Imaginez-vous au cœur de l’été 2020, dans une petite exploitation agricole de l’Yonne. Les chèvres bêlent doucement, l’odeur du fromage frais émane du laboratoire de fromagerie. Tout semble paisible. Et puis, d’un coup, plus rien. Une femme de 55 ans s’évapore entre la traite du matin et le déjeuner, laissant derrière elle son téléphone, ses clés, son sac. Cinq ans plus tard, on sait désormais qu’un procès aura lieu aura lieu. Et l’accusé, c’est son propre mari.
Le « Jubillar de l’Yonne » ira bien aux assises
Quand j’ai appris la nouvelle, j’avoue que ça m’a fait un petit pincement au cœur. Parce que cette histoire, on l’a tous suivie de loin, comme un feuilleton glauque dont on n’ose pas détourner les yeux. Frédéric Mellet, éleveur de chèvres à Joigny, va donc comparaître devant la cour d’assises de l’Yonne pour meurtre sur conjoint. L’ordonnance de mise en accusation est définitive : il n’a pas fait appel. Le procès devrait se tenir fin 2026 ou début 2027.
Ce qui frappe, c’est que l’on parle ici d’une disparition sans corps. Pas de scène de crime nette, pas de traces de sang spectaculaires, pas d’arme. Juste un vide immense et des questions qui restent en suspens depuis le 2 juillet 2020.
Un matin d’été qui bascule
Ce jour-là, tout commence pourtant normalement. Chantal, 55 ans, s’occupe des fromages dans le labo pendant que Frédéric termine la traite. Vers 8 h 30, il passe la voir et lui lance une phrase qui restera gravée :
« Quand tu auras fini, il faudra qu’on parle d’un sujet personnel. »
Ce sujet personnel ? La liaison que Chantal entretient depuis plusieurs mois avec un autre homme du village. Quelques jours plus tôt, elle a même annoncé à son mari qu’elle comptait refaire sa vie avec lui. Autant dire que la discussion s’annonçait tendue.
Mais cette discussion n’aura jamais lieu. Une heure plus tard, Chantal a disparu. Plus personne. Frédéric dit l’avoir cherchée partout, puis être allé faire une course rapide dans un magasin de bricolage. Quand il revient, toujours rien. Il prévient les gendarmes en début d’après-midi.
Les zones d’ombre qui s’accumulent
Très vite, les enquêteurs trouvent le comportement du mari étrange. Pourquoi aller acheter du matériel de bricolage juste après avoir demandé une discussion sérieuse à sa femme ? Pourquoi certaines déclarations varient d’une audition à l’autre ? Et surtout : comment une femme peut-elle disparaître en plein jour, sans affaires, sans véhicule, sans laisser la moindre trace ?
Frédéric, lui, a toujours clamé son innocence. « Il n’y a rien contre moi », répétait-il lors de ses rares prises de parole. Pourtant, les magistrats ont relevé des contradictions, des éléments passés sous silence et des contrevérités. Des petites briques qui, mises bout à bout, ont fini par former un dossier suffisamment solide pour un renvoi aux assises.
- Chantal laisse tout sur place : téléphone allumé, clés de voiture, carte bancaire
- Aucun retrait d’argent ni utilisation du téléphone après 8 h 30
- Frédéric est vu dans un magasin de bricolage entre 9 h et 11 h – créneau horaire crucial
- Des incohérences dans le récit de la matinée
- Des disputes récurrentes liées à l’infidélité de Chantal
Pour beaucoup, ce faisceau d’indices indirects évoque irrésistiblement une autre affaire qui a secoué la France : celle de Delphine Jubillar dans le Tarn. D’où le surnom cruel de « Jubillar de l’Yonne » collé à Frédéric Mellet.
Un long chemin judiciaire
L’histoire judiciaire est presque aussi tortueuse que l’enquête elle-même. Mis en examen en mai 2022 pour meurtre, Frédéric Mellet passe plus de deux ans en détention provisoire. Il clame son innocence, multiplie les demandes de remise en liberté. En août 2024, il finit par obtenir gain de cause et sort sous contrôle judiciaire.
Libre, mais pas blanchi. Le parquet d’Auxerre requiert son renvoi devant les assises début 2025. Le juge d’instruction suit en novembre. Et depuis quelques jours, c’est officiel : l’affaire ira bien jusqu’au bout.
À titre personnel, je trouve ça fascinant (et un peu effrayant) de voir à quel point la justice peut avancer même sans corps. C’est rare, mais pas impossible. On se souvient de l’affaire Godard, ou plus récemment de certaines condamnations pour féminicide où le corps n’a jamais été retrouvé.
Un village sous tension
À Joigny et dans les environs, l’affaire a évidemment divisé. Il y a ceux qui croient dur comme fer à la culpabilité de Frédéric – souvent à cause de la liaison de Chantal et des rumeurs qui vont avec. Et puis il y a ceux qui le soutiennent, qui parlent d’un homme brisé, d’un père de famille qui a tout perdu et qui subit un acharnement.
Ce que je retiens surtout, c’est la violence sourde qui s’est installée dans ce petit monde rural. Les regards en coin au marché, les conversations qui s’arrêtent quand on entre dans un café. Une communauté entière qui vit avec ce fantôme depuis cinq ans.
Et maintenant ?
Le procès promet d’être intense. L’accusation va devoir convaincre les jurés avec un dossier uniquement circonstanciel. La défense, elle, jouera la carte du doute – le doute raisonnable qui doit profiter à l’accusé.
On peut s’attendre à des débats passionnés sur :
- La crédibilité des déclarations de Frédéric
- La fenêtre horaire exacte de la disparition
- Les éventuelles recherches techniques (géolocalisation, chiens, etc.)
- Le contexte conjugal explosif
- Et surtout : où est passé le corps ?
Franchement, je ne sais pas ce qui est le plus troublant : l’idée qu’un homme puisse faire disparaître sa femme sans laisser de traces, ou l’idée qu’une femme puisse s’évaporer volontairement en abandonnant toute sa vie derrière elle.
Ce qui est sûr, c’est que ce procès va nous tenir en haleine pendant des semaines. Et peut-être, enfin, apportera-t-il des réponses à la famille, aux enfants, à tout un village qui attend depuis cinq longues années.
En attendant, l’Yonne retient son souffle. Et nous aussi.
(Article mis à jour le 10 décembre 2025 – l’affaire continue d’évoluer)
