Vous êtes rentrés du boulot, il pleuvait des cordes, il faisait nuit à 17 h 30… et pourtant, personne n’a allumé la télé mercredi soir. Ou presque. Quand la chaîne leader d’un pays fait 2,07 millions de téléspectateurs en prime time, on peut légitimement se poser des questions. Moi le premier.
J’ai suivi les audiences depuis quinze ans et je n’avais jamais vu une soirée aussi creuse. Pas même pendant les vacances d’août ou les soirs de finale de Coupe du monde de rugby. Là, on parle d’un mercredi de décembre, en pleine période de Noël, censée être le graal des chaînes historiques. Alors, que s’est-il passé ?
Une soirée historiquement basse qui fait mal
Commençons par les chiffres bruts, parce qu’ils parlent d’eux-mêmes.
| Chaîne | Programme | Téléspectateurs | PDA 4+ |
| TF1 | Will Trent (série US) | 2,07 millions | 11,4 % |
| France 3 | Des racines et des ailes « Spécial Noël » | 1,93 million | 11,3 % |
| M6 | Hallyday par David | 1,57 million | 8,7 % |
| Canal+ | Athletic Bilbao / PSG (Ligue des champions) | 1,51 million | 8,2 % |
| France 2 | Téléfilm « Haut les cœurs » | 1,45 million | 7,9 % |
Regardez bien : aucune chaîne ne dépasse les 2,1 millions. C’est du jamais-vu depuis que Médiamétrie mesure l’audience individuelle (2004). Pour vous donner un ordre de grandeur, un épisode moyen de Capitaine Marleau fait souvent le double, et The Voice dépasse régulièrement les 4-5 millions.
Will Trent sauve (un peu) la mise de TF1
La série policière américaine portée par Ramón Rodríguez continue son petit bonhomme de chemin. 2,07 millions en moyenne pour les deux épisodes, c’est faible, très faible pour TF1, mais c’est déjà mieux que la semaine précédente. Sur la cible commerciale des fameuses FRDA-50 (femmes responsables des achats de moins de 50 ans), elle ne fait « que » 11,7 %. Autrement dit, même les annonceurs n’y croient plus trop.
Pourtant, la série n’est pas mauvaise du tout. Scénario solide, acteur charismatique, rythme soutenu… mais visiblement, ça ne suffit plus. Les gens zappent, ou plutôt, ils ne zappent même plus : ils ne branchent plus la télé.
France 3 résiste grâce à la tradition
À seulement 140 000 téléspectateurs de TF1, France 3 peut presque revendiquer la victoire. Le magazine Des racines et des ailes spécial Noël a promené 1,93 million de Français de l’Alsace aux fjords norvégiens. C’est presque un miracle quand on voit le score des autres.
Le programme de Carole Gaessler reste l’un des derniers bastions de la télé « à l’ancienne » : belles images, voix off posée, zéro sensationnalisme. Et ça marche encore auprès d’un public senior fidèle. Par contre, sur les FRDA-50 ? 4,2 %. Autant dire que les marques de yaourts allégés ne se battent pas pour diffuser leur pub pendant l’émission.
« On est dans une période où les gens consomment la télé différemment. Le replay, le streaming, les réseaux sociaux… la concurrence est féroce. »
– Un programmateur de grande chaîne, sous couvert d’anonymat
David Hallyday émeut… mais pas tant que ça
Huit ans après la mort de Johnny, M6 diffusait une soirée hommage animée par David. 1,57 million de téléspectateurs, c’est honorable… mais loin des scores stratosphériques que faisait le Taulier de son vivant. Les extraits d’archives, les témoignages, la prestation live : tout était là pour toucher. Et pourtant.
J’ai trouvé la soirée sincère, parfois émouvante, mais peut-être trop longue ou trop tardive ? Le public jeune n’a pas suivi, les plus âgés étaient peut-être déjà couchés. Résultat : un score correct mais sans éclat.
Même le PSG ne fait plus recette
C’est peut-être le chiffre le plus parlant de la soirée. Un match de Ligue des champions du PSG, en direct sur Canal+, n’attire « que » 1,51 million de supporters. Il y a cinq ans, ce genre de rencontre faisait facilement le double, même contre une équipe basque.
Entre le match nul insipide, la concurrence de Prime Video (qui diffuse aussi la LDC certains soirs) et l’habitude de regarder en streaming illégal ou sur des applis étrangères, le foot en clair ou crypté perd de sa superbe. Triste époque.
Pourquoi une telle désaffection ? Mes 5 hypothèses
- Le streaming a tout changé – Netflix, Disney+, Prime Video sortent des séries tous les jours. Pourquoi attendre mercredi 21 h 10 quand on peut binge-watcher à 23 h 30 ?
- La météo pourrie – Pluie, froid, nuit noire : les gens sortent moins, mais restent sur leur téléphone ou leur tablette plutôt que d’allumer la grande télé du salon.
- Fatigue de fin d’année – Décembre, courses de Noël, enfants excités, factures qui tombent… la télé passe au second plan.
- Fragmentation extrême de l’offre – Entre TNT, box, replay, YouTube, Twitch, TikTok… l’attention est diluée comme jamais.
- Déception récurrente – Quand on voit les grilles depuis des mois (télé-réalité à gogo, rediffusions, débats politiques sans fin), on finit par se lasser.
Personnellement, je penche pour un mélange de tout ça. On assiste à une mutation profonde du média télévision, plus rapide que prévu.
Et demain ? La télé linéaire est-elle morte ?
Non, pas encore. Mais elle est en soins intensifs. Les chaînes historiques misent de plus en plus sur le replay et leurs plateformes propres (TF1+, 6play, France.tv). Les audiences « live » deviennent presque secondaires pour certaines.
Ce qui est sûr, c’est que les soirées à 4 ou 5 millions pour un simple épisode de série, c’est fini. On entre dans l’ère des 1 à 3 millions maximum, sauf événement exceptionnel (finale de Koh-Lanta, demi-finale de l’Euro, etc.).
Et franchement ? Ça ne me dérange pas tant que ça. Tant que les contenus restent de qualité, qu’on continue à produire des fictions françaises ambitieuses et des documentaires comme ceux d’Arte (qui fait encore 700 000 avec un film allemand mercredi soir, bravo !), je signe.
Mais il va falloir se réinventer. Vite.
Alors, la prochaine fois que vous entendrez quelqu’un dire « Y a rien à la télé », répondez-lui simplement : « Non, y a plus personne devant. »
Et vous, vous avez regardé quoi mercredi soir ? Ou plutôt… vous n’avez rien regardé du tout ? Dites-moi tout en commentaire, ça m’intéresse vraiment.
