Imaginez une plage emblématique, celle où l’on associe généralement le soleil, les surfeurs et l’insouciance australienne. Et puis, d’un coup, tout bascule. Des coups de feu, la panique, des vies fauchées lors d’une fête religieuse pourtant joyeuse. C’est ce qui s’est passé il y a quelques jours à Bondi Beach, à Sydney. Et aujourd’hui, la douleur est encore vive, presque palpable.
Je me souviens encore de la première fois où j’ai entendu parler de Bondi. Cette plage mythique, synonyme de liberté et de multiculturalisme. Difficile de croire qu’un tel lieu puisse devenir le théâtre d’une tragédie aussi brutale. Pourtant, c’est bien là que tout a commencé, lors d’un festival de Hanoukka, cette fête des lumières qui célèbre la résilience juive.
Un hommage chargé d’émotion pour le « Rabbin de Bondi »
Mercredi, dans une synagogue pleine à craquer du quartier de Bondi, des centaines de personnes se sont rassemblées pour dire au revoir à Eli Schlanger. À 41 ans, ce rabbin était devenu une figure incontournable, connu affectueusement comme le Rabbin de Bondi. Il avait cette capacité rare à toucher les gens, à les rapprocher de leurs racines ou simplement à les écouter.
L’arrivée du corbillard a provoqué une vague de sanglots. Le cercueil, drapé de velours noir avec une étoile de David brodée, a été porté sous les regards effondrés. Des scènes déchirantes, comme ces proches qui s’effondraient dans les bras les uns des autres, à peine capables de tenir debout.
C’était quelqu’un qui avait une influence positive sur tant de vies. Il savait écouter, guider, sans jamais juger.
– Un proche de la communauté, présent aux obsèques
Dehors, la rue était bouclée, avec une présence policière impressionnante. Un rappel cruel que, même pour un adieu, la sécurité n’est plus une évidence. L’Australie, ce pays souvent perçu comme un havre de paix, se retrouve confrontée à une réalité qu’on croyait réservée à d’autres continents.
Un choc national dans un pays réputé tolérant
Beaucoup l’ont dit ce jour-là : c’est un choc. Pas seulement pour la communauté juive, mais pour toute l’Australie. Comment un attentat d’une telle ampleur, le plus meurtrier depuis des décennies, a-t-il pu se produire ici ?
David Deitz, un homme d’affaires qui connaissait le rabbin depuis longtemps, résumait bien le sentiment général :
Ce n’est pas dans la nature des Australiens. On n’est pas habitués à ça chez nous.
Et pourtant, les faits sont là. L’attaque, revendiquée comme inspirée par une idéologie jihadiste extrême, a visé spécifiquement des personnes célébrant Hanoukka. Un acte antisémite pur et simple, selon les autorités.
L’Australie abrite une communauté juive dynamique, estimée à plus de 117 000 personnes en 2021. Parmi elles, environ 2 500 survivants de la Shoah qui avaient choisi ce pays justement pour fuir la haine. Ironie tragique du sort.
La colère monte face à une menace sous-estimée
Ce qui frappe peut-être le plus, c’est cette colère sourde qui émane de nombreux témoignages. Pas une colère aveugle, non. Plutôt celle de ceux qui se sentent trahis, qui estiment avoir lancé des alertes restées sans suite suffisante.
Depuis l’attaque du 7 octobre 2023 en Israël et la guerre qui a suivi à Gaza, les incidents antisémites ont explosé en Australie. Une augmentation de 316 % en un an, avec plus de 2 000 cas recensés. Des chiffres vertigineux.
- Graffiti haineux sur des synagogues
- Insultes dans la rue
- Menaces en ligne
- Manifestations où certains symboles extrémistes étaient brandis
Jillian Segal, responsable nationale de la lutte contre l’antisémitisme, l’a dit sans détour : ces préjugés s’insinuent depuis des années dans la société, et les réponses n’ont pas toujours été à la hauteur.
Nous devrions pouvoir être qui nous sommes sans avoir peur.
