Quand j’ai accompagné mon premier client Julien dans la création de sa première SASU, il m’a posé la question fatidique après seulement dix minutes de rendez-vous : « Dis-moi juste : IR ou IS, c’est quoi le mieux ? » Je lui ai répondu ce que je répète à longueur de journée : ça dépend. Et croyez-moi, cette réponse agace toujours au début… jusqu’à ce qu’on fasse les calculs.
Parce que choisir entre l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés, ce n’est pas seulement cocher une case au greffe. C’est décider qui paie l’impôt, quand, et surtout combien. Et parfois, la différence se chiffre en dizaines de milliers d’euros par an. Alors prenez un café, on va décortiquer tout ça tranquillement.
IR ou IS : les deux philosophies fiscales qui s’opposent
Pour faire simple (mais pas trop simpliste), il existe deux grandes façons d’imposer les bénéfices d’une entreprise en France.
Avec l’impôt sur le revenu (IR), l’entreprise est « transparente ». Elle ne paie rien elle-même. Ce sont les associés (ou l’entrepreneur individuel) qui déclarent leur part de bénéfice directement dans leur déclaration personnelle. Tout le bénéfice, même celui qu’on laisse dans la trésorerie pour investir, passe immédiatement dans la case impôt.
Avec l’impôt sur les sociétés (IS), l’entreprise est « opaque ». Elle paie elle-même ses impôts au taux de 25 % (ou 15 % jusqu’à 42 500 € de bénéfice pour les PME). Les associés ne sont imposés que sur ce qu’ils se versent réellement (salaire ou dividendes).
Vous voyez déjà où je veux en venir : l’un taxe tout de suite, l’autre laisse respirer l’entreprise. Mais comme toujours en fiscalité, le diable se cache dans les détails.
Le grand match en un tableau (version 2025)
| Critère | IR | IS |
| Taux d’imposition | Barème progressif 0 à 45 % + 17,2 % prélèvements sociaux | 15 % jusqu’à 42 500 € puis 25 % |
| Qui paie l’impôt ? | Les associés personnellement | L’entreprise |
| Bénéfices réinvestis imposés ? | Oui, immédiatement | Non, tant qu’ils restent dans la société |
| Rémunération du dirigeant déductible ? | Non | Oui |
| Report des déficits | 6 ans sur le revenu global du foyer | Illimité sur bénéfices futurs |
| Dividendes | Pas de double imposition | IS + PFU 30 % ou barème IR |
Cas concret n°1 – L’entreprise qui démarre et perd de l’argent
Imaginez Léa, graphiste freelance qui lance son activité en EURL. Les deux premières années, elle est déficitaire : -25 000 € la première année, -10 000 € la deuxième. Son mari est salarié avec 45 000 € de revenus.
En IR, ces déficits viennent réduire le revenu imposable du couple. Résultat ? Ils passent dans la tranche à 30 % au lieu de 41 % et économisent environ 8 000 € d’impôt sur ces deux ans. En IS ? Ces pertes auraient dormi dans la société sans effet immédiat sur leur impôt personnel. L’IR gagne haut la main ici.
Cas concret n°2 – La boîte qui cartonne dès le début
Pierre et Sophie créent une SAS de conseil en informatique. Dès la première année : 180 000 € de bénéfice. Ils se versent 60 000 € de salaire chacun et laissent 60 000 € en trésorerie pour investir.
En IR ? Les 180 000 € tombent dans leur déclaration personnelle. Avec leurs autres revenus, ils sont dans la tranche à 41 %, voire 45 %. Facture fiscale personnelle : environ 78 000 €.
En IS ? La société paie 15 % sur 42 500 € puis 25 % sur le reste, soit environ 39 000 € d’IS. Pierre et Sophie se versent leurs salaires (déductibles) et ne paient que 30 % de PFU sur d’éventuels dividendes futurs. Économie : plus de 30 000 € la première année. L’IS écrase l’IR dans ce scénario.
Le point de bascule magique : quand l’IS devient plus intéressant
D’après mon expérience (et les centaines de simulations que j’ai réalisées), le seuil se situe généralement autour de 70 000 à 80 000 € de bénéfice annuel quand le foyer est déjà dans la tranche à 30 %. En dessous, l’IR est souvent gagnant. Au-dessus, l’IS prend l’avantage, et plus le bénéfice grimpe, plus l’écart se creuse.
