Vous est-il déjà arrivé de marcher dans la rue, tête baissée pour éviter les flaques, et de compter machinalement les mégots écrasés sur le trottoir ? Personnellement, dans certaines villes de l’Oise, j’arrive parfois à en dénombrer plus de vingt en moins de cent mètres. C’est devenu un réflexe un peu triste. Et pourtant, quelque chose est en train de bouger.
Les mégots, cette pollution qu’on ne voit presque plus
On les remarque à peine, et c’est bien ça le problème. Un mégot, c’est tout petit. Mais quand on additionne les milliards de cigarettes fumées chaque jour en France, on obtient une montagne de déchets toxiques qui finit… presque toujours au mauvais endroit.
Le chiffre donne le tournis : entre 20 000 et 25 000 tonnes de mégots sont jetés chaque année sur la voie publique dans notre pays. À l’échelle de l’Oise, cela représente plusieurs centaines de tonnes qui s’infiltrent dans les caniveaux, se retrouvent dans les rivières, et finissent par polluer les sols pendant des années.
Parce que oui, un seul mégot peut contaminer jusqu’à 500 litres d’eau avec ses substances chimiques (nicotine, métaux lourds, arsenic…). Et le filtre ? Il est en acétate de cellulose, un plastique qui met entre 10 et 15 ans à se dégrader. Autant dire que la plupart du temps, comme le disent certains agents de propreté, « ça termine dans le caniveau ».
Un dispositif astucieux qui change la donne dans l’Oise
Depuis 2022, un système national permet enfin aux communes de ne plus porter seules le poids de cette pollution. Les fabricants de tabac doivent désormais contribuer financièrement à la collecte et au traitement des mégots. Concrètement, un éco-organisme agréé, Alcome, récolte ces contributions et les redistribue aux villes qui le souhaitent sous forme de cendriers urbains gratuits et d’actions de sensibilisation.
Dans l’Oise, le mouvement prend de l’ampleur. À ce jour, 17 communes ont signé la convention, et six autres sont sur le point de le faire. Parmi les pionnières, on trouve des villes de toutes tailles : Compiègne, Beauvais, Creil, Nogent-sur-Oise, Chantilly, Senlis… La liste s’allonge chaque mois.
« Avant, on ramassait les mégots à la balayeuse, ils partaient à l’incinération et c’était terminé. Aujourd’hui, on les collecte séparément pour qu’ils soient recyclés. C’est un vrai changement de paradigme.
Un responsable propreté d’une grande commune de l’Oise
Comment ça fonctionne sur le terrain ?
Très simple. La commune signe avec Alcome, reçoit des cendriers sondages (fixés sur les poteaux, les abris-bus, devant les bars…), et un planning de collecte. Les agents vident les cendriers dans des sacs dédiés. Ensuite, une entreprise spécialisée vient chercher ces sacs pour les acheminer vers une usine de dépollution et recyclage.
Dans l’Oise, c’est souvent la société TchaoMégot, implantée à Bresles, qui assure cette partie. Ils transforment les filtres en matière plastique recyclée pour fabriquer du mobilier urbain ou des isolants. Le tabac résiduel, lui, est composté ou valorisé énergétiquement. Rien ne se perd.
- Cendriers financés à 100 % par les fabricants
- li>Collecte régulière (toutes les 2 à 4 semaines selon affluence)
- Tri et dépollution dans des usines françaises
- Recyclage du plastique en nouveaux objets
- Sensibilisation auprès des fumeurs avec affiches et messages sur les cendriers
Et les amendes, on en parle ?
Thévidemment. Jeter un mégot par terre, c’est 135 € d’amende (voire 450 € si ça va au tribunal). Dans les faits, on verbalise encore assez peu, faute d’agents en nombre suffisant. Mais certaines municipalités commencent à renforcer les contrôles, surtout devant les écoles et dans les zones très fréquentées.
L’idée n’est pas de faire la chasse aux fumeurs, mais de faire évoluer les comportements. Un cendrier tous les 50 mètres change déjà beaucoup la donne : quand on a une solution facile sous la main, on a moins d’excuses pour jeter par terre.
Ce que j’ai vu en me baladant dans les villes engagées
À Chantilly, par exemple, les cendriers design en forme de tube transparent font leur petit effet. On voit clairement le niveau de remplissage, et curieusement, les gens hésitent plus à jeter à côté quand ils voient déjà autant de mégots collectés proprement.
À Creil, les agents de propreté m’ont confié que depuis l’installation des cendriers, le nombre de mégots ramassés au sol a chuté de presque 40 % dans le centre-ville. Pas mal pour un dispositif qui ne coûte rien à la commune !
Et puis il y a ce petit plaisir personnel : croiser un fumeur qui, au lieu de jeter son mégot dans le caniveau comme il y a six mois, cherche du regard le cendrier le plus proche. C’est bête, mais ça fait chaud au cœur.
Les mégots, un danger qu’on sous-estime encore
On parle beaucoup des sacs plastiques ou des bouteilles, mais les filtres de cigarette sont le déchet le plus retrouvé sur les plages mondiales, devant les pailles et les cotons-tiges. En ville, ils représentent parfois jusqu’à 40 % des déchets ramassés dans certains quartiers.
Le pire ? Les animaux. Oiseaux, poissons, hérissons… beaucoup ingèrent ces petits cylindres blancs en les prenant pour de la nourriture. Résultat : intoxication lente et mortelle. J’ai encore en tête cette photo d’un goéland mort avec l’estomac rempli de filtres. Difficile d’oublier.
Vers une généralisation dans tout le département ?
L’Oise est plutôt en avance, mais il reste du chemin. Sur 679 communes, seules une grosse vingtaine sont engagée pour l’instant. Les petites villes hésitent parfois par manque d’information ou parce qu’elles pensent que « chez nous, il n’y a pas tant de fumeurs que ça ».
Pourtant, le dispositif est taillé pour elles aussi : même un village de 800 habitants peut demander deux ou trois cendriers devant la mairie, l’église ou le café du coin. Et ça change tout pour l’image du village.
Certains élus aimeraient aller plus loin : imposer des cendriers de poche distribués gratuitement, obliger les bars à installer des cendriers extérieurs, ou même créer une brigade verte dédiée. Des idées qui germent.
Et nous, citoyens, on peut faire quoi ?
Attendre que tout vienne d’en haut, c’est confortable, mais ça ne suffit pas. Si vous fumez, le geste est simple : garder son mégot jusqu’au prochain cendrier ou le mettre dans un petit boîtier de poche (il en existe des tout petits, étanches, à 2-3 €). Si vous ne fumez pas, un petit « tu peux le mettre là » accompagné d’un sourire à quelqu’un qui jette par terre, ça passe souvent mieux qu’on ne le croit.
Et surtout, parler du sujet autour de soi. Parce que beaucoup de gens ne réalisent pas encore l’ampleur du problème. Moi le premier, il y a quelques années, je passais à côté sans me disant « c’est pas grand-chose un mégot »… Jusqu’à ce que je voie les chiffres et les photos.
Aujourd’hui, dans l’Oise, on a enfin une solution concrète, gratuite, et qui marche. Reste à nous de la faire vivre. Parce que les rues plus propres, les rivières moins polluées, et les animaux qui ne meurent plus empoisonnés, ça vaut bien quelques efforts, non ?
Alors la prochaine fois que vous croiserez un nouveau cendrier tout beau tout propre sur un poteau, pensez à tous ces mégots qui, pour une fois, ne finiront pas dans le caniveau. Et si vous fumez… faites-lui un petit coucou de ma part.
