Imaginez votre enfant qui rentre du collège et vous dit, pour la troisième fois de la semaine : « On n’a pas eu maths aujourd’hui, le prof est absent et personne n’est venu. » Multipliez ça par des centaines de milliers d’élèves. C’est la réalité de trop de familles françaises en 2025.
Les chiffres tombés ce matin sont accablants : 9 % des heures de cours n’ont pas été assurées dans les collèges publics lors de l’année scolaire 2023-2024. Cela représente plus de 10,3 millions d’heures tout simplement volatilisées. On parle bien d’heures prévues dans l’emploi du temps, payées par nos impôts, mais jamais dispensées aux élèves.
Une légère amélioration… qui ne console personne
Certains diront qu’on va mieux qu’il y a deux ans (11,2 % en 2022-2023). Oui, c’est vrai. Mais franchement, passer de « catastrophique » à « très grave », ce n’est pas une victoire. Surtout quand on sait que, par rapport à 2018-2019, on a quand même regagné un point de perdus. Autant dire que la crise n’est pas derrière nous, elle s’est juste un peu maquillée.
Et puis, derrière la moyenne nationale, il y a des écarts énormes. Dans certains établissements d’éducation prioritaire, on grimpe à 11 % d’heures perdues contre 8 % ailleurs. Autrement dit, les élèves qui ont déjà le plus besoin d’un enseignement solide sont ceux qui en reçoivent le moins. C’est rageant.
Pourquoi tant d’heures sautent-elles ?
La réponse est multiple, et elle fait mal.
- Les absences pour maladie ou raisons personnelles (la part la plus importante)
- Les formations continues des enseignants pendant le temps scolaire
- Les jurys d’examens, corrections de copies, sorties scolaires
- Les réunions pédagogiques à rallonge
- Et, plus marginalement, les fermetures ponctuelles d’établissements
Ce qui choque, c’est que 36 % des absences de courte durée sont… institutionnelles. Autrement dit, c’est l’Éducation nationale elle-même qui retire des profs devant les élèves pour les mettre en formation ou en réunion. On marche sur la tête.
« Mettre un prof en formation un mercredi matin alors que les élèves sont en cours, c’est organiser soi-même la perte d’heures. »
– Un chef d’établissement exaspéré que j’ai croisé récemment
Les matières sinistrées
Il y a des disciplines où la situation est carrément alarmante. Le français, les mathématiques, la technologie et surtout l’allemand (oui, l’allemand souffre encore plus que l’espagnol ou l’italien) concentrent une part énorme des heures perdues. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’on ne trouve plus de candidats à ces postes.
J’ai discuté avec une principale de collège en Seine-Saint-Denis il y a quinze jours : elle cherchait un prof d’allemand depuis la rentrée 2023. Elle a fini par obtenir un contractuel… qui a démissionné en novembre. Résultat : les élèves de LV2 allemand n’ont quasiment pas eu aucun cours depuis deux ans. Deux ans.
Le Pacte enseignant : beaucoup de bruit pour pas grand-chose ?
On nous avait vendu le « Pacte » comme la solution miracle : les profs qui acceptent de faire des remplacements de courte durée touchent une prime. Super idée sur le papier. Dans les faits ? La participation est très inégale selon les régions.
Dans certains académies de l’Est ou du Nord, ça marche plutôt bien. Ailleurs, c’est la bérézina. Et surtout, l’argent injecté n’a quasiment rien changé à l’échelle nationale. On a augmenté les crédits… sans baisser significativement les heures perdues. C’est l’histoire du tonneau des Danaïdes de l’Éducation nationale.
Ce que la Cour des comptes propose (et qu’on attend toujours)
Les recommandations sont connues depuis des années, mais elles prennent enfin un tour plus pressant :
- Réduire drastiquement les absences institutionnelles (formations hors temps scolaire, réunions en visio le soir…)
- Développer la bivalence : former les profs à enseigner deux matières pour plus de souplesse
- Mettre en place dès 2026 des primes ciblées pour les zones vraiment difficiles
- Renforcer la prévention santé, notamment les risques psychosociaux (burn-out, dépression…)
Tout ça est logique. Reste à savoir si, cette fois, on passera des paroles aux actes. Parce que, soyons honnêtes, on entend les mêmes propositions depuis 2017.
Et les parents dans tout ça ?
Ils trinquent. Certains calculent eux-mêmes le nombre d’heures perdues de leurs enfants. Dans certains collèges REP+, on arrive à plus de 150 heures perdues par élève sur l’année. C’est presque un mois de cours en moins. Sur quatre ans de collège, ça fait presque une année scolaire complète évaporée.
Et quand on sait que ces absences touchent plus les établissements populaires, on comprend mieux pourquoi les inégalités se creusent encore et encore.
Un problème de société, pas seulement scolaire
Ce qui me frappe, c’est qu’on traite cette crise comme un simple problème technique de gestion RH. Or c’est bien plus profond. Quand un métier perd à ce point son attractivité – salaires stagnants, conditions de travail dégradées, perte de sens, violence scolaire… – il ne faut pas s’étonner que les vocations s’effondrent.
On forme moins de professeurs, ceux qui restent s’épuisent, partent en arrêt ou démissionnent, et le cercle vicieux s’emballe. Résultat : des gamins de 11 à 15 ans qui passent des heures à attendre dans une étude ou devant un DVD parce qu’il n’y a « personne pour les faire travailler ».
Il y a quelque chose de profondément injuste là-dedans.
Et maintenant ?
On peut continuer à mettre des pansements (le Pacte, quelques primes, des contractuels sous-payés) ou on peut enfin s’attaquer au cœur du problème : redonner de l’attractivité au métier, revaloriser vraiment les salaires, protéger la santé des enseignants, simplifier leur quotidien administratif, leur redonner du temps pour préparer leurs cours plutôt que remplir des tableaux Excel à n’en plus finir.
Parce que tant qu’on considérera les profs comme des variables d’ajustement, les élèves, eux, continueront à payer la note. Et c’est eux, demain, qui dirigeront le pays.
Alors oui, 9 % au lieu de 11 %, c’est « mieux ». Mais ce n’est toujours pas acceptable.
Il est temps que ça change. Vraiment.
