Il y a des moments où le football transcende le simple sport. J’ai eu la chance d’assister à l’un d’eux à Casablanca, et croyez-moi, ça marque à vie. Trois heures avant le coup d’envoi, les chants résonnaient déjà dans les rues, comme si la ville entière retenait son souffle pour un derby qui divise les familles, les quartiers, et même les cœurs. Le choc entre le Wydad et le Raja n’est pas un match ordinaire : c’est une guerre de couleurs, de traditions et de fierté. Et cette année, après des années de huis clos et de tensions, il a retrouvé son feu d’antan.
Au cœur d’une rivalité légendaire
Le derby casablancais oppose deux clubs mythiques : le Wydad Athletic Club, souvent vu comme le « Doyen » avec ses titres continentaux, et le Raja Club Athletic, symbole du peuple et des quartiers populaires. Historiquement, les supporters du Wydad viennent plutôt de milieux aisés, tandis que ceux du Raja incarnent la voix des marginalisés. Mais au fil du temps, ces clivages se sont estompés, laissant place à une passion pure et brute.
Ce qui rend ce duel si spécial, c’est l’ambiance. Les ultras des deux camps rivalisent d’inventivité : mosaïques géantes, fumigènes, feux d’artifice. Le stade Mohammed V devient un chaudron bouillant, avec des chants qui font trembler les murs. J’ai vu des jeunes sans ticket escalader les grilles, des bagarres éclater dans les rues adjacentes, et une police omniprésente pour éviter le pire. Pourtant, malgré la tension, c’est une fête.
Les supporters lancent le match bien avant le coup d’envoi, et parfois, le terrain passe au second plan.
Et c’est exactement ce qui s’est passé lors de la dernière rencontre. Sur la pelouse, un 0-0 frustrant, mais dans les tribunes, un spectacle inoubliable. Les Winners du Wydad ont moqué les divisions chez les ultras du Raja, tandis que les Green Boys ont répondu avec des bengales verts qui ont enveloppé le stade d’une fumée épaisse. Résultat : l’arbitre a stoppé la partie plusieurs fois, et le temps additionnel a grimpé à 23 minutes !
Les ultras, maîtres du show
Les groupes ultras font la légende de ce derby. Les Winners du Wydad, inspirés des ultras italiens, fêtent leurs 20 ans avec des mises en scène incroyables. J’ai vu des fumigènes rouges envahir la Corniche, ou même des tifos à Paris et New York. De leur côté, les Rajaouis des Green Boys et Ultras Eagles rivalisent en créativité, même s’ils sont parfois en conflit interne.
- Les tifos : mosaïques géantes qui racontent l’histoire du club ou moquent l’adversaire.
- Les pyrotechniques : bengales et fumigènes qui transforment le stade en volcan.
- Les chants : souvent politiques, évoquant la Palestine ou les inégalités sociales au Maroc.
Malheureusement, cette passion a parfois dégénéré. Bagarres, voitures incendiées… Les autorités ont même interdit les ultras en 2016 après des incidents graves. Mais les supporters ont tenu bon, en noir pendant deux ans, jusqu’à obtenir gain de cause. Aujourd’hui, les femmes sont exclues des virages, ce qui est une perte pour l’ambiance.
Je me souviens d’une fan du Wydad qui m’a confié : « C’est dur de ne plus pouvoir être dans le virage nord, mais en déplacement, on trouve toujours un moyen. » C’est touchant, cette fidélité.
Casablanca, ville de foot
Le derby n’est pas isolé : il s’inscrit dans une ville qui respire le football. La médina est couverte de graffitis rouges et blancs, tandis que Derb Sultan reste le fief du Raja, avec ses cafés ornés de photos anciennes. Les supporters du Wydad marquent leur territoire, comme avec ce message en italien : « À Casablanca, vous êtes des invités. »
La ville se métamorphose pour la CAN 2025 et le Mondial 2030. De nouveaux tramways, des gratte-ciels, et surtout le Grand Stade Hassan II en construction, avec ses 115 000 places. Il sera le plus grand du monde, inspiré des tentes berbères. Mais certains fans craignent qu’il ne soit trop loin pour les derbys quotidiens.
| Stade | Capacité | Clubs |
| Mohammed V | 45 000 | Wydad & Raja |
| Hassan II (2028) | 115 000 | National + clubs |
Le Maroc investit massivement dans le foot depuis l’Académie Mohammed VI. Les résultats sont là : demi-finale au Mondial 2022, victoires en U20. Mais la jeunesse exprime aussi son ras-le-bol : chômage, corruption, manque d’hôpitaux. Dans les tribunes, les chants deviennent revendicatifs : « Moins de stades, plus d’hôpitaux. »
Conseils pour vivre le derby
Si vous rêvez d’assister à ce spectacle, préparez-vous. Prenez des vêtements neutres, arrivez tôt, et évitez les zones chaudes. La sécurité est renforcée, mais l’excitation est contagieuse. Et pour les curieux : goûtez un sandwich au foie épicé, un tajine aux olives, et finissez par des sfenj au miel.
- Réservez vos billets bien à l’avance.
- Habillez-vous sobrement pour passer inaperçu.
- Préparez-vous à une ambiance intense.
- Profitez de la ville : médina, corniche, cafés historiques.
- Restez prudent après le match.
En fin de compte, ce derby rappelle que le football est un miroir de la société. Passion, rivalité, contestation… tout y est. Et moi, j’ai retrouvé ce frisson que je cherchais depuis des années. Casablanca, tu m’as conquis.
Le Maroc se prépare à briller sur la scène mondiale, avec la CAN et le Mondial en vue. Mais c’est dans les tribunes du Mohammed V que bat vraiment le cœur du foot marocain. Et ça, personne ne pourra l’enlever.
