Imaginez la scène : il est trois heures du matin, une maison calme à Melbourne, une femme donne naissance à son enfant dans l’intimité de sa chambre, entourée de son mari et d’une accompagnante. Tout semble parfait. Le bébé pleure, il est en pleine santé. Et puis, en quelques heures, tout bascule. Une hémorragie massive. Une ambulance. Un combat perdu à l’hôpital. Cette histoire, malheureusement, n’est pas un scénario de film. Elle est arrivée le 29 septembre dernier à une jeune femme de trente ans, connue sur les réseaux pour ses conseils bien-être et cuisine saine.
Ce drame remet brutalement sur la table une question qui divise depuis des années : jusqu’où la liberté de choix en matière d’accouchement peut-elle aller quand la vie d’une mère est en jeu ?
Une méfiance née pendant la pandémie
Ce qui frappe dans cette affaire, c’est la raison profonde qui a poussé cette jeune femme à refuser tout suivi médical pendant sa grossesse. D’après les éléments révélés lors de l’enquête judiciaire, elle avait perdu confiance dans le système de santé après les mesures liées à la pandémie, et particulièrement l’obligation vaccinale imposée dans certains secteurs en 2021. Un sentiment partagé par toute une frange de la population, amplifié par les réseaux sociaux et certaines communautés bien-être.
On l’oublie parfois, mais la crise Covid a laissé des cicatrices bien au-delà des questions purement sanitaires. Pour certains, elle a brisé un pacte de confiance avec la médecine conventionnelle. Résultat : une partie des futurs parents se tourne aujourd’hui vers ce qu’on appelle le freebirth – l’accouchement libre, sans aucun professionnel de santé, parfois même sans sage-femme.
« Elle ne voulait plus mettre les pieds à l’hôpital. Elle disait qu’on lui avait volait sa naissance. »
– Témoignage recueilli lors de l’enquête
Cette phrase, prononcée par une proche, résume à elle seule le fossé qui s’est creusé. D’un côté, des femmes qui veulent reprendre le contrôle total de leur corps. De l’autre, un corps médical qui alerte depuis longtemps sur les dangers.
L’hémorragie post-partum, ce tueur silencieux
Beaucoup de gens l’ignorent, mais l’hémorragie reste la première cause de mortalité maternelle dans le monde, même dans les pays développés. En France, par exemple, elle représente encore environ 15 % des décès liés à la grossesse ou à l’accouchement. Et le pire ? Elle peut survenir très vite. Parfois en moins de trente minutes.
Dans le cas de cette influenceuse, le saignement a commencé après la délivrance. À domicile, sans matériel, sans médicament pour contracter l’utérus, sans transfusion possible immédiatement… le temps joue contre vous. Quand l’ambulance est arrivée, il était déjà très tard.
- Perte de plus d’un litre de sang en quelques dizaines de minutes
- Choc hémorragique rapide
- Épuisement complet des réserves hospitalières de son groupe sanguin rare
- Décès malgré les efforts des équipes
Ces quatre points, énoncés froidement devant le tribunal, donnent la chair de poule. Parce qu’ils montrent à quel point tout peut basculer en un instant.
La doula dans la tourmente
Dans cette histoire, une autre figure fait l’objet d’une enquête : la doula qui accompagnait le couple. Attention, une doula n’est pas une sage-femme. Elle apporte un soutien émotionnel, des conseils de confort, parfois des techniques de respiration, mais elle n’a aucune formation médicale et n’est pas habilitée à pratiquer des actes obstétriques.
Or, dans certains milieux « naissance respectée », les frontières deviennent floues. Des accompagnantes se retrouvent parfois à gérer seules des situations qui nécessiteraient un transfert immédiat. L’autorité sanitaire australienne a d’ailleurs ouvert une enquête en cours sur cette personne, soupçonnée d’avoir participé à plusieurs accouchements à risque.
Je ne jette la pierre à personne. Accompagner une femme dans un moment aussi intime, c’est beau. Mais quand la vie est en jeu, la frontière entre accompagnement bienveillant et mise en danger devient ténue. Très ténue.
Le paradoxe des influenceuses bien-être
Il y a quelque chose de particulièrement troublant dans cette affaire. Cette jeune femme gagnait sa vie en prodiguant des conseils santé sur Instagram : recettes crues, méditation, huiles essentielles, yoga prénatal… Un univers où l’on prône le retour au naturel, le rejet des « toxines », la médecine « douce ».
Et pourtant, ce même discours peut glisser, presque imperceptiblement, vers une défiance totale envers tout ce qui est « artificiel » – y compris les interventions qui sauvent des vies. L’ocytocine de synthèse pour stopper une hémorragie ? « Produit chimique ». La péridurale ? « Poison ». L’hôpital ? « Usine à bébés ».
Le plus triste, c’est que des milliers de femmes suivent ces comptes. Elles y trouvent du réconfort, de l’empowerment. Et parfois, sans s’en rendre compte, elles absorbent aussi l’idée que « tout se passe toujours bien quand on fait confiance à son corps ».
Sauf que non. Le corps, même en pleine santé, peut trahir. Et quand il trahit pendant un accouchement, il ne pardonne pas.
Et en France, où en est-on ?
En France, l’accouchement à domicile est légal, mais très encadré. Il doit obligatoirement être accompagné par une sage-femme libérale formée et assurée. Le « freebirth » pur et dur, sans aucun professionnel de santé, est extrêmement marginal… mais il existe. Et il inquiète.
Les chiffres sont rares, parce que ces naissances ne sont pas déclarées comme les autres. Mais on sait qu’une poignée de collectifs promeut cette pratique, souvent en marge des réseaux classiques. Certaines femmes témoignent même sur YouTube de leur « accouchement sauvage », seules dans la forêt ou dans leur baignoire.
Les gynécologues-obstétriciens, eux, tirent la sonnette d’alarme. Pas pour interdire – la liberté de choix est sacrée – mais pour rappeler que le risque zéro n’existe pas. Une placenta mal détaché, un utérus qui ne se rétracte pas, un bébé en souffrance… ce sont des imprévus qui arrivent, même aux femmes les plus en forme.
Un débat qui dépasse la simple anecdote
Ce drame australien n’est pas isolé. En 2023, une Britannique connue sous le pseudo « The Naked Doula » avait déjà perdu la vie dans des circonstances similaires. Aux États-Unis, plusieurs affaires ont défrayé la chronique ces dernières années.
À chaque fois, le même schéma : une femme en bonne santé, un entourage convaincu que « la nature fait bien les choses », une hémorragie foudroyante, et un bébé qui grandira sans sa mère.
Je ne suis pas là pour juger les choix intimes. Chaque femme doit pouvoir accoucher comme elle le sent. Mais je crois qu’on a le devoir de dire les choses clairement : accoucher sans aucun professionnel médical à proximité, c’est prendre un risque énorme risque. Pas pour l’idéologie. Pas pour Instagram. Pour la vie.
Parce qu’au final, le plus beau des projets de naissance, c’est celui où la mère et l’enfant rentrent ensemble à la maison.
Cette histoire me hante depuis que je l’ai découverte. Pas parce qu’elle est spectaculaire. Mais parce qu’elle aurait pu être évitée. Et parce qu’elle continuera à se reproduire tant que certains discours minimiseront les risques au nom d’une prétendue « liberté absolue ».
Prenez soin de vous. Vraiment.
