Vous est-il déjà arrivé de rouler tranquillement sur une petite route de campagne et de tomber, sans prévenir, sur une scène qui vous glace le sang ?
C’est exactement ce qui s’est passé pour Lucie et son mari, un samedi après-midi ordinaire dans l’Indre. Elle voulait simplement filmer un sanglier aperçu au bord de la chaussée pour le montrer à ses enfants plus tard. Quelques secondes après, un coup de feu claque. Le sanglier s’effondre. Et elle réalise qu’elle vient d’assister à une mise à mort en direct, à quelques mètres de voitures immobilisées.
Depuis, la vidéo tourne en boucle sur les réseaux. Certains crient au scandale, d’autres défendent le chasseur. Moi, ce qui me frappe, c’est à quel point cette histoire cristallise toutes les tensions autour de la chasse en France aujourd’hui.
Une scène qui marque les esprits
Reprenons depuis le début. Nous sommes samedi, fin d’après-midi, sur une départementale à deux voies près de Saint-Maur, au sud de Châteauroux. Le trafic est dense, les voitures roulent au pas. Sur le bas-côté, un sanglier adulte semble perdu, blessé peut-être.
Lucie, passagère, sort son téléphone. « Je trouvais ça mignon, je pensais juste faire une petite vidéo pour les gosses », raconte-t-elle encore secouée quelques jours plus tard. Et puis, en une fraction de seconde, tout bascule.
Un homme sort d’une voiture garée plus loin, épaule son arme et tire. À bout portant. Le sanglier s’écroule immédiatement. Les klaxons retentissent, certains conducteurs freinent en catastrophe. Sur la vidéo, on entend clairement Lucie lâcher un « Oh mon Dieu… » à peine audible.
« J’ai vu une exécution, en fait. Si j’avais voulu voir un animal se faire tuer, j’aurais demandé à suivre une chasse. Là, on n’a rien demandé notre avis à personne. »
Lucie, témoin et auteure de la vidéo
Depuis, elle dit recevoir des messages adorables… et d’autres beaucoup moins sympathiques. Elle insiste pourtant : elle n’est ni anti ni pro-chasse. Elle voulait juste raconter ce qu’elle a vécu.
Que s’est-il réellement passé avant le tir ?
La version des chasseurs est sensiblement différente – et elle mérite d’être écoutée.
D’après le président de la fédération départementale, le sanglier avait été blessé plus tôt dans l’après-midi au cours d’une battue parfaitement déclarée. L’animal s’était enfui malgré sa blessure et avait fini par déboucher sur la route une fois la chasse officiellement terminée.
L’un des chasseurs présents aurait même tenté de l’achever avec une dague – la méthode traditionnelle pour achever un animal blessé – mais se serait fait charger et légèrement blessé. C’est à ce moment-là que son collègue a décidé d’utiliser son arme à feu.
« Que vouliez-vous qu’ils fassent d’autre ? Laisser un sanglier blessé et dangereux au bord d’une route fréquentée en attendant les gendarmes ? Ça peut prendre une demi-heure, et entre-temps il y a un accident grave… »
Président de la fédération des chasseurs de l’Indre
L’argument n’est pas absurde. Un sanglier blessé peut devenir imprévisible et représente un vrai danger, y compris pour les usagers de la route.
Mais alors, pourquoi tant de polémique ?
Parce que, même avec les meilleures intentions du monde, plusieurs points posent problème.
- Le chasseur qui tire n’a pas de gilet orange fluo (obligatoire en action de chasse, même si ici la battue était terminée)
- Il se trouve sur la chaussée ouverte à la circulation avec une arme chargée – normalement strictement interdit
- L’angle de tir : il tire quasiment à l’horizontale, vers le bas-côté opposé. Un ricochet ou une balle qui traverse l’animal aurait pu toucher une voiture
Le président de la fédération lui-même reconnaît ces « maladresses » tout en défendant l’intention : « Il a voulu bien faire, mais il y avait sans doute mieux à faire. »
Et c’est là que l’histoire prend une tournure judiciaire. Le tireur, un homme de 76 ans, a été placé en garde à vue le dimanche, puis entendu à nouveau le lundi. Une enquête pour mise en danger de la vie d’autrui est ouverte. Les gendarmes cherchent à déterminer si les règles élémentaires de sécurité ont été respectées.
La chasse, entre nécessité et perception publique
Soyons honnêtes : ce genre d’incident alimente toutes les peurs et tous les clichés.
D’un côté, les chasseurs rappellent qu’ils assurent une mission de service public : régulation des espèces, prévention des dégâts agricoles, sécurité routière justement (les collisions avec sangliers provoquent chaque année plusieurs morts). Achever un animal blessé est même, pour eux, un devoir moral.
De l’autre, une partie grandissante de la population – surtout urbaine – découvre la réalité de la chasse avec ce type d’images brutales et s’en trouve profondément choquée. On passe en quelques années d’une acceptation tacite à une remise en question profonde.
Et franchement, je comprends les deux camps. Quand on voit la vidéo sans le contexte, c’est violent. Quand on entend le récit complet, on se dit que la situation était compliquée. Mais est-ce que cela justifie de prendre des risques avec la vie des automobilistes ? Clairement non.
Et si on parlait des solutions concrètes ?
Parce que rester dans le clash permanent ne mène à rien. Quelques pistes qui reviennent souvent :
- Formation renforcée à la sécurité pour tous les permis (angle de 30°, zones habitées, routes)
- Création de brigades départementales d’intervention rapide pour les animaux blessés sur domaine public – avec des tireurs d’élite formés et habilités
- Port obligatoire du gilet fluo même hors battue quand on porte une arme
- Sensibilisation des conducteurs : que faire face à un animal blessé sur la route ? (appeler le 17, ne pas s’approcher, etc.)
Certaines fédérations testent déjà des « équipes sanglier blessé » joignables 24 h/24. Ça existe dans plusieurs départements et ça marche plutôt bien.
Ce que cette affaire nous dit de notre rapport aux animaux… et à la mort
Au-delà des règlements, il y a une question plus profonde.
Nous vivons dans une société où la viande arrive en barquette sous cellophane. Voir un animal mourir – même pour des raisons légitimes – devient insupportable pour beaucoup. Pourtant, la mort fait partie du cycle. La vraie question, c’est : accepte-t-on encore de la voir, ou préfère-t-on la déléguer à l’abattoir hors de notre vue ?
Lucie, elle, dit qu’elle ne regardera plus jamais un sanglier au bord de la route de la même façon. Et quelque part, c’est peut-être le vrai choc de cette vidéo : elle nous oblige à regarder en face une réalité qu’on préfère souvent ignorer.
Au final, cette histoire ne oppose pas « les méchants chasseurs » aux « gentils défenseurs des animaux ». Elle révèle surtout à quel point nos mondes se côtoient sans se comprendre. Et tant qu’on refusera le dialogue, on aura d’autres vidéos comme celle-ci.
Espérons que l’enquête en cours permettra au moins de tirer des leçons concrètes. Parce que, sanglier ou pas, personne ne devrait avoir à vivre une telle scène sur le chemin du boulot ou des courses.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Auriez-vous eu le même réflexe que le chasseur ? Ou auriez-vous attendu les forces de l’ordre, quoi qu’il en coûte ?
