Imaginez-vous au volant, en route pour les vacances de Noël, et soudain, un barrage de tracteurs vous oblige à faire demi-tour. C’est la réalité que vivent des milliers d’automobilistes dans le Sud-Ouest ces derniers jours. La dermatose nodulaire contagieuse, cette maladie qui touche les bovins, a mis le feu aux poudres chez les agriculteurs. Et franchement, on comprend leur ras-le-bol.
Ce n’est pas tous les jours qu’une épidémie animale déclenche une telle mobilisation. Pourtant, depuis plusieurs semaines, les éleveurs descendent dans les rues – ou plutôt sur les routes – pour dire stop à une politique qu’ils jugent brutale et inefficace. Abattages massifs ou vaccination ? Le débat fait rage, et les barrages tiennent bon.
Une mobilisation qui refuse de plier avant les fêtes
Dimanche 21 décembre, la situation reste tendue. Même si le nombre d’actions a diminué par rapport aux jours précédents, une poignée de barrages stratégiques résiste encore, surtout dans le Sud-Ouest. L’A63 près de Bordeaux, l’A64 entre Toulouse et Bayonne, ou encore l’A65 vers Pau : ces axes majeurs restent perturbés. Et les agriculteurs ne semblent pas prêts à lâcher prise pour autant.
J’ai suivi ce genre de mouvements par le passé, et ce qui frappe toujours, c’est cette détermination tranquille. Pas de violence, mais une présence inébranlable. Des feux de palettes, des barnums installés, des repas partagés : ces barrages ressemblent presque à des camps retranchés où l’on tient bon, coûte que coûte.
Des points de blocage qui tiennent bon
À Cestas, au sud de Bordeaux, le barrage dure depuis une semaine entière. Les éleveurs locaux ont même rouvert une bretelle pour laisser passer les vacanciers dans un sens, un geste de bonne volonté qui montre qu’ils ne veulent pas pénaliser tout le monde. Mais le message reste clair : pas de recul sur le fond.
On en est toujours au statu quo. On attend des réponses concrètes, pas seulement sur la dermatose, mais aussi sur la crise qui touche d’autres productions.
– Un porte-parole des manifestants à Bordeaux
Plus au sud, à Carbonne en Haute-Garonne, c’est déjà le dixième jour. Les agriculteurs se relaient, organisent leur vie sur place. Grand écran pour suivre les matchs, cuisiniers improvisés : ils ont transformé l’épreuve en une forme de solidarité quotidienne. « On peut tenir longtemps », confient-ils. Et quand on voit leur installation, on veut bien le croire.
Certains blocages ont été levés, comme sur la RN20 en Ariège après dix jours intenses. Mais attention, ce n’est pas une capitulation. De nouvelles actions sont déjà annoncées, même si les appels à une trêve de Noël se multiplient du côté des autorités.
Qu’est-ce que la dermatose nodulaire contagieuse, au juste ?
Pour bien comprendre la colère, il faut d’abord saisir de quoi on parle. La dermatose nodulaire contagieuse (DNC) est une maladie virale qui touche les bovins. Elle provoque des nodules sur la peau, de la fièvre, une baisse de production laitière et parfois des complications graves. Transmise par des insectes vecteurs, elle n’est pas zoonotique – autrement dit, elle ne se transmet pas à l’homme – mais elle peut décimer un troupeau.
Arrivée récemment sur le territoire, elle a déclenché une réponse sanitaire forte : abattage total des cheptels infectés dans un rayon donné, pour endiguer la propagation. C’est précisément cette mesure radicale qui met le feu aux poudres. Pour beaucoup d’éleveurs, voir des animaux sains abattus parce qu’ils sont voisins d’un cas positif, c’est tout simplement inacceptable.
- Apparition de nodules cutanés caractéristiques
- Baisse importante de la production laitière
- Fièvre et amaigrissement chez les animaux touchés
- Transmission principalement par des insectes piqueurs
- Pas de danger pour la santé humaine
Ces symptômes, bien que graves pour l’exploitation, ne justifient pas selon eux une politique de la terre brûlée. D’autant que des alternatives existent, comme la vaccination, même si son efficacité fait débat.
