Vous est-il déjà arrivé de regarder le calendrier en vous disant « tiens, on est déjà le 11 décembre et la France n’a toujours pas de budget pour l’année prochaine » ? Non ? Moi oui, et franchement, ça commence à devenir une habitude un peu trop française à mon goût.
Ce jeudi après-midi, l’Élysée a sorti le grand jeu diplomatique : Emmanuel Macron a convoqué les deux présidents des assemblées parlementaires autour d’un café (ou d’un thé, on ne sait pas trop) pour essayer de déminer la bombe à retardement qu’est devenu le projet de loi de finances 2026. Objectif officiel : trouver un terrain d’entente avant la commission mixte paritaire qui doit se tenir la semaine prochaine. Objectif réel : éviter le scénario catastrophe d’un douzième 49.3 consécutif ou, pire, d’un budget adopté par ordonnance au 1er janvier.
Un déjeuner qui sentait la poudre
La scène avait presque quelque chose de surréaliste. Gérard Larcher, Yaël Braun-Pivet et Sébastien Lecornu descendent ensemble les marches de l’Élysée, tout sourire pour les photographes. On aurait dit une photo de famille après un mariage un peu tendu où tout le monde fait bonne figure. Sauf que derrière les sourires de circonstance, les positions restent bétonnées de part et d’autre.
Le Premier ministre, lui, est resté un peu plus longtemps avec le chef de l’État. Vingt minutes supplémentaires qui en disent long. Quand on connaît le personnage – Sébastien Lecornu n’est pas vraiment du genre à traîner pour le plaisir de discuter de la pluie et du beau temps –, on comprend que les discussions ont dû être… animées.
« Il y a aujourd’hui une forme de décalage horaire entre l’Assemblée nationale et le Sénat »
Une expression prêtée au gouvernement qui résume parfaitement la situation
Cette phrase, lâchée il y a quelques jours, a le mérite d’être claire. L’Assemblée, où la majorité relative rend toute négociation compliquée, a purement et simplement rejeté le volet recettes du budget en première lecture. Résultat : la copie gouvernementale est arrivée au Sénat dans un état… disons-le, plutôt mal en point.
Le Sénat, ce gardien du temple budgétaire
À droite, au Palais du Luxembourg, on a pris le texte, on l’a dépoussiéré, restructuré, et surtout, on l’a rendu beaucoup plus à son goût. Plus d’économies, moins de concessions à la gauche, et une ligne clairement affichée : pas question de céder sur l’essentiel.
Le problème ? Le Parti socialiste et écologistes, qui pèsent lourd dans la balance à l’Assemblée, n’ont quasiment rien obtenu. Contrairement au budget de la Sécurité sociale où la suspension (provisoire) de la réforme des retraites a été actée, le PLF reste un texte qui fait mal à gauche saigner du nez.
Résultat des courses : on se retrouve avec deux textes radicalement différents, et une commission mixte paritaire qui s’annonce comme un véritable champ de bataille.
La CMP, ce roulette russe parlementaire
Pour ceux qui auraient oublié comment ça marche (et dieu sait qu’on a eu l’occasion de revoir le cours ces dernières années), la commission mixte paritaire réunit sept députés et sept sénateurs. En théorie, pour trouver un compromis. En pratique… c’est souvent là que tout se joue, ou que tout explose.
Et cette fois, la droite sénatoriale a une carte maîtresse : elle est ultra-majoritaire dans cette instance. Autant dire que la marge de manœuvre du gouvernement est réduite comme peau de chagrin.
- Le gouvernement veut un budget avant le 31 décembre → pression maximale
- Le Sénat ne veut pas lâcher sur les économies → position ferme
- L’Assemblée (surtout la gauche de la gauche) refuse le texte en l’état → blocage
- Résultat → tous les scénarios restent ouverts, y compris les plus extrêmes
Mais au fond, qui a vraiment intérêt à bloquer ?
C’est là que ça devient intéressant. Personne, en réalité, n’a intérêt à aller jusqu’au blocage total.
Le gouvernement ? Il se prendrait de plein fouet l’accusation d’incapacité à gouverner (ce qui, soyons honnêtes, commence à faire beaucoup).
Les Républicains au Sénat ? Ils passeraient pour les responsables d’un éventuel défaut de budget, ce qui serait politiquement suicidaire à deux ans de la présidentielle.
La gauche ? Elle pourrait se vanter d’avoir fait plier le gouvernement… mais au prix d’un budget encore plus à droite que prévu, adopté en force. Pas forcément une victoire éclatante.
Donc tout le monde joue un jeu dangereux : faire semblant de ne pas vouloir céder, tout en sachant qu’il faudra bien trouver un terrain d’entente à un moment donné.
Et si on parlait des vrais sujets qui fâchent ?
Parce que derrière les sourires et les poignées de main, il y a des points de rupture bien identifiés.
La hausse des impôts sur les hauts revenus ? Le Sénat a dit non.
La taxation exceptionnelle des superprofits ? Idem.
Les économies sur les aides aux entreprises ? La droite sénatoriale a sabré dedans.
La revalorisation des petites retraites ou des minimas sociaux ? Très light dans le texte actuel.
Bref, on est loin du compte pour tout le monde.
Le budget de la défense, l’exception qui fait consensus
Il y a quand même un point sur lequel tout le monde tombe d’accord : l’augmentation très conséquente du budget de la défense pour 2026. Le Sénat l’a voté sans hésiter, l’Assemblée devrait suivre. Dans le contexte géopolitique actuel, personne n’ose vraiment jouer avec ça.
C’est peut-être d’ailleurs la seule vraie bonne nouvelle de ce budget : la France continue d’investir massivement dans sa souveraineté militaire. Le reste… on verra.
Alors, verdict ?
Sincèrement ? J’ai du mal à être optimiste.
Oui, Sébastien Lecornu dit qu’il est « persuadé » d’avoir un budget avant le 31 décembre. Oui, tout le monde dit vouloir le compromis. Mais quand on voit l’écart entre les deux textes, et surtout la configuration politique actuelle, on se dit que ça va être très, très compliqué.
Le plus probable ? Un accord au forceps en CMP, avec des concessions des deux côtés, mais qui ne satisfera personne complètement. Le gouvernement sauvera les meubles, la droite sénatoriale pourra dire qu’elle a tenu bon sur l’essentiel, et la gauche criera à la trahison.
Comme d’habitude, en somme.
Mais cette fois, il y a un vrai risque que ça coince vraiment. Et là, on entrera dans l’inconnu. Budget par ordonnance ? Nouveau 49.3 ? Report des discussions à janvier avec un budget reconduit ? Tout est possible.
Une chose est sûre : les prochaines jours vont être passionnants à suivre. Et pas forcément dans le bon sens du terme.
Affaire à suivre, donc. Très étroitement.
