Imaginez-vous un vendredi soir, lumière tamisée, basses qui font vibrer les côtes, et tout autour de vous… des requins qui tournoient lentement derrière des parois de verre. C’est exactement ce que proposait l’Aquarium de Paris depuis des années dans ses sous-sols du Trocadéro. Un concept aussi fascinant que controversé. Et puis, un jour, la musique s’arrête net. Plus de piste, plus de DJ, plus de cocktails servis sous le regard impassible des raies pastenagues. La justice vient de frapper fort.
Jeudi dernier, le tribunal administratif a purement et simplement ordonné la fin des soirées dansantes. Pas dans six mois, pas après négociation : immédiatement. Et si l’établissement traîne des pieds, la menace est claire : fermeture totale. Retour sur une saga judiciaire qui mêle fête, éthique et politique.
Quand la nuit parisienne rencontre le monde du silence
Il faut se replonger quelques années en arrière pour comprendre comment on en est arrivé là. À l’époque, transformer un aquarium en club éphémère semblait être l’idée la plus folle et la plus géniale du Paris nocturne. Plus de deux mille personnes pouvaient se déhancher dans ce décor irréel, entre bassins géants et tunnel transparent où évoluaient des dizaines d’espèces marines.
Le concept faisait rêver les uns, grincer des dents les autres. Parce que derrière l’expérience « immersive » se posait une question simple, mais brutale : est-ce que des poissons, des requins et des méduses supportent vraiment la musique à fond, les lumières stroboscopiques et la foule en transe jusqu’à l’aube ?
Une loi votée en 2021 qui a tout changé
Tout bascule avec la loi du 30 novembre 2021 contre la maltraitance animale. Un texte ambitieux, porté par une prise de conscience collective. Parmi les mesures phares, un article court mais sans ambiguïté : il est désormais interdit de présenter des animaux, qu’ils soient domestiques ou sauvages, dans des discothèques.
Sur le papier, ça semble évident. Dans la réalité, certains établissements ont continué en estimant qu’ils n’étaient pas vraiment des « boîtes de nuit » mais des lieux culturels qui organisaient parfois des événements festifs. L’Aquarium de Paris faisait partie de ceux-là.
« Lorsque des événements sont principalement dédiés à la diffusion de musique amplifiée et à la danse, l’établissement doit être qualifié de discothèque au sens du code de l’environnement. »
Extrait du jugement du tribunal administratif
Le tribunal n’a pas fait dans la dentelle : peu importe le nom qu’on se donne, si on fait danser les gens jusqu’à 6 heures du matin avec des animaux autour, on tombe sous le coup de la loi. Point final.
Des années de mobilisation associative
Derrière cette victoire judiciaire, il y a des femmes et des hommes qui n’ont rien lâché. Depuis 2023, les manifestations se sont multipliées devant les grilles du Trocadéro. Pancartes, mégaphones, happenings spectaculaires : les associations ont tout tenté pour alerter l’opinion publique.
Elles dénonçaient les nuisances sonores, les vibrations, les changements brutaux de lumière qui stressent les animaux captifs. Des études scientifiques, souvent méconnues du grand public, montrent que les poissons perçoivent parfaitement les basses fréquences et que le stress chronique peut être mortel à long terme.
- Manifestations nocturnes devant l’entrée
- Pétitions ayant récolté des dizaines de milliers de signatures
- Saisines répétées de la préfecture de police
- Interpellations du Conseil de Paris
- Actions en justice successives
Et puis un jour, la justice a fini par entendre. Le refus initial de la préfecture de police d’agir a été jugé illégal. C’est ce qu’on appelle un camouflet.
Le lieu appartient à la Ville de Paris : un détail qui change tout
Petit rappel qui a son importance : les murs et les bassins appartiennent à la municipalité parisienne. L’exploitant est en délégation de service public. Autrement dit, la Ville loue son aquarium à une entreprise privée qui en assure la gestion.
Déjà en février 2024, le Conseil de Paris avait voté un vœu – certes symbolique – demandant une réduction drastique de ces soirées, avec une interdiction totale prévue lors du renouvellement du bail en 2035. La justice vient de rendre cette échéance caduque : c’est maintenant que ça s’arrête.
Franchement, on peut se demander pourquoi il a fallu attendre une décision de justice pour que la puissance publique bouge. Mais bon, mieux vaut tard que jamais.
Et les animaux dans tout ça ?
On parle beaucoup de fête, de droit, de business. Mais les principaux concernés restent muets – forcément. Les requins bouledogues, les raies, les murènes n’ont pas eu leur mot à dire. Pourtant, c’est pour eux que tout a commencé.
Les associations avancent des arguments solides. Les vibrations des basses se propagent extrêmement bien dans l’eau. Les flashs lumineux brutaux perturbent les rythmes circadiens. Le stress répété affaiblit les systèmes immunitaires. Et on pourrait continuer longtemps.
« L’industrie de la captivité est prête à tout pour faire du profit, même à transformer des êtres vivants en décor de soirée. »
Une responsable associative, juste après le jugement
Le plus troublant ? Quand on visite l’aquarium en journée avec des enfants, on nous parle pédagogie, respect de la faune marine, sensibilisation à la protection des océans. Et le soir, le même lieu devient un club où l’on sert des cocktails à 15 euros devant des animaux stressés. Il y avait comme un goût de schizophrénie.
Quelles conséquences pour la nuit parisienne ?
Alors oui, une page se tourne. Mais soyons honnêtes : l’Aquarium-Club ne représentait qu’une petite partie de l’offre nocturne parisienne. Il y aura toujours des rooftops, des clubs underground, des péniches. La fête ne va pas s’arrêter.
Cela dit, cette décision fait jurisprudence. D’autres lieux hybrides – zoos, delphinariums, parcs animaliers qui organisent parfois des événements festifs – pourraient se retrouver dans le collimateur. On assiste peut-être au début d’une prise de conscience plus large.
Vers une nuit plus éthique ?
Personnellement, je trouve que cette affaire pose une question de fond : jusqu’où peut-on monétiser le vivant ? Transformer des animaux en décor vivant pour vendre plus de bouteilles de champagne, est-ce vraiment le Paris qu’on veut ?
Il existe déjà des clubs incroyables avec des décors fous, des mappings vidéo époustouflants, des expériences immersives sans qu’il soit besoin d’enfermer des requins pour impressionner les clients. La créativité n’a pas besoin de captivité pour s’exprimer.
Et si cette décision était finalement une bonne nouvelle pour tout le monde ? Pour les animaux, évidemment. Mais aussi pour l’image de Paris, qui peut montrer qu’elle sait allier fête et responsabilité.
Et maintenant ?
Les associations ont déjà prévenu : elles seront vigilantes. Des visites inopinées sont prévues. Toute tentative de contourner la décision – en baissant un peu le son ou en éteignant quelques basses – sera scrutée à la loupe.
L’exploitant, lui, n’a pas encore communiqué officiellement. Va-t-il faire appel ? Tenter de redéfinir son activité ? Transformer l’espace en salle de concert plus soft ? L’avenir le dira.
En attendant, une chose est sûre : la prochaine fois que vous irez admirer les poissons au Trocadéro, ce sera dans le calme. Et peut-être que c’est mieux comme ça. Parfois, le silence vaut toutes les basses du monde.
Cette affaire illustre parfaitement l’évolution de notre société : on accepte de moins en moins de faire passer le divertissement avant le respect du vivant. Et vous, qu’en pensez-vous ? La fête doit-elle forcément rimer avec éthique ? Les commentaires sont ouverts.
