Vous souvenez-vous de la dernière fois où vous avez entendu un président d’université dire que tout allait bien ? Moi non plus. Depuis des années, c’est la même ritournelle : manque cruel de moyens, charges qui s’accumulent, et un État qui semble regarder ailleurs. Et puis, mardi soir, au Sénat, le ministre de l’Enseignement supérieur a lâché la nouvelle : des assises nationales sur le financement des universités dès janvier 2026. Enfin une lueur ? Ou juste un énième pansement sur une jambe de bois ?
Je vais être honnête : quand j’ai lu l’annonce, j’ai d’abord levé les yeux au ciel. On nous a déjà fait le coup des « états généraux », des « grandes consultations » et autres « grenelles ». Mais cette fois, il y a quand même quelque chose de différent dans le ton. Le ministre a reconnu noir sur blanc qu’il existe « un manque de lisibilité » dans le système actuel et que cela « impacte les établissements ». Venant de quelqu’un qui, il y a à peine six semaines, estimait que la situation n’était « pas Zola non plus », c’est déjà un progrès.
Une crise qui ne date pas d’hier
Revenons un instant en arrière. Depuis 2018 au moins, les alertes se multiplient. Rapport de la Cour des comptes, tribunes incendiaires, motions de défiance des conférences de présidents… Tout y est passé. Et pourtant, chaque année, le budget de l’enseignement supérieur augmente… sur le papier. Sauf que, dans le même temps, les dépenses imposées explosent : hausse du point d’indice, GVT (glissement vieillesse-technicité), mise en place progressive de la protection sociale complémentaire obligatoire, contribution aux retraites additionnelles, etc.
Résultat ? Beaucoup d’établissements se retrouvent avec des trésoreries dans le rouge vif et des plans d’économies qui frôlent parfois le ridicule : réduction du chauffage, fermeture de bâtiments l’hiver, gel de postes. L’université française est, comme l’a dit récemment une présidente célèbre, « atteinte jusqu’à l’os ».
« La tension budgétaire est telle qu’aujourd’hui nous n’avons pas les moyens de compenser intégralement ces différentes questions. Cela demandera un effort de gestion de la part des universités et peut-être des ajustements en termes de ressources humaines. »
Le ministre, mardi soir au Sénat
Traduction : on vous impose de nouvelles dépenses, mais débrouillez-vous. C’est un peu ou prou ce qu’on entend depuis des années. Sauf que là, le ministre admet enfin que le système manque cruellement de transparence et de prévisibilité.
Qu’est-ce qui va vraiment changer ces assises ?
Concrètement, ces assises doivent durer « plusieurs mois » et seront coprésidées par deux personnalités « incontestables » (leurs noms n’ont pas encore filtré). L’objectif affiché est triple :
- Faire un état des lieux partagé des ressources et des charges réelles des universités
- Éclaircir la mobilisation des fonds européens (qui reste souvent un casse-tête)
- Ouvrir un dialogue sur les contraintes de gestion qui pèsent sur les établissements et qui alimentent, selon le ministre lui-même, le « fardeau bureaucratique » qui étouffe la recherche
Jusque-là, on applaudit. Mais la grande question, c’est : est-ce que ces assises déboucheront sur de l’argent frais ? Parce que établir un état des lieux, tout le monde sait déjà ce qu’il va donner : les universités sont sous-dotées depuis longtemps. Ce qu’attendent les présidents, les enseignants-chercheurs et les étudiants, ce sont des moyens supplémentaires. Pas un énième rapport.
Le nerf de la guerre : la fameuse « compensation intégrale »
Le point le plus sensible, c’est clairement la compensation des nouvelles charges. Prenez la protection sociale complémentaire obligatoire pour les agents publics : elle arrive en 2025-2026 et va coûter cher. Très cher. Idem pour les revalorisations salariales décidées au niveau national. Jusqu’à présent, l’État compensait… à moitié. Parfois moins.
Le ministre a été clair : pour 2026, il n’y aura pas de compensation à 100 %. Il parle « d’effort de gestion » et « d’ajustements en termes de ressources humaines ». En français courant : certaines universités vont devoir tailler dans leurs effectifs ou trouver des économies. Ce qui, dans un secteur déjà à flux tendu, risque de faire très mal.
Et pendant ce temps, certaines universités, à bout, augmentent les frais d’inscription pour les étudiants extracommunautaires (jusqu’à 4 000 € dans certains cas). Une décision polémique, mais souvent la seule solution pour boucler le budget. C’est ça, ou fermer des formations.
Un repositionnement stratégique État-Universités ?
L’un des points les plus intéressants de l’annonce, c’est cette volonté de « repositionner plus stratégiquement la relation État-université ». Derrière cette formule un peu technocratique se cache peut-être le vrai enjeu de ces assises.
Aujourd’hui, les universités françaises sont à la fois autonomes (depuis la loi LRU de 2007) et totalement dépendantes de l’État pour leur budget de fonctionnement. Ce qui crée une situation schizophrène : on leur demande d’être des entreprises performantes, mais on leur impose des charges sans leur donner les moyens de les assumer. Résultat : une bureaucratie infernale et une perte de compétitivité internationale.
Les assises pourraient être l’occasion de repenser complètement le modèle. Par exemple :
- Un contrat pluriannuel clair et lisible entre chaque université et l’État
- Une vraie simplification des normes et des contrôles
- Une dotation de base garantie, indexée sur l’inflation et les effectifs réels
- Une marge de manœuvre sur les ressources propres (frais d’inscription modulés, fondations, mécénat…)
Est-ce que le gouvernement est prêt à aller aussi loin ? Rien n’est moins sûr. Mais au moins, la porte semble entrouverte.
Et les étudiants dans tout ça ?
On parle beaucoup des universités, un peu moins des premières victimes : les étudiants. Amphithéâtres surchauffés ou gelés, bibliothèques fermées plus tôt, cours en visio parce qu’il manque des salles, masters qui disparaissent, services d’orientation saturés… La dégradation est visible au quotidien.
Et pourtant, dans les débats budgétaires, la voix des étudiants est souvent la grande absente. Espérons que ces assises leur laisseront une vraie place. Parce qu’au final, c’est pour eux qu’on fait tout ça.
Ce que penser de tout cela ?
Soyons lucides : une annonce ne fait pas une politique. Mais pour une fois, on sent une forme de prise de conscience au plus haut niveau. Le fait que le ministre reconnaisse publiquement l’opacité du système et le poids de la bureaucratie est déjà énorme.
Maintenant, il va falloir transformer l’essai. Les assises doivent déboucher sur des mesures concrètes et chiffrées d’ici la fin 2026. Sinon, ce sera juste une opération de communication de plus.
En attendant, les universités continuent de vivoter. Certaines tiendront, d’autres risquent de craquer. Et pendant ce temps, nos voisins allemands, néerlandais ou suisses continuent d’investir massivement dans leurs établissements. La France a les chercheurs, les étudiants, les idées. Manque juste… l’argent pour les faire briller.
Alors, janvier 2026 : vrai rendez-vous historique ou énième rendez-vous manqué ? Réponse dans quelques mois. En attendant, croisons les doigts. Fort.
(Article mis à jour le 10 décembre 2025 – plus de 3200 mots)
