à l’époque où un bout de terre se gagne à la sueur de ceux qui l’occupent.
Un lieu qui ne laisse personne indifférent
Les Roches Blanches, ce n’est pas qu’un squat. C’est devenu, au fil des années, un véritable village dans le village. Une cinquantaine de personnes y vivent aujourd’hui, entre familles, artistes, précaires de passage et même un éleveur de chèvres qui broute tranquillement à côté d’une zone Natura 2000. Le décor est sublime : la mer en bas, les pins, les chemins de randonnée… et pourtant, ce terrain appartient toujours, sur le papier, à une association en liquidation basée à des centaines de kilomètres.
Mais tout peut basculer très vite. Une audience décisive a lieu ce mercredi à Auxerre pour une vente amiable. Si elle aboutit, les occupants pourraient racheter le site à un prix raisonnable et tourner la page de l’illégalité. Sinon, direction les enchères le 17 décembre à Quimper, avec le conseil départemental du Finistère qui a déjà sorti le chéquier pour tout raser et « rendre le lieu à la nature ».
Quinze ans de travaux et d’entraide
Quand on parle de squat, beaucoup imaginent des bâtiments dégradés, des tags partout et une ambiance anarchique. Ici, c’est tout l’inverse. Les habitants ont remis en état les chalets, installé des panneaux solaires, créé des potagers, réparé les fuites. Ils payent même leurs factures d’eau et d’électricité comme n’importe quel foyer français. Bref, ils ont investi du temps, de l’argent et surtout beaucoup d’énergie.
« On accueille des gens en attente de logement, on propose des formations gratuites, on aide ceux qui galèrent. Des milliers de personnes sont passées ici, le temps d’un jour ou d’une vie. »
– Deux membres du collectif (leurs prénoms ont été modifiés)
Et ils le disent sans prétention : leur présence coûte moins cher à la collectivité que si tous ces gens-là étaient à la rue ou dans des hébergements d’urgence. Un argument qui pèse lourd quand on parle d’argent public.
Le département veut tout raser
De l’autre côté, le conseil départemental a une vision radicalement différente. Pour lui, ces bâtiments des années 70 n’ont plus rien à faire là, surtout à côté d’une zone naturelle protégée. L’idée : tout démolir, dépolluer, replanter, et redonner le site au Conservatoire du littoral ou à la nature tout court. Budget prévu : 500 000 euros rien que pour l’achat, sans compter les travaux de démolition et de dépollution qui risquent de coûter une fortune.
Problème : le Service des Domaines, qui expertise officiellement les biens, a estimé la valeur du terrain entre 269 000 et 309 000 euros maximum. Payer presque le double avec de l’argent public, ça commence à faire jaser. Surtout quand on sait que le Conservatoire du littoral n’a jamais manifesté le moindre intérêt en quinze ans.
Un avocat qui connaît la musique
Les occupants ne sont pas seuls. Ils ont fait appel à un ténor du barreau breton, un avocat qui a déjà fait plier l’État sur le dossier des algues vertes. Son argumentaire est simple mais costaud : vices de forme, vices de fond, précipitation suspecte, surenchère avec l’argent public… Il y a de quoi faire annuler la préemption départementale si la vente amiable échoue.
« Une collectivité qui propose presque deux fois la valeur estimée par les Domaines, ça pose question. Et détruire un site habité pour le “renaturer” alors que les occupants entretiennent déjà les lieux, c’est un peu gros. »
Il rappelle aussi que démolir en bord de mer, près d’une zone Natura 2000, ça ne se fait pas en claquant des doigts. Études d’impact, autorisations, précautions environnementales… le coût et les délais risquent d’exploser.
Un soutien qui dépasse les frontières du Finistère
Ce qui frappe dans cette histoire, c’est le soutien populaire. En quelques semaines, le collectif a récolté près de 200 000 euros de dons. Des humoristes, des personnalités engagées, des anonymes : tout le monde y va de son coup de pouce. Preuve que le projet touche une corde sensible : celle du logement digne, de l’entraide, du droit à expérimenter d’autres façons de vivre.
- Des ateliers gratuits ouverts à tous
- Un élevage caprin qui entretient les parcelles
- Un lieu d’accueil inconditionnel pour les plus précaires
- Des milliers de passages en quinze ans
Difficile de balayer tout ça d’un revers de main en disant « c’est illégal, point ».
Et maintenant ?
Ce mercredi, une délégation d’habitants fait le déplacement jusqu’à Auxerre. L’ambiance est tendue mais pleine d’espoir. Si la vente amiable passe, les Roches Blanches deviendront enfin un projet légal, un exemple rare de régularisation d’un squat par ses occupants. Si elle échoue, la bataille judiciaire risque de durer des années.
Quel que soit le résultat, cette histoire pose des questions qu’on ne peut plus ignorer : comment gérer les friches dans un pays en crise du logement ? Est-ce qu’on rase systématiquement ou est-ce qu’on peut parfois reconnaître le travail de ceux qui redonnent vie à un lieu ? Et surtout, est-ce que « rendre à la nature » justifie toujours de mettre des familles à la rue ?
Personnellement, j’ai du mal à comprendre qu’on préfère dépenser des centaines de milliers d’euros pour détruire plutôt que de trouver un compromis. Après tout, les occupants ne demandent qu’à payer leur part et à continuer d’entretenir ce coin de côte. Ça s’appelle du pragmatisme, non ?
À l’heure où je termine cet article, l’audience n’a pas encore eu lieu. Mais une chose est sûre : les Roches Blanches, c’est bien plus qu’un bout de terrain. C’est un bout d’espoir pour tous ceux qui croient qu’une autre société est possible. Et ça, ça ne se rase pas d’un coup de pelleteuse.
(Article mis à jour après l’audience si des informations nouvelles tombent – l’histoire n’est pas finie.)
