Franchement, il y a des matins où on se lève et on se demande si on vit dans le même pays que ceux qui nous gouvernent. Hier soir, l’Assemblée a voté le budget de la Sécurité sociale pour 2026 et, surprise, le déficit attendu n’est plus du tout celui qu’on nous avait vendu il y a encore quelques semaines.
On nous parlait d’un trou limité à 17,5 milliards d’euros. Le texte adopté en fait 24,5 milliards. Sept milliards de plus en un claquement de doigts. Autant dire qu’on est passé du « tout va mieux » au « on est au fond du trou et on creuse encore » sans même prendre le temps de respirer.
Un dérapage qui pose question
Je ne vais pas vous refaire l’histoire complète des finances sociales, vous la connaissez probablement par cœur. Mais avouez que ce genre de retournement de veste en quelques semaines a de quoi laisser perplexe. Comment peut-on présenter un objectif chiffré aussi précis, le défendre bec et ongles devant les caméras, puis le lâcher comme une vieille chaussette dès que les amendements tombent ?
Ce n’est pas seulement une question de communication ratée. C’est surtout la preuve que, quelque part, la maîtrise des dépenses publiques nous échappe complètement.
D’où viennent ces 7 milliards supplémentaires ?
En réalité, plusieurs facteurs se sont cumulés. Et quand on gratte un peu, on se rend compte que personne n’est vraiment étonné dans les couloirs des ministères.
- Les dépenses de santé continuent de croître plus vite que prévu, notamment à l’hôpital où les tensions salariales restent vives.
- Le vieillissement de la population pèse mécaniquement sur les retraites et la dépendance.
- Les mesures d’économies initialement prévues (on parle de plusieurs milliards) ont été soit édulcorées, soit purement et simplement abandonnées sous la pression des groupes parlementaires.
- Enfin, la croissance économique, sur laquelle on comptait pour remplir les caisses, reste mollassonne.
Rien de bien nouveau sous le soleil, me direz-vous. Sauf que cette fois, on avait juré que ça allait changer. Que la rigueur budgétaire était la priorité absolue. Que l’époque des chèques en blanc était révolue.
Les promesses de sérieux budgétaire : souvenir, souvenir…
Rappelez-vous le discours ambiant il y a encore quelques mois. Retour à l’équilibre à horizon 2027, trajectoire vertueuse, bla bla bla. On nous sortait des graphiques en éventail, des courbes qui redescendaient sagement vers la zone positive. Tout ça pour aboutir à un déficit qui, non seulement ne baisse pas, mais augmente.
« On ne peut pas continuer à vivre au-dessus de nos moyens indéfiniment. »
– Un ministre, quelque part en 2024
Cette phrase, on l’a entendue cent fois. Et pourtant, à chaque fois qu’il faut passer aux actes, on trouve toujours une bonne raison de reporter l’effort. Urgence sociale par-ci, contexte économique fragile par-là. Résultat ? La dette sociale continue de gonfler tranquillement, et ce sont toujours les mêmes qui trinqueront demain.
Qui paiera vraiment la note ?
Posons la question cash : quand la Sécu creuse un trou de 24,5 milliards, qui comble le vide ? Il n’y a pas trente-six réponses possibles.
- Soit on augmente les cotisations (donc on baisse le salaire net des Français).
- Soit on réduit les remboursements (donc on fait payer plus cher les patients).
- Soit on reporte encore la charge sur les générations futures via plus de dette.
Dans les faits, on fait toujours un peu des trois. Mais le troisième point est de loin le plus pratique politiquement. Emprunter aujourd’hui pour rembourser… jamais, ou alors quand on ne sera plus là. C’est ce qu’on appelle le courage fuyant.
Et pendant ce temps, les agences de notation nous regardent avec des yeux ronds. La France reste l’un des derniers pays AAA à creuser des déficits pareils en période de paix. À force, même les plus patients commencent à douter.
L’hôpital, éternelle variable d’ajustement ?
Parmi les postes qui pèsent le plus lourd, il y a évidemment l’hôpital public. On nous répète que le Ségur de la santé a tout réglé, que les revalorisations sont derrière nous. Sauf que dans les faits, les comptes des établissements restent dans le rouge profond.
Les primes exceptionnelles, les heures supplémentaires, les tensions sur les effectifs… tout ça coûte cher. Très cher. Et quand on refuse d’ouvrir franchement le débat sur le modèle même de l’hôpital (gouvernance, tarification à l’activité, concurrence public/privé), on se condamne à boucher les trous avec des rustines.
J’ai discuté récemment avec un directeur d’hôpital de taille moyenne. Il m’a confié, off the record, que son établissement terminera 2025 avec 25 millions de déficit. Et qu’il sait déjà qu’on lui demandera de trouver 10 % d’économies supplémentaires en 2026. Comment ? Mystère. En fermant des lits ? En repoussant des investissements ? En serrant encore la vis sur les salaires ? Personne ne le dit clairement, mais tout le monde sait que ça finira comme ça.
Les arrêts maladie : le sujet qui fâche
Un autre poste qui explose : les indemnités journalières. On en parle moins, parce que ça touche tout le monde et que personne n’aime se faire accuser de laxisme. Mais les chiffres sont là : +8 % par an en moyenne ces dernières années.
Épidémie de burn-out, problèmes de santé mentale, effets longs du Covid, vieillissement des actifs… les raisons sont multiples. Mais le résultat est le même : les caisses vides.
Certains proposent de durcir les contrôles, d’imposer le télétravail sur prescription médicale, ou même de réduire la durée d’indemnisation. Des mesures qui font bondir les syndicats, évidemment. Mais quand on voit le rythme actuel, on se demande combien de temps on pourra encore tenir sans toucher à rien.
Et la croissance dans tout ça ?
On nous ressort régulièrement la vieille recette : « il suffit d’une bonne croissance et tout rentrera dans l’ordre ». Sauf que la croissance, on l’attend toujours. Entre les chocs énergétiques, l’inflation, les taux d’intérêt qui restent élevés, on est loin du monde d’avant.
Et même quand elle revient un peu, elle profite surtout aux bénéfices des entreprises et aux hauts revenus. Les rentrées fiscales et sociales, elles, peinent à suivre. C’est le grand paradoxe de cette période : on crée de la richesse, mais elle ne retombe pas dans les caisses publiques au rythme espéré.
2026, l’année de tous les dangers ?
Ce qui m’inquiète le plus, c’est qu’on arrive à un point de bascule. Avec 24,5 milliards de déficit prévu, on n’est plus très loin des records historiques. Et derrière, il y a les retraites, la dépendance, la transition écologique… des montagnes de dépenses qui arrivent à grands pas.
Si on continue sur cette trajectoire, la question ne sera plus de savoir comment réduire le déficit, mais comment éviter la crise de confiance. Parce qu’un jour, les marchés diront stop. Et là, ça fera très mal.
Je ne suis pas pessimiste de nature, mais là, les signaux sont au rouge clignotant. Et continuer à creuser en espérant tomber sur un trésor, ça commence à ressembler à une drôle de stratégie.
Alors oui, on peut toujours se dire que c’était pire avant, que d’autres pays sont plus mal lotis, que de toute façon on s’en sortira. Mais à force de reporter les décisions difficiles, on se rapproche dangereusement du mur.
La Sécurité sociale, c’est le bien le plus précieux que nous ayons collectivement. La saborder par inaction serait une faute historique. Il est temps de regarder la réalité en face, même si ça fait mal. Parce que demain, il sera trop tard pour regretter de ne pas avoir agi aujourd’hui.
