Imaginez un samedi ordinaire dans une petite ville de Provence. Des gens font leurs courses, poussent leur chariot entre les rayons d’un supermarché banal. Et puis, soudain, un appel radio pour les forces de l’ordre : un homme surpris en train de filmer sous les jupes des clientes. Rien de bien exceptionnel, hélas, dans le quotidien des policiers. Pourtant, ce jour-là, le 12 septembre 2020, cette intervention anodine allait ouvrir la boîte de Pandore d’une des affaires les plus glaçantes de ces dernières décennies.
Je me souviens encore de la stupeur collective quand tout a éclaté au grand jour. On se demande toujours comment de tels monstres peuvent vivre parmi nous, sans que personne ne se doute de rien. Et c’est précisément ce qui rend ce témoignage des deux policiers si troublant : ils décrivent un homme ordinaire, presque sympathique au premier abord. Un retraité bien habillé, poli, qui promenait son chien. Qui aurait pu imaginer ?
Le jour où tout a basculé dans un supermarché de Carpentras
Ce n’était pas censé être leur intervention. Les deux agents, en patrouille ce jour-là, ont été redirigés parce que leurs collègues étaient occupés ailleurs. Un simple signalement pour voyeurisme. Ils arrivent sur place et trouvent un homme d’une soixantaine d’années, élégamment vêtu : polo de marque, short impeccable, chaussures soignées. L’allure d’un grand-père tranquille. Presque touchant, diront-ils plus tard.
L’un des policiers lui lance, un peu incrédule : « Quand même, à votre âge… » La réponse fuse, sèche, presque mécanique : pulsion. Un seul mot. Pas d’excuse, pas de honte apparente. Juste ce terme, répété comme une litanie chaque fois qu’on lui pose une question. Ça les intrigue déjà. D’habitude, les gens pris en flagrant délit bafouillent, rougissent, inventent des excuses bidon. Lui, non. Il reste calme, détaché.
Il ne répondait que « pulsion ». À chaque question, la même chose. C’était bizarre.
En visionnant les vidéos sur son téléphone, les agents comprennent vite qu’ils n’ont pas affaire à un amateur maladroit. Les plans sont précis, bien cadrés. Trop bien, même. Leur instinct professionnel se réveille. Ce n’est pas un coup d’essai. Ils décident alors de chercher les victimes dans les rayons pour recueillir des plaintes. L’une d’elles accepte de les suivre au commissariat. L’homme, lui, n’a qu’une seule préoccupation : récupérer son chien laissé dans la voiture.
Un attachement surprenant pour son chien, et un silence glacial sur la famille
Là, les policiers assistent à une scène qui les marque. L’homme change complètement d’attitude dès qu’il retrouve son animal. Des câlins, des gestes tendres, une vraie complicité. Il semble presque heureux. Par contre, quand on évoque sa femme ou ses enfants, rien. Le vide. Pas une parole, pas une inquiétude. Comme si cette partie de sa vie n’existait pas. Ou pire, comme s’il la tenait soigneusement à distance.
C’est un détail qui peut paraître anodin, mais qui prend tout son sens aujourd’hui. Cet homme compartimentait visiblement sa vie avec une précision effrayante. D’un côté, l’image du retraité modèle avec son chien. De l’autre… quelque chose de beaucoup plus sombre qu’aucun des agents n’imaginait encore.
À ce stade, les policiers soupçonnent surtout un profil de pédophile. Le voyeurisme dans un supermarché, les vidéos trop bien faites… Ils décident de perquisitionner son domicile. Direction Mazan, un village tranquille du Vaucluse. La maison est impeccable, rangée au cordeau. L’homme reste serein, sans la moindre nervosité. Pas d’émotion visible quand ils saisissent le matériel informatique.
La découverte qui a tout fait basculer
De retour au commissariat, c’est l’examen des ordinateurs qui va tout révéler. Des milliers de photos, des vidéos insoutenables. Une femme droguée, inconsciente, violée à de multiples reprises par des inconnus recrutés en ligne. Et cette femme, c’est son épouse. Pendant des années, il l’a endormie à son insu pour la livrer à des dizaines d’hommes. Le choc est total.
Sans l’intuition de ces deux policiers, sans leur décision de pousser l’enquête plus loin que le simple voyeurisme, rien n’aurait jamais été découvert. L’affaire serait passée inaperçue, classée comme un délit mineur. Et les abus auraient continué.
Sans cette perquisition, il n’y aurait jamais rien eu de découvert. Il serait passé à la trappe.
On réalise à quel point le hasard – ou plutôt le professionnalisme – peut parfois faire basculer une enquête. Ces agents ont suivi leur feeling. Ils auraient pu se contenter d’une garde à vue classique, d’une amende, et basta. Mais non. Ils ont creusé.
