Dimanche dernier, une voix qui a bercé plusieurs générations s’est éteinte doucement dans le Val-de-Marne. À 82 ans, Georgette Lemaire nous a quittés. Pour beaucoup, son nom évoque immédiatement « Vous étiez belle, madame », cette chanson qui semble avoir toujours existé tant elle fait partie de notre patrimoine émotionnel commun. Mais derrière ce tube intemporel se cache une carrière bien plus riche et une personnalité hors du commun.
Une voix qui a traversé les époques
J’ai toujours été fasciné par ces artistes qui, sans jamais vraiment être au sommet de la hype, ont su laisser une trace durable dans le cœur des gens. Georgette Lemaire appartient incontestablement à cette catégorie rare. Née en 1943 à Paris, elle a grandi dans un Paris d’après-guerre où la chanson réaliste tenait encore une place de choix. Et c’est précisément dans cet univers qu’elle a fait ses premières armes.
Imaginez une jeune femme de 17 ans, déjà mariée, qui chante dans un petit café-concert des Puces de Saint-Ouen. L’endroit s’appelle Chez Louisette. L’ambiance est enfumée, les tables collées les unes aux autres, et le public est exigeant. C’est là, dans ce décor très parisien, qu’elle commence à se faire un prénom – ou plutôt un nom de scène.
Le tournant du Jeu de la chance
1965. L’année où tout bascule. Georgette participe à l’émission télévisée Le Jeu de la chance, un télé-crochet qui a révélé pas mal de talents à l’époque. Elle gagne, signe chez Philips et enregistre son premier album en 1966. Les titres phares comme « À faire l’amour sans amour » ou « Le Cœur désaccordé », écrits par Charles Dumont, rencontrent un vrai succès.
Et puis vient 1968. Pascal Sevran écrit pour elle « Vous étiez belle, madame ». La chanson devient un énorme tube. On la chante dans les mariages, on l’écoute dans les voitures, elle passe en boucle à la radio. Cette mélodie mélancolique, ces paroles qui parlent du temps qui passe et des amours fanées, touchent une corde sensible chez les Français.
« Vous étiez belle, madame, quand vous dansiez avec lui… »
Extrait de la chanson culte
Je me souviens encore de ma grand-mère qui la fredonnait en préparant le repas du dimanche. C’est le genre de chanson qui traverse les générations sans jamais vraiment vieillir.
Des collaborations prestigieuses
Ce qui frappe quand on regarde sa carrière, c’est la qualité des plumes qui ont écrit pour elle. On parle quand même de Charles Aznavour, Jean-Loup Dabadie, Pierre Delanoë… Des noms qui, à eux seuls, racontent l’histoire de la chanson française.
- Charles Aznavour lui écrit un album entier en 1980 : Pour Aznavour
- Jean-Loup Dabadie signe plusieurs de ses plus beaux textes
- Pierre Delanoë participe aussi à son répertoire
Et puis il y a cette première partie mémorable pour Georges Brassens à Bobino. Quand on sait à quel point Brassens était exigeant sur les artistes qu’il invitait à partager la scène avec lui, cela en dit long sur la considération qu’il portait à Georgette.
Une vie marquée par les hauts et les bas
Sa vie personnelle n’a pas toujours été un long fleuve tranquille. Mariée à 17 ans, divorcée, remariée à son pianiste Bob Sellers… Elle a connu des moments difficiles, notamment sur le plan financier. À un moment, elle a même été menacée d’expulsion de son logement parisien pour cause d’impayés. Elle écrira alors une lettre au président Mitterrand qui la nommera au Conseil économique et social, une décision qui avait fait débat à l’époque.
Dans une interview donnée en 2014, elle confiait avec une certaine franchise :
« Ça payait mon loyer. Les politiques m’ont toujours aidée, c’est pas les gens du milieu artistique. »
Cette phrase en dit long sur la réalité parfois dure du métier d’artiste, même pour ceux qui ont connu le succès.
Les derniers albums et la tournée Age tendre
Même si elle a moins fait parler d’elle après les années 80, Georgette n’a jamais vraiment arrêté. En 1997 elle sort Intime, un album de réenregistrements. Puis Inoubliable en 2009 avec des inédits. Et en 2014, elle publie Paris Jazz, un bel hommage à la capitale.
Mais ce qui a marqué les esprits ces dernières années, c’est sa participation à la tournée Age tendre et Têtes de bois. Elle y retrouvait des artistes de sa génération, et le public venait pour la nostalgie, bien sûr, mais aussi pour entendre cette voix qui n’avait pas pris une ride.
Un héritage qui dépasse le simple tube
Aujourd’hui, quand on parle de Georgette Lemaire, on pense d’abord à « Vous étiez belle, madame ». Mais ce serait injuste de la réduire à cela. Elle a été une interprète sensible, capable de passer de la mélancolie la plus profonde à une certaine légèreté.
Elle a aussi publié une autobiographie en 2010, À m’en déchirer le cœur, dans laquelle elle racontait sans fard les joies et les épreuves de sa vie. Un livre qui mérite d’être redécouvert aujourd’hui.
Et puis il y a cette reconnaissance officielle : chevalier des Arts et des Lettres en 1986. Une distinction qui venait couronner une carrière déjà longue et riche.
Que reste-t-il de Georgette Lemaire en 2025 ?
Dans un paysage musical où tout va vite, où les carrières semblent parfois éphémères, Georgette Lemaire représente une forme de constance. Elle n’a jamais été la star absolue, celle dont tout le monde parle en même temps. Mais elle a été là, discrètement, pendant des décennies.
Et c’est peut-être ça qui rend sa disparition encore plus touchante. On perd une artiste qui n’a jamais eu besoin d’être sur le devant de la scène pour exister dans le cœur des gens.
Alors oui, on se souviendra de « Vous étiez belle, madame ». Mais on se souviendra aussi de cette voix chaude, un peu rauque, qui savait si bien dire les choses simples de la vie.
Repose en paix, Georgette. Et merci pour toutes ces chansons qui continuent de nous accompagner, même quand les lumières de la scène se sont éteintes.
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