Vous êtes-vous déjà demandé ce qu’il reste d’un village quand le dernier commerce ferme ses portes ?
Plus de pain frais le matin, plus de café où refaire le monde, plus ce petit rien qui fait qu’on se sent chez soi. Dans l’Aube, à une trentaine de kilomètres de Troyes, Pâlis a vécu ça. Boulangerie disparue il y a deux ans, café-brasserie fermé le soir du réveillon 2024. Rideau. Et puis, presque du jour au lendemain, une lumière est revenue s’allumer au cœur du bourg.
Quand les habitants décident de ne plus subir
L’histoire commence avec Emilie. Arrivée dans le coin en 2021, elle cherchait simplement un endroit où croiser du monde autrement qu’au détour d’un rayon de supermarché. Très vite, elle a compris que tout le monde pensait la même chose : il manquait un lieu vivant. Pas forcément un commerce classique – trop risqué, trop cher – mais quelque chose qui ressemble aux gens d’ici.
Elle a découvert le concept des « épiceries participatives », ces magasins gérés par et pour les habitants, sur le modèle associatif. Le principe ? Tout le monde met la main à la pâte quelques heures par mois, les produits viennent directement des producteurs voisins, et on vend à prix coûtant. Ni patron, ni salarié, juste du lien et du bon sens.
L’épi Cajatte : un nom qui claque et un projet qui prend
Début décembre 2025, l’épi Cajatte ouvre enfin ses portes dans un local tout neuf prêté par la mairie. Le nom ? Un clin d’œil au patois local et à la cajette, cette petite caisse en bois qu’on se passait autrefois de voisin à voisin.
En une semaine, 54 familles adhèrent. Pas mal pour un village de 619 âmes. Et attention, adhérer ici, ce n’est pas juste sortir la carte bleue : c’est s’engager à donner un coup de main régulier. Mais rassurez-vous, on parle de deux petites heures par mois en moyenne, créneaux libres, adaptés à chacun.
« L’intérêt, c’est de faire ensemble. C’est comme ça qu’on voit ce qui peut être amélioré, qu’on propose des animations, qu’on crée de la richesse humaine. »
Emilie Meunier, présidente de l’association
Et ça fonctionne. Vraiment.
Des rayons qui sentent bon le terroir… sans marge
Dans les étagères soigneusement fabriquées par les habitants eux-mêmes (récup, dons, system D), on trouve de tout :
- Bières et cidres du village même
- Miels et confitures du coin
- Farines, lentilles, huiles, vinaigres
- Pâtes artisanales, tisanes, ratafia champenois
- Bocaux de légumes et plats préparés
Tout vient de moins de 30 km. Tout est bio ou en agriculture raisonnée. Et surtout : tout est vendu au prix d’achat. Pas de marge, pas d’intermédiaire. Le producteur est payé rubis sur l’ongle chaque mois, selon ce qui a été réellement vendu.
Pour les produits frais (viande, fromage, pain, légumes), c’est sur commande. Vous remplissez votre panier en ligne ou sur le cahier à l’épicerie, et vous venez chercher le jeudi soir ou le samedi matin. Simple, efficace, zéro gaspillage.
Le bénévolat joyeux, ça existe
Jean-Luc, 72 ans, effectue sa première permanence le jour où je passe. Il remplit les rayons, prépare les commandes, discute avec Louisette qui, elle, vient depuis le premier jour.
« J’ai connu ce village très vivant. Il y avait du monde partout. Aujourd’hui, sans ça, on reste chacun chez soi à regarder la télé. Là, au moins, on se parle. »
Jean-Luc, habitant et bénévole
Louisette, elle, fait déjà ses courses chez les producteurs à Troyes. Mais elle avoue : avoir la même qualité à deux pas de chez elle, ça change la vie. Surtout l’hiver, quand la route est verglacée décourage les grandes sorties.
Une cotisation qui s’adapte à chaque portefeuille
L’association a voulu que personne ne reste dehors pour des questions d’argent. Du coup, l’adhésion est progressive :
| Situation | Cotisation annuelle |
| Personne seule ou parent isolé | 10 € |
| Couple sans enfant | 15 € |
| Famille avec enfants | 20 € |
| Résidence secondaire | 5 € |
| Passage (touristes, curieux) | 1 € symbolique |
Autrement dit, tout le monde peut pousser la porte.
Plus qu’une épicerie : un vrai projet de village
Emilie ne cache pas ses rêves un peu fous. Un coin « prix libre » pour les surplus de potager, les œufs des poules du voisin, la lessive faite maison. Un terrain à l’arrière pour organiser un marché de Noël, des concerts l’été, des ateliers enfants pour planter des aromatiques.
Déjà, un petit salon de thé improvisé accueille les adhérents autour d’un café ou d’un jus de pomme. On papote, on échange des recettes, on se découvre des cousins éloignés. Le genre de moments qui n’ont pas de prix.
Et si c’était la solution contre les déserts ruraux ?
Franchement, en visitant l’épi Cajatte, je me suis dit que cette idée pourrait essaimer partout. Parce qu’elle répond à tellement de problèmes à la fois :
- Accès à des produits sains et locaux
- Réduction des trajets en voiture (donc moins de CO2)
- Création de lien social dans des villages qui se vident
- Maintien d’une activité économique sans attendre un repreneur miracle
- Valorisation des savoir-faire du territoire
Et tout ça avec trois fois rien : de la bonne volonté, un local, et un réseau national qui partage gratuitement ses outils informatiques et son expérience.
Dans un pays où on ne compte plus les communes sans aucun commerce, ce modèle associatif et participatif fait figure de bouffée d’oxygène. Il ne remplace pas un boulanger ou un bistrot – rien ne vaut l’odeur du pain chaud à 7 h du matin – mais il redonne le goût de vivre ensemble.
Alors oui, Pâlis a peut-être perdu son école et son café. Mais en lançant son épicerie participative, le village montre qu’il n’a pas dit son dernier mot. Et quelque part, c’est terriblement réconfortant.
Parce que quand les habitants décident de reprendre la main, même un petit bourg de 619 âmes peut redevenir un endroit où il fait bon vivre.
Et vous, dans votre coin, vous laisseriez votre village s’éteindre doucement… ou vous relèveriez vos manches ?