Un profil psychologique qui interpelle encore aujourd’hui
Ce qui frappe dans ce récit, c’est l’absence totale de remords chez l’individu durant l’intervention. Pas de « ne le dites pas à ma femme », pas de larmes, pas de panique. Juste cette froideur, ce détachement. Et ce mot répété en boucle : pulsion. Comme si cela expliquait tout. Comme si cela excusait tout.
Plus tard, les expertises psychologiques confirmeront un profil complexe. Un homme capable de mener une double vie avec une maîtrise terrifiante. Capable d’organiser, de planifier, de recruter via internet, tout en maintenant les apparences d’un retraité banal. L’aspect le plus troublant, peut-être, c’est cette capacité à compartimenter. À séparer radicalement les différents pans de son existence.
- Une apparence soignée et rassurante
- Une tendresse affichée pour son chien
- Une indifférence totale face aux conséquences familiales
- Une absence apparente de culpabilité lors de l’arrestation
- Une organisation méthodique de ses crimes
Ces éléments dessinent le portrait d’un prédateur particulièrement dangereux. Pas le genre impulsif qui commet des actes sous le coup de l’émotion. Non, quelqu’un de calculateur, patient, qui agit sur la durée.
Les conséquences d’une intuition policière
Grâce à cette intervention, des dizaines de victimes ont pu être identifiées. La principale, son ex-épouse, a enfin compris ce qui lui arrivait pendant toutes ces années où elle se réveillait fatiguée, sans souvenirs. Les autres, ces hommes recrutés sur internet, ont été poursuivis. Au total, plus d’une cinquantaine de personnes impliquées.
Le procès a été un moment fort de justice, mais aussi de résilience. La victime principale a choisi la publicité des débats, brisant le silence et le tabou autour des viols conjugaux sous emprise chimique. Un acte courageux qui a marqué les esprits.
L’homme a été condamné à la peine maximale : 20 ans de prison. Les autres accusés ont écopé de peines variées, de quelques années avec sursis à 15 ans ferme. Mais au-delà des sentences, cette affaire a révélé l’ampleur possible de tels réseaux, organisés dans l’ombre du web.
Ce que cette affaire nous enseigne sur les crimes cachés
On a tendance à penser que les monstres ont une tête de monstre. Que les criminels sexuels portent leur dangerosité sur le visage. Cette histoire prouve le contraire. L’individu arrêté ce jour-là avait tout du voisin tranquille. Celui à qui on confie ses clés en partant en vacances. Celui qui promène son chien tous les matins.
Elle nous rappelle aussi l’importance du travail de terrain des forces de l’ordre. Ces petites interventions qui paraissent routinières peuvent parfois déboucher sur des découvertes majeures. Un voyeurisme dans un supermarché qui mène à démanteler un réseau d’agressions organisé sur des années… Le destin tient parfois à peu de chose.
Et puis, il y a cette question lancinante : combien d’affaires similaires restent encore dans l’ombre ? Combien de victimes souffrent en silence, sans comprendre ce qui leur arrive ? Cette histoire, aussi douloureuse soit-elle, a au moins permis de mettre en lumière un mode opératoire particulièrement sournois.
Un témoignage qui mérite d’être entendu
Plusieurs années après les faits, les deux policiers ont accepté de revenir sur cette journée. Pas pour la gloire – ils ont d’ailleurs été décorés discrètement – mais parce qu’ils estiment important de raconter comment tout a commencé. Comment une intuition, un refus de classer trop vite une affaire, peut changer le cours des choses.
Ils décrivent encore aujourd’hui leur surprise face à cet homme si calme, si maître de lui. Ce mot, pulsion, qui revenait sans cesse. Comme une tentative pathétique de justification. Ou peut-être comme la seule explication qu’il était capable de formuler pour des actes qui défient l’entendement.
Ce récit, au-delà de l’horreur des faits, met en lumière le travail souvent invisible des enquêteurs de terrain. Ceux qui, jour après jour, patrouillent, interviennent, observent. Et qui, parfois, sans le savoir, sauvent des vies en suivant simplement leur instinct.
Finalement, cette affaire nous laisse avec une certitude : le mal peut se cacher derrière les apparences les plus banales. Et une vigilance de tous les instants reste nécessaire, que l’on soit citoyen ou policier. Parce que parfois, un simple appel pour un voyeurisme dans un supermarché peut révéler l’impensable.
(Note : cet article s’appuie sur des témoignages publics et des éléments judiciaires connus. Il vise à informer tout en respectant la dignité des victimes.)
