Imaginez une ville dynamique, au cœur de l’Auvergne, qui voit peu à peu ses connexions avec le reste du pays s’effilocher comme un vieux tissu. Clermont-Ferrand, avec ses volcans endormis en toile de fond, risque de se transformer en un point final sur la carte ferroviaire française. C’est du moins ce que craignent ses habitants et ses élus, qui observent depuis vingt ans une hémorragie lente mais inexorable de leurs lignes de train.
Je me souviens encore de voyages en train vers des destinations proches, ces trajets simples qui reliaient les territoires sans forcer tout le monde à prendre la voiture. Aujourd’hui, cette réalité semble appartenir à une autre époque pour beaucoup d’Auvergnats. Et pourtant, le combat pour préserver ce qui reste – et peut-être même en récupérer une partie – est plus vif que jamais.
Un réseau qui s’amenuise inexorablement
En deux décennies, ce n’est pas une ou deux, mais bien cinq lignes ferroviaires qui ont disparu autour de Clermont-Ferrand. Chacune de ces fermetures a laissé des traces profondes dans le quotidien des habitants, mais aussi dans l’économie locale et le tourisme régional.
Regardons les faits de plus près. Les dessertes ont été supprimées progressivement, souvent sous prétexte de faible fréquentation ou de coûts d’entretien trop élevés. Mais pour ceux qui dépendaient de ces trains, c’est une partie de leur liberté de mouvement qui s’est évaporée.
Les lignes perdues : un bilan douloureux
Pour bien comprendre l’ampleur du phénomène, il faut remonter le fil des années. Voici les principales connexions qui ont été abandonnées :
- La liaison vers Volvic, coupée en 2007, qui privait une zone industrielle et touristique d’un accès direct.
- Le tronçon Montluçon-Eygurande-Merlines en 2008, isolant davantage l’Allier et la Corrèze.
- Les lignes vers Laqueuille et Le Mont-Dore, fermées respectivement en 2014 et 2015, au cœur du massif du Sancy.
- Enfin, la connexion Thiers-Boën en 2016, qui a purement et simplement supprimé la liaison ferroviaire vers Lyon via Saint-Étienne.
Ces fermetures ne sont pas de simples ajustements techniques. Elles ont modifié la vie de milliers de personnes. Prenez les salariés qui venaient travailler chaque jour à Clermont depuis les zones rurales : beaucoup ont dû se rabattre sur la voiture, augmentant temps de trajet et fatigue.
Le parc naturel et le massif attirent pourtant plus d’un million et demi de visiteurs par an. Sans train, ils n’ont souvent d’autre choix que la route ou des bus inadaptés.
– Un responsable associatif local
Cette citation résume bien la frustration : un potentiel touristique énorme, mais des infrastructures qui ne suivent plus.
L’est et l’ouest particulièrement touchés
À l’ouest de la métropole, les zones du Sancy et des volcans souffrent particulièrement. Des milliers de pendulaires quotidiens, des touristes nombreux… Tout ce monde se retrouve coincé dans les embouteillages ou dépendant d’horaires de bus limités.
À l’est, autour de Thiers et Ambert, c’est l’attractivité économique qui en pâtit. Des entreprises peinent à recruter, des familles hésitent à s’installer quand les déplacements deviennent compliqués. L’absence de liaison directe vers Lyon pèse lourd dans la balance.
On entend souvent dire que ces lignes étaient peu rentables. Peut-être. Mais n’est-ce pas aussi parce qu’elles ont été négligées pendant des années ? Le manque d’entretien régulier a rendu leur réhabilitation de plus en plus coûteuse, créant un cercle vicieux.
La mobilisation citoyenne prend de l’ampleur
Face à cette situation, les associations d’usagers ne restent pas les bras croisés. Elles se réunissent, organisent des événements, et surtout, cherchent des alliés parmi les élus locaux. Le maire de Clermont-Ferrand apporte son soutien actif, conscient que l’avenir de sa ville passe aussi par de bonnes connexions ferroviaires.
Récemment, plusieurs collectifs se sont rassemblés pour faire entendre leur voix. L’objectif ? Montrer que le problème dépasse largement la ligne Paris-Clermont, souvent médiatisée, pour toucher l’ensemble du maillage régional.
