Imaginez un gamin qui se lève à 4 ans du matin pour shooter sur un playground glacé de Sevran, juste pour suivre ses grands frères. Trente ans plus tard, ce même gosse est le patron du Zalgiris Kaunas, meilleur passeur de toute l’Euroligue et capable de crucifier n’importe quelle défense sur une seule accélération. Sylvain Francisco n’a pas simplement progressé : il a explosé tous les plafonds qu’on lui avait posés.
Ce jeudi soir, à l’Adidas Arena, il revient « à la maison » affronter Paris Basketball, son ancien club. L’occasion parfaite pour revenir sur le chemin absolument fou de ce meneur de 28 ans qui a transformé chaque galère en carburant.
Les cinq virages qui ont fait de Sylvain Francisco un monstre d’Euroligue
1. Sevran, la nuit, le bitume blanc : là où tout a commencé
Il y a des enfances qui marquent à vie. Celle de Sylvain, c’est la cité des 3000 à Sevran, un des coins les plus durs de Seine-Saint-Denis. Famille angolaise, père qui enchaîne les ménages, mère qui se bat. À 4 ans, il suit déjà ses grands frères Bateko et Lokuli sur le terrain extérieur, celui qu’on appelle « le bitume blanc » parce qu’il ressort comme une lueur dans la nuit.
Quand les émeutes de 2005 éclatent après la mort de Zyed et Bouna, Sylvain a 8 ans. Il voit la violence, les mauvaises fréquentations, les copains qui partent en vrille. Le basket devient sa porte de sortie. Sa seule porte de sortie.
« Je voyais mon frère balayer la neige avec le pied cassé pour shooter, mon père rentrer crevé des ménages… Je me suis juré de nous sortir de là. »
Cette rage, il l’a encore aujourd’hui. Elle explique pourquoi il joue chaque possession comme si c’était la dernière de sa vie.
2. Manresa 2021-2022 : quand l’élève dépasse tous les pronostics
Longtemps, on a collé à Sylvain l’étiquette du « zébulon ultra-athlétique mais trop freestyle ». Rapide comme l’éclair, capable de passer n’importe qui, mais incapable de lire un pick-and-roll proprement, disaient les scouts.
Puis arrive Pedro Martinez à Manresa. Le coach catalan, connu pour faire jouer des équipes modestes au-dessus de leur budget, lui donne un rôle clair : 20-25 minutes en sortie de banc, mais avec la liberté de créer le chaos. Résultat ? Sylvain tourne à plus de 14 points et 4 passes, terrasse le Real et le Barça dans leur salle, et découvre enfin la culture tactique du basket espagnol.
- Première sélection en équipe de France
- Découverte de Nick Calathis et du vrai jeu d’Euroligue
- Abandon progressif du rêve NBA au profit du très haut niveau européen
À partir de là, plus personne ne parle de « potentiel ». On parle d’un mec qui commence à dominer.
3. Peristeri et Vassilis Spanoulis : la rencontre qui change tout
Été 2022. Sylvain signe à Peristeri, en Grèce. Sur le banc ? Un certain Vassilis Spanoulis, tout juste retraité, triple champion d’Euroligue et légende vivante. Deux caractères de feu, deux « killers ». Ça matche immédiatement.
« Quand tu joues avec ton instinct, tu vaux un million. Sans ça, t’es un joueur à 300 dollars. » – Vassilis Spanoulis à Sylvain Francisco
Spanoulis lui apprend la confiance absolue, le move du step-side three, la mentalité Mamba. Un an plus tard, au Bayern Munich, Sylvain pose déjà 10,6 points et 3,2 passes dès sa première saison d’Euroligue. Le déclic est total.
J’ai rarement vu une relation joueur-coach aussi fusionnelle. Spanoulis parle encore de Sylvain comme de son « petit frère ».
4. Mondial 2023 : le tir qui hante… et qui libère
Jakarta, août 2023. Premier grand tournoi avec les Bleus. Sylvain est préféré à Andrew Albicy. Contre la Lettonie, en toute fin de match, Nando se fait expulser, la France est menée de 2. Dernière possession : le ballon arrive dans ses mains.
Le tir à trois points ressort du cercle. Défaite 88-86. Élimination dès le premier tour. Les réseaux s’enflamment, certains le crucifient.
Il a revu la séquence des centaines de fois. Pendant des mois, ça le bouffe. Mais il décide de transformer la douleur en obsession : plus jamais il ne ratera un shoot décisif.
Depuis ? Il en a rentré des dizaines. Dont le plus grand de sa carrière…
5. Juin 2025, Kaunas : le buzzer qui entre dans la légende lituanienne
Finale du championnat lituanien, match 4 contre Rytas Vilnius. Mené de 2, à l’extérieur, 3 secondes à jouer. Lancer franc raté par un coéquipier, remontée de balle express, crossover, step-back à trois points au buzzer.
Panier. Victoire 84-83. Kaunas explose. Le lendemain, titre national et MVP des finales. Sylvain devient officiellement une icône en Lituanie, prolongé jusqu’en 2027.
« Andrea Trinchieri m’a juste dit : fais de la magie. J’ai pas réfléchi. C’est le plus grand shoot de ma vie. »
Aujourd’hui, à mi-saison 2025-2026, il tourne à 16,6 points, leader des passeurs décisifs et 2e à l’évaluation. À 28 ans, il est enfin là où il mérite d’être : tout en haut.
Ce soir, quand il foulera le parquet de l’Adidas Arena, face à Nadir Hifi et Paris Basketball, ce ne sera pas juste un match d’Euroligue. Ce sera le retour du prince de Créteil dans sa ville. Et quelque chose me dit qu’il va encore nous régaler.
Parce que Sylvain Francisco, ce n’est plus une surprise. C’est une certitude.
Et franchement ? Voir un gamin de Sevran dominer l’Europe comme ça, ça fait juste un bien fou au basket français.
