Imaginez un enfant de huit ans. Il n’a déjà pas choisi d’être là, arraché à sa famille, placé parce que, quelque part, les adultes ont jugé que c’était mieux pour lui. Et puis un jour, pour une bêtise – ou peut-être simplement pour affirmer une autorité mal comprise –, on lui rase la tête. On le filme. On rit de lui dans un groupe WhatsApp. Et personne, absolument personne parmi ceux censés le protéger, ne trouve ça assez grave pour appuyer tout de suite sur le bouton rouge.
Cette histoire, elle donne la nausée. Elle s’est passée à Paris, dans le XIIIe arrondissement, au début de l’année 2025. Et ce n’est que dix mois plus tard, début décembre, que l’affaire explose enfin au grand jour.
Quand la sanction devient humiliation publique
Les faits sont simples et glaçants. Un petit garçon – appelons-le Eliott, comme on change parfois les prénoms pour protéger les identités fragiles – vit dans un foyer géré par l’aide sociale à l’enfance. Un jour de février, il commet une faute. On ne sait pas exactement laquelle, et franchement, peu importe. Ce qui compte, c’est la réponse des adultes.
Au lieu d’un temps calme, d’une discussion, d’une réparation symbolique, on décide de lui raser le crâne. Pas dans l’intimité d’un bureau, non. Devant les autres. Et surtout, on filme la scène. La vidéo circule ensuite dans un groupe de messagerie où les éducateurs se moquent ouvertement de l’enfant. Le tout sous les yeux d’une équipe entière qui, semble-t-il, n’a pas jugé utile d’alerter immédiatement la direction ou les autorités.
Il faudra attendre septembre, sept longs mois plus tard, pour qu’un avocat, celui de la maman d’Eliott, tombe sur ces éléments et décide enfin de bouger. Sept mois où l’enfant a continué à vivre dans le même foyer, avec potentiellement les mêmes personnes.
Raser la tête d’un enfant comme sanction, c’est une pratique d’un autre temps. C’est une atteinte directe à sa dignité, à son image, à son estime de soi naissante.
Une réaction tardive mais massive
Dès que l’affaire a été rendue publique, les institutions se sont réveillées. Presque en même temps.
- La Ville de Paris annonce une inspection immédiate du foyer le 10 décembre au matin.
- Le parquet ouvre une enquête préliminaire pour violences volontaires sur mineur par personne ayant autorité.
- La Défenseure des droits s’autosaisit – ce qui est rare et signifie que l’affaire est prise très au sérieux au niveau national.
- La ministre chargée de l’Enfance et des Familles déclare publiquement condamner des « faits inacceptables » et saisir elle aussi la justice.
On se dit : enfin. Mais on se pose aussi la question qui brûle : pourquoi maintenant ? Pourquoi pas dès février, dès mars, dès que la vidéo a circulé ?
Le foyer en question : des changements déjà opérés… en douce
Le lieu s’appelle le foyer éducatif Jenner. Il est géré par une association historique, bien connue dans le secteur. Quand la Ville demande des comptes, l’association répond qu’elle a déjà renouvelé toute l’équipe et le responsable. Traduction : on a fait le ménage avant même que l’affaire n’éclate publiquement.
Est-ce une preuve de responsabilité ? Ou une tentative de limiter la casse avant que tout explose ? Un peu des deux, sans doute. Mais ce qui reste, c’est que l’enfant, lui, a vécu avec cette humiliation pendant des mois.
L’humiliation filmée : le détail qui change tout
Ce n’est pas seulement le rasage. C’est la mise en scène. La vidéo. Les moqueries écrites. On touche là à quelque chose de profondément moderne dans l’horreur : l’humiliation 2.0. Ce n’est plus seulement entre quatre murs, c’est diffusé, partagé, commenté.
Et le pire ? Aucun des adultes qui ont vu cette vidéo dans le groupe n’a jugé bon de faire un signalement immédiat. Ni à la direction, ni à la cellule de recueil des informations préoccupantes, ni à la police. Rien. Le silence total pendant des mois.
Ça pose une question terrifiante : combien d’autres vidéos, d’autres photos, d’autres humiliations circulent dans des groupes fermés sans que personne ne bouge ?
La protection de l’enfance en crise : un cas parmi d’autres ?
Cette affaire arrive dans un contexte où le système de protection de l’enfance est déjà montré du doigt depuis des années. Manque de moyens, turnover infernal des éducateurs, formation parfois légère, absence de contrôle réel… Tout le monde connaît les rapports accablants, mais rien ne semble vraiment bouger.
En Île-de-France particulièrement, les alertes se multiplient. Les professionnels eux-mêmes tirent la sonnette d’alarme : ils sont épuisés, en sous-effectif, parfois mal formés à gérer des situations très complexes.
Mais il y a une limite claire : aucune surcharge de travail, aucun manque de formation ne justifie qu’on rase la tête d’un enfant de huit ans et qu’on le filme pour rire.
Que dit la loi, exactement ?
En France, les punitions corporelles sont interdites depuis 2019 (article 222-13 du Code pénal modifié). Mais au-delà du droit, il y a la convention internationale des droits de l’enfant, signée et ratifiée par la France, qui parle du droit à la dignité, du droit à ne pas être soumis à des traitements humiliants.
Raser la tête d’un enfant comme sanction collective ou individuelle ? C’est clairement une atteinte à cette dignité. Et quand c’est fait par des personnes qui ont autorité sur lui, ça aggrave encore la qualification pénale possible.
Et l’enfant, dans tout ça ?
On parle beaucoup des institutions, des enquêtes, des responsabilités. Mais lui ? Comment va-t-il aujourd’hui ? A-t-il changé de foyer ? A-t-il pu revoir sa mère ? Est-ce qu’on lui a expliqué que ce qui lui est arrivé n’était pas normal, pas de sa faute ?
Les informations sont rares – et c’est normal, il faut le protéger. Mais on peut imaginer le traumatisme. À huit ans, on commence à peine à construire son image, son rapport aux autres. Se retrouver chauve parce que des adultes l’ont décidé, moqué par ceux-là mêmes censés le protéger… Ça laisse des traces.
Vers un vrai électrochoc ?
Cette affaire n’est pas isolée. Elle rappelle d’autres scandales, d’autres dérives. Mais peut-être que cette fois, avec la conjonction de la Défenseure des droits, de la justice, de la ministre et de la Ville de Paris, quelque chose va vraiment bouger.
On parle déjà de renforcer les contrôles inopinés, de rendre obligatoire la formation continue sur les droits de l’enfant, d’installer des référents déontologie dans chaque structure. Espérons que ce ne soient pas que des mots.
Parce qu’en attendant, il y a des milliers d’enfants placés qui se lèvent tous les matins dans ces foyers. Ils n’ont pas choisi d’être là. La moindre des choses, c’est qu’on leur garantisse au moins le respect le plus élémentaire.
Un enfant rasé pour être puni. Filmé pour être moqué. Et un système qui a mis dix mois à réagir.
Si ça, ça ne nous réveille pas tous, alors franchement, qu’est-ce qu’il faudra de plus ?