Mais attention : ce seuil varie énormément selon :
- Le niveau de rémunération que vous voulez vous verser
- Les revenus du conjoint
- Le nombre d’enfants (parts fiscales)
- Votre projet de réinvestissement ou de distribution
- Votre âge (si vous pensez à la transmission)
Les formes juridiques et leurs règles imposées
La loi n’offre pas toujours le choix libre :
- Entreprise individuelle, EIRL, micro-entreprise → IR obligatoire (sauf option IS irrévocable pour EI/EIRL)
- EURL avec associé personne physique → IR par défaut, option IS possible et irrévocable
- SARL, SAS, SASU, SA → IS par défaut, option IR possible seulement les 5 premières années (et sous conditions)
- SCI → IR par défaut, option IS possible à tout moment
- SARL de famille → peut choisir l’IR à vie si tous les associés sont de la même famille
Petit piège classique : beaucoup créent une SASU en pensant pouvoir rester à l’IR indéfiniment. Faux ! Au bout de 5 ans maximum, vous basculez obligatoirement à l’IS si vous n’avez pas fait attention.
Les erreurs que je vois tous les jours dans mon cabinet
1. « Je prends l’IR parce que j’ai entendu que c’était plus simple » → Erreur si vous faites plus de 60 000 € de bénéfice.
2. « Je prends l’IS parce que tout le monde dit que c’est mieux pour optimiser » → Erreur si vous démarrez et que votre conjoint a peu de revenus.
3. « Je reste en micro-entrepreneur tant que je peux » → Vous vous privez de la déduction des vrais frais et vous payez souvent plus d’impôts à partir de 50-60 000 € de CA.
4. « Je crée une SASU à l’IS et je me verse tout en dividendes pour payer moins de charges » → Attention à l’abus de droit et aux cotisations sociales sur dividendes excessifs si vous êtes TNS majoritaire.
Comment changer de régime (et pourquoi c’est souvent une mauvaise idée)
Passer de l’IR à l’IS ? Très simple : une lettre recommandée avant la fin du 3e mois de l’exercice. Mais c’est irrévocable. J’ai vu des entrepreneurs le regretter amèrement quand leur activité s’est essoufflée et qu’ils auraient voulu imputer leurs déficits sur leur revenu personnel.
Passer de l’IS à l’IR ? Très compliqué. Seulement possible dans les 5 premières années et avec l’accord de tous les associés. Après ? C’est fini. Définitif.
« J’ai opté pour l’IS en 2018 parce que je faisais 200 000 € de bénéfice. Aujourd’hui l’activité a baissé, je suis à l’équilibre, et je paie quand même 25 % sur des bénéfices faibles alors que j’aurais pu tout effacer avec l’IR. Leçon apprise trop tard. »
– Antoine, gérant de SAS
La stratégie que je donne à tous mes clients
Faites trois simulations sur cinq ans :
- Votre scénario pessimiste (déficit ou faible bénéfice)
- Votre scénario réaliste
- Votre scénario optimiste (croissance forte)
Regardez le cumul d’impôts + cotisations sociales sur ces cinq ans dans les deux régimes. Le résultat est souvent… surprenant.
Et surtout, posez-vous ces trois questions :
- Est-ce que je veux sortir l’argent rapidement ou le laisser dans la société ?
- Mon foyer fiscal est-il déjà dans les tranches hautes ?
- Est-ce que je prévois d’ouvrir le capital à des investisseurs ? (l’IS est quasi obligatoire dans ce cas)
Une fois que vous avez les réponses, la décision devient évidente dans 90 % des cas.
Alors IR ou IS ? Il n’y a pas de réponse universelle. Mais il y a votre réponse. Celle qui correspond à votre situation, vos objectifs et votre appétence au risque fiscal.
Et si vous hésitez encore, faites comme Julien : prenez rendez-vous avec un expert-comptable qui fait des simulations chiffrées. Ça coûte quelques centaines d’euros. Ça peut vous en faire économiser des dizaines de milliers.
Parce qu’en matière de fiscalité, la bonne décision, c’est celle qu’on prend en connaissance de cause. Pas celle qu’on subit cinq ans plus tard en ouvrant sa liasse fiscale.
