Imaginez-vous tranquillement assis sur un banc, le vent d’automne qui joue dans les arbres, et soudain une feuille morte qui vous rentre droit dans la bouche. Vous la recrachez machinalement. Et là, paf, deux agents vous tombent dessus avec une amende de presque 300 euros. Ça ressemble à une blague de mauvais goût ? Pourtant, c’est arrivé à un retraité britannique de 86 ans.
Cette histoire, aussi incroyable qu’elle paraisse, soulève un vrai débat : où s’arrête la lutte contre les déchets et où commence l’absurde ?
Quand une feuille morte devient un « délit environnemental »
Les faits se passent début 2025 à Skegness, petite station balnéaire du Lincolnshire, sur la côte est du Royaume-Uni. Roy, 86 ans, souffre d’asthme sévère et de problèmes cardiaques. Malgré cela, il essaye de marcher tous les jours. Ce jour-là, il fait une pause sur un parking public. Une bourrasque lui colle un gros brin de roseau dans la bouche. Réflexe : il le recrache immédiatement.
À peine debout pour repartir, deux agents de la brigade anti-déchets (oui, ça existe vraiment là-bas) l’interpellent. Pour eux, pas de doute : il vient de cracher par terre. Peu importe l’explication, le carnet sort, l’amende tombe : 250 livres, soit environ 285 euros à l’époque.
« J’ai répondu que c’était ridicule, que je n’avais pas craché mais simplement enlevé quelque chose qui m’était entré dans la bouche. L’un des agents m’a traité de menteur. »
Le retraité, encore sous le choc plusieurs mois après
Le pire ? Sa fille raconte qu’une semaine plus tard, alors qu’il se mouche avec un mouchoir, un autre agent lui tape sur l’épaule pour vérifier qu’il n’a pas jeté le papier par terre. Le mouchoir était encore dans sa main. On nage en pleine paranoïa ou quoi ?
Une amende réduite… mais payée quand même
Roy fait appel. Bonne nouvelle : l’amende passe de 250 à 150 livres (171 euros). Mauvaise nouvelle : il doit quand même payer. Pourquoi ? Parce que techniquement, la feuille a touché le sol. Point final.
Pour beaucoup, cette décision ressemble à une victoire à la Pyrrhus. Oui, c’est moins cher, mais le principe reste : un octogénaire malade est sanctionné pour un réflexe humain face à un élément naturel.
Le contexte britannique : la guerre contre les « littering »
Il faut comprendre qu’au Royaume-Uni, la lutte contre les déchets jetés dans l’espace public est devenue une priorité depuis une quinzaine d’années. Les collectivités locales ont le droit d’employer des agents assermentés qui peuvent verbaliser sur le champ. Mégots, chewing-gums, emballages… et parfois, donc, des feuilles mortes.
Le problème ? Certains conseils locaux sous-traitent cette mission à des sociétés privées. Et là, ça sent le business. Plus il y a de PV, plus la société touche d’argent. Un système qui pousse parfois à la verbalisation facile, voire abusive.
- Amende classique pour un mégot : 150 livres
- Pour un emballage de sandwich : jusqu’à 400 livres
- Pour une feuille morte recrachée : 250 livres (réduit à 150)
On atteint des niveaux où même les locaux commencent à râler sérieusement.
Les élus locaux montent au créneau
Adrian Findley, conseiller du comté de Lincolnshire, ne mâche pas ses mots. Il reçoit régulièrement des plaintes similaires : personnes âgées verbalisées pour des paquets de chips qui leur échappent par grand vent, touristes qui jettent un ticket de parking dans la mauvaise poubelle, etc.
« Si je venais en vacances ici et que je prenais 250 livres d’amende pour ça, je ne reviendrais jamais. On ne peut pas demander à une personne de 86 ans de courir après un papier qui s’envole. »
Il demande simplement du bon sens. Un mot qui semble parfois oublié dans certaines brigades.
Le discours officiel : « changer les comportements »
Du côté du conseil de district, on reste sur la ligne dure. L’objectif affiché est clair : « maintenir un environnement propre et sûr » pour habitants et touristes. Les agents, dit-on, n’interviennent que lorsqu’ils constatent une infraction.
Mais dans les faits, le discernement semble variable. Entre l’agent qui verbalise un vieux monsieur pour une feuille et celui qui laisse passer un groupe d’ados qui jettent des canettes, il y a comme un fossé.
Et nous, en France, on en est où ?
On pourrait se dire « c’est un truc de British ». Sauf que chez nous aussi, les amendes pour dépôts sauvages se multiplient. 68 euros minimum, jusqu’à 135 euros à Paris pour un mégot. Des brigades vertes, des caméras, des drones dans certaines villes… On n’est pas si loin du modèle anglais.
J’ai vu récemment une mamie à Lyon se faire verbaliser parce que son sac de courses s’est déchiré et qu’une pomme a roulé sur le trottoir. L’agent n’a rien voulu savoir. « Vous auriez dû la ramasser plus vite ». Elle avait 79 ans.
On marche sur la tête ou c’est moi ?
Le fond du problème : la peur plutôt que l’éducation
Personne ne nie qu’il faut garder nos villes propres. Mais est-ce que la solution, c’est la répression tous azimuts, même quand il n’y a ni intention ni réel impact ?
Quand on sanctionne une feuille morte au même titre qu’un sac de détritus abandonné, on perd en crédibilité. Et surtout, on crée de la rancœur. Les gens ne deviennent pas plus civiques : ils deviennent plus méfiants, plus énervés contre « le système ».
- Un mégot jeté exprès → amende, OK
- Un paquet qui s’envole malgré soi → amende, vraiment ?
- Une feuille recrachée parce qu’elle vous entre dans la bouche → amende à 285 euros ?
Il y a un moment où le « zéro tolérance » devient du zèle pur et simple.
Ce que cette histoire nous dit de notre société
Au-delà de l’anecdote, cette affaire est un symptôme. On vit dans des sociétés où la règle prime sur le contexte, où l’objectif chiffré (nombre de PV) passe avant le bon sens.
Et les premières victimes ? Souvent les plus fragiles : personnes âgées, personnes en situation de handicap, touristes qui ne maîtrisent pas toutes les subtilités locales.
Je ne dis pas qu’il faut tout laisser passer. Mais peut-être qu’un simple « Attention monsieur, ramassez-la s’il vous plaît » aurait suffi dans 99 % des cas comme celui de Roy.
Vers un retour du discernement ?
Certains élus britanniques commencent à bouger. Des propositions circulent pour obliger les agents à justifier chaque verbalisation quand elle concerne des personnes vulnérables ou des cas manifestement accidentels.
En attendant, l’histoire de ce retraité a fait le tour des réseaux sociaux outre-Manche. Des milliers de commentaires entre colère et découragement. Beaucoup disent la même chose : « Si même une feuille morte n’est plus tolérée, où va-t-on ? »
Une question qu’on ferait bien de se poser aussi de ce côté de la Manche avant que le ridicule ne devienne la norme.
Alors oui, on veut des villes propres. Mais non, pas à n’importe quel prix. Surtout pas au prix du bon sens et de l’humanité.
Parce qu’à force de tout réglementer, tout sanctionner, on finit par sanctionner la vie elle-même. Et là, franchement, on a perdu l’essentiel.