Nous ne voulons pas devenir un cul-de-sac. Il y a un vrai besoin de transports collectifs dans ces territoires.
Cette phrase, prononcée par un élu local, résume parfaitement l’enjeu. Ce n’est pas seulement une question de trains : c’est une question d’aménagement du territoire et d’équité entre régions.
Les arguments écologiques au cœur du débat
Un point revient souvent dans les discussions : l’écologie. Comment justifier la fermeture de lignes ferroviaires au moment où l’on prône la réduction des émissions carbone ? Un TER, même peu rempli, pollue moins par passager qu’une multitude de voitures individuelles.
Certains responsables régionaux avancent que des bus modernes seraient plus adaptés et moins polluants que des vieux diesel. Argument recevable en partie, mais qui oublie souvent la capacité et le confort du train, surtout sur des distances moyennes.
Et puis, il y a cette aberration : pour rentabiliser une ligne, il faut l’entretenir et la promouvoir. Quand on laisse les infrastructures se dégrader, la fréquentation baisse mécaniquement. Résultat ? On justifie la fermeture par le faible nombre d’usagers. Classique.
Des lignes encore menacées
Malheureusement, l’histoire n’est pas terminée. D’autres dessertes inquiètent les associations, comme la liaison vers Aurillac dans le Cantal. Cette ligne, vitale pour tout un département, pourrait connaître le même sort si rien n’est fait.
Dans d’autres régions françaises, on voit parfois des réouvertures réussies. Pourquoi pas ici ? Des études montrent que, avec un minimum d’investissement, certaines lignes pourraient redevenir attractives, surtout avec la montée en puissance du télétravail et du tourisme vert.
- Modernisation des voies pour plus de fiabilité
- Meilleure coordination des horaires avec les grandes lignes
- Promotion auprès des touristes et des entreprises
- Partenariats avec les collectivités pour financer l’entretien
Ces pistes existent. Elles demandent juste une volonté politique forte.
Le rôle des collectivités et de la région
La région Auvergne-Rhône-Alpes, compétente en matière de transports, a d’autres priorités. Les routes, notamment, absorbent une large part du budget. Compréhensible dans une région vaste et montagneuse, mais cela ne doit pas se faire au détriment du ferroviaire.
Des maires de communes plus éloignées, jusqu’en Aveyron ou en Lozère, soutiennent la mobilisation clermontoise. Preuve que le problème dépasse largement le Puy-de-Dôme : c’est tout le centre de la France qui risque le désenclavement progressif.
J’ai personnellement l’impression que l’on assiste à un tournant. Soit on accepte cette régression et on condamne des territoires entiers à l’isolement, soit on choisit de réinvestir dans un réseau cohérent et durable.
Et maintenant ? Vers une prise de conscience nationale ?
La visite prochaine d’un haut responsable de la SNCF à Clermont pourrait être l’occasion de mettre ces sujets sur la table. Les associations préparent leurs arguments, appuyées par des élus déterminés.
Au-delà des discours, ce qui compte, ce sont les actes. Réhabiliter une ligne coûte cher, certes. Mais quel est le coût social et environnemental de l’abandon ? C’est la question que beaucoup se posent aujourd’hui.
Dans un pays qui se veut champion de la transition écologique, laisser des régions entières sans alternatives crédibles à la voiture individuelle paraît contradictoire. L’exemple de Clermont-Ferrand pourrait faire jurisprudence, dans un sens ou dans l’autre.
En conclusion – si l’on peut vraiment conclure sur un sujet aussi vivant –, la bataille pour le ferroviaire en Auvergne est emblématique de défis plus larges. Elle oppose vision court-termiste et ambition à long terme, contraintes budgétaires et besoins réels des territoires.
Ce qui se joue ici, c’est rien de moins que l’avenir de la mobilité en zone rurale et périurbaine. Espérons que les décideurs sauront entendre la voix de ceux qui, jour après jour, refusent de voir leur région se transformer en impasse.
Parce qu’au fond, une ville sans trains, c’est un peu une ville sans horizons. Et ça, Clermont-Ferrand ne peut pas se le permettre.