Vaccination ou abattage : le cœur du conflit
Le gouvernement mise sur une double stratégie : abattage préventif autour des foyers et vaccination prioritaire dans les zones à risque. Dans certains départements touchés, les taux de vaccination progressent – on parle de chiffres encourageants dans les Pyrénées-Orientales ou l’Aude. Mais globalement, dans le Sud-Ouest, à peine une vache sur cinq serait protégée pour l’instant.
Les syndicats majoritaires dans la mobilisation, comme la Coordination rurale et la Confédération paysanne, rejettent fermement les abattages massifs. Pour eux, la vaccination devrait être la priorité absolue, avec des protocoles adaptés plutôt que des mesures brutales qui ruinent des exploitations entières en une décision administrative.
De l’autre côté, d’anciens responsables du secteur défendent la ligne dure. Ils estiment que seule l’éradication rapide peut protéger l’ensemble du cheptel national et éviter une propagation incontrôlable. Diviser les rangs maintenant, disent-ils, serait une erreur stratégique guidée par l’émotion plutôt que par la raison sanitaire.
Il faut rester unis derrière les mesures nécessaires, même si elles sont douloureuses. L’émotion ne doit pas guider la stratégie sanitaire.
– Des voix expertes du monde agricole
Le dilemme est cruel : protéger l’économie agricole globale ou préserver les exploitations individuelles ? Beaucoup d’éleveurs se sentent sacrifiés sur l’autel de la sécurité collective.
Une crise qui dépasse la seule maladie
Ce qui rend cette mobilisation si tenace, c’est qu’elle charrie bien plus que la question de la dermatose. Derrière les barrages, il y a des années de frustrations accumulées. Prix du lait en berne, charges administratives écrasantes, concurrence déloyale, crises successives : la DNC n’est que la goutte d’eau.
Dans certaines régions, les viticulteurs se joignent au mouvement, touchés par leurs propres difficultés. On parle de crise viticole, de sécheresse, de marchés saturés. Les agriculteurs ne manifestent pas seulement contre une mesure sanitaire ; ils crient leur ras-le-bol d’une politique agricole qu’ils estiment déconnectée de leur réalité quotidienne.
Et puis il y a cet aspect humain, presque poignant. Perdre un troupeau, même indemnisé, ce n’est pas seulement perdre un revenu. C’est voir partir des années de sélection génétique, d’attachement aux bêtes, de transmission familiale. Certains éleveurs parlent de leurs vaches comme d’une partie de leur vie. Difficile de rester insensible à ça.
Les conséquences sur la circulation et les fêtes
Pendant ce temps, les automobilistes trinquent. Les grands départs de Noël sont perturbés, les itinéraires bis saturés. Les autorités routières conseillent de reporter les trajets ou de contourner largement les zones concernées. Mais pour beaucoup, c’est compliqué.
Certains barrages laissent passer les véhicules légers, d’autres non. L’information circule heure par heure. Et si la majorité des Français comprennent la détresse agricole, la fatigue commence à poindre chez ceux qui se retrouvent bloqués des heures.
Et maintenant, vers une sortie de crise ?
Mardi s’annonce décisif. Des discussions sont attendues, des réponses promises. Les agriculteurs restent sur leurs gardes : ils ont déjà entendu beaucoup de promesses. Tenir jusqu’à Noël ou lever les barrages pour les fêtes ? La question divise même en interne.
Ce qui est sûr, c’est que cette mobilisation aura marqué les esprits. Elle rappelle que derrière nos assiettes, il y a des hommes et des femmes qui luttent pour survivre dans un métier de plus en plus difficile. Et peut-être que cette crise, aussi douloureuse soit-elle, permettra enfin d’ouvrir un vrai dialogue sur l’avenir de l’élevage en France.
En attendant, les feux des barrages brûlent encore dans la nuit du Sud-Ouest. Et tant qu’il n’y aura pas de solutions satisfaisantes, la mobilisation risque de perdurer. Car quand on touche au cœur du métier d’éleveur, on touche à quelque chose de profond, d’essentiel. Quelque chose qui ne se négocie pas facilement autour d’une table, même à l’approche de Noël.
Cette affaire nous interroge tous : jusqu’où peut-on aller au nom de la sécurité sanitaire ? Et comment accompagner vraiment ceux qui nourrissent le pays ? Des questions qui, espérons-le, trouveront des réponses à la hauteur des enjeux.