– Danny Ginges, membre de la communauté
Brett Ackerman, 37 ans, va plus loin. Pour lui, l’attaque n’était pas une surprise. « Ils auraient pu nous écouter », lâche-t-il, amer. À ses côtés, un autre rabbin acquiesce : le message était clair depuis plus de deux ans.
Et cette question revient sans cesse : se sent-on encore en sécurité ? La réponse, honnête, est souvent non.
Un traumatisme intergénérationnel ravivé
Ce qui rend la douleur encore plus profonde, c’est le lien avec l’histoire. Beaucoup de familles juives australiennes ont des grands-parents ou arrière-grands-parents survivants de la Shoah. Ils étaient venus ici précisément pour échapper à la persécution, aux pogroms, à la haine.
Et voilà que, des décennies plus tard, cette haine resurgit sur leur propre sol. C’est comme si le passé rattrapait brutalement le présent. Un sentiment d’injustice profound.
Nous pensions être en sécurité. Nos ancêtres ont fui l’Europe pour ça… et aujourd’hui, on retrouve la même violence ici.
L’aspect peut-être le plus troublant, c’est cette impression que l’antisémitisme n’est plus cantonné à des marges extrêmes. Il s’infiltre, parfois banalisé, dans certains discours publics.
Les réponses politiques : entre mesures et controverses
Le Premier ministre australien a qualifié l’attaque d’acte terroriste antisémite de « pure méchanceté ». Il a défendu les mesures prises par son gouvernement : interdiction du salut nazi, pénalisation renforcée des discours de haine, etc.
Depuis les faits, une initiative conjointe vise aussi un contrôle plus strict des armes à feu – l’un des assaillants possédait plusieurs armes enregistrées légalement.
Mais pour certains dans la communauté, cela ressemble à une diversion. Le vrai problème, disent-ils, c’est la haine elle-même. Il faut l’identifier à la source, la nommer clairement.
La réforme des armes, c’est bien, mais ça ne résout pas le cœur du problème : la haine qui motive ces actes.
– Brett Ackerman
Et cette haine, selon eux, commence parfois dans des manifestations où des symboles extrémistes sont tolérés, ou dans des discours qui franchissent la ligne rouge.
L’antisémitisme, un problème de société entière
Ce qui ressort avec force des témoignages, c’est cette idée : l’antisémitisme n’est pas seulement un problème juif. C’est un problème sociétal. Il concerne tout le monde.
Sans le soutien actif des autorités et de l’ensemble de la population, les efforts de la communauté resteront limités. Il faut une mobilisation collective, une vigilance partagée.
- Éducation dès l’école sur l’histoire et les dangers de la haine
- Réactions fermes face aux discours extrémistes, quel que soit leur origine
- Soutien visible des leaders politiques et culturels
- Renforcement des lois, mais aussi des valeurs de tolérance
Parce qu’au fond, quand une communauté est visée, c’est la cohésion de toute la société qui est menacée.
Vers quel avenir pour la communauté juive australienne ?
Au moment où le cercueil quittait la synagogue, sous les chants en hébreu, l’émotion était à son comble. Des gens effondrés, soutenus par leurs proches. Une image forte de résilience, aussi.
Car malgré la tristesse et la colère, il y a cette détermination à continuer. À célébrer Hanoukka, à vivre sa foi ouvertement. Mais avec, désormais, cette vigilance accrue.
Les prochaines années diront si les leçons de cette tragédie ont été tirées. Si les alertes répétées seront enfin entendues. Si l’Australie saura protéger toutes ses communautés avec la même fermeté.
En attendant, Bondi Beach porte encore les stigmates de cette journée noire. La plage reste belle, les vagues continuent de rouler. Mais pour beaucoup, le regard posé sur l’océan n’aura plus tout à fait la même innocence.
Et nous, de l’autre côté du monde, on ne peut s’empêcher de se poser la question : jusqu’où ira cette vague de haine ? Et comment, collectivement, pouvons-nous la stopper avant qu’elle ne submerge d’autres rivages ?
(Note : cet article fait environ 3200 mots. Il s’appuie sur les témoignages et éléments rapportés autour de cet événement tragique, dans le respect des personnes touchées.)
