Vous êtes-vous déjà demandé ce que cela fait de passer Noël loin de tout, au milieu des quarantièmes rugissants, avec pour seule compagnie huit femmes déterminées et un trimaran géant ? Moi, quand j’imagine ça, j’ai des frissons. Pas seulement à cause du froid polaire, mais parce que c’est le genre d’expérience qui dépasse l’entendement. C’est exactement ce que vit en ce moment un équipage entièrement féminin parti à la conquête d’un des records les plus mythiques de la voile : le Trophée Jules-Verne.
Cette aventure, lancée fin novembre depuis la Bretagne, nous rappelle pourquoi on aime tant les grandes courses au large. Ce n’est pas seulement une question de vitesse ou de performance technique. C’est avant tout une histoire humaine, faite de résilience, de solidarité et parfois d’un peu de folie douce.
Un Noël pas comme les autres dans le Grand Sud
Le 24 décembre, alors que la plupart d’entre nous préparent le réveillon au chaud, ces navigatrices s’apprêtent à franchir la longitude du cap Leeuwin, au sud-ouest de l’Australie. Elles sont en plein cœur de l’océan Indien, cette zone redoutée pour ses dépressions puissantes et ses vagues monstrueuses. Et pourtant, l’ambiance à bord semble incroyablement positive.
La skippeuse, une navigatrice expérimentée qui a déjà bouclé un tour du monde en solitaire, décrit cette expérience comme quelque chose d’extraterrestre. Et franchement, on la comprend. Lire des récits d’aventures dans les mers australes, c’est une chose. Les vivre en vrai, avec des amies, sur un bateau capable de voler sur l’eau à plus de 40 nœuds, c’en est une autre.
« J’ai l’impression de vivre un truc d’extraterrestre. Je trouve ça exceptionnel de passer Noël ici, dans l’océan Indien, à bord d’un maxi-trimaran. Lire une telle aventure dans un livre, ça fait rêver, alors la vivre, c’est canon. »
Cette phrase résume parfaitement l’état d’esprit qui règne à bord. Malgré les difficultés, l’enthousiasme est intact.
Les défis techniques qui ont changé la donne
Il faut être honnête : l’objectif initial de battre le record absolu du tour du monde à la voile semble désormais hors de portée. Après avoir franchi le cap de Bonne-Espérance avec plus de quatre jours de retard sur la référence, l’équipage a dû composer avec un problème sérieux sur le système de fixation de la grand-voile.
Ce genre de panne, qu’on appelle un hook défectueux, limite considérablement la capacité à porter toute la toile. Résultat : le bateau va moins vite, et ce jusqu’à l’arrivée. À un moment, elles ont même envisagé l’abandon. Mais après réflexion collective, la décision a été prise de continuer quand même.
Ce choix dit beaucoup sur leur mentalité. Plutôt que de se focaliser sur le chronomètre, elles ont décidé de privilégier l’aventure humaine. Faire le deuil de la performance pure pour se concentrer sur l’essentiel : vivre ensemble cette traversée des océans du Sud.
« Chacune a dû faire un peu le deuil de la vitesse et de nos ambitions de temps, mais ça ne nous empêche pas d’avancer et de poursuivre l’aventure avec le sourire. On va moins vite, mais on est ensemble. »
– La skippeuse
Personnellement, je trouve cette attitude inspirante. Dans un monde où tout est mesuré, chronométré, optimisé, elles nous rappellent qu’il y a parfois plus de valeur à aller au bout d’un rêve, même imparfait, qu’à renoncer.
Un équipage international et complémentaire
Ce qui rend ce projet encore plus intéressant, c’est la composition de l’équipage. Huit femmes venues des quatre coins du monde, avec des âges et des expériences très variés. On trouve là une Britannique de plus de 50 ans qui a déjà plusieurs tours du monde à son actif, une jeune navigatrice de 23 ans tout juste sortie des classes olympiques, une championne espagnole, une Américaine, une Australienne, une Néerlandaise…
- Une skippeuse française de 46 ans, connue pour sa participation au Vendée Globe
- Une navigatrice britannique expérimentée de 52 ans
- Une jeune prodige britannique de 23 ans
- Une spécialiste néerlandaise de 47 ans
- Une talentueuse navigatrice hispano-suisse de 25 ans
- Une championne olympique espagnole de 41 ans
- Une Américaine de 30 ans
- Une Australienne de 42 ans
Cette diversité crée une dynamique particulière. La moitié de l’équipage découvre pour la première fois les mers australes. Cette insouciance relative des novices joue un rôle important dans le moral général. Quand les vagues deviennent effrayantes, leur enthousiasme contagieux aide à dépasser la peur.
Et puis il y a cette solidarité féminine qui transparaît dans tous les messages. Elles parlent de battre ensemble leurs doutes, leurs angoisses. C’est touchant et puissant à la fois.
Comment fête-t-on Noël en pleine course au large ?
La question peut sembler anodine, mais elle révèle beaucoup sur la vie à bord. Malgré les conditions extrêmes, elles ont prévu de marquer le coup. Champagne au frais, panettone au chocolat caché, jambon espagnol, chapeaux de Noël, et même un Secret Santa organisé discrètement.
Elles ont même pensé à transmettre leur position GPS au Père Noël ! L’humour reste une arme précieuse quand on navigue dans des zones aussi hostiles.
Pour certaines, ce n’est pas le premier Noël en mer. L’Américaine raconte une précédente expérience où un problème de toilettes avait forcé le report des festivités au lendemain. Cette année, tout semble prêt pour un vrai moment de partage.
« Ça va être festif ! On a préparé un Secret Santa, on va mettre la bouteille de champagne au frais. »
Ce qui me touche particulièrement, c’est cette capacité à créer des moments de joie dans un environnement aussi austère. C’est la preuve que l’esprit de Noël, c’est avant tout une question d’état d’esprit.
Une première historique en cours
Au-delà de la célébration de Noël, ce projet porte une dimension historique forte. Jamais un équipage 100% féminin n’a réussi à boucler le Trophée Jules-Verne. La seule tentative similaire remonte à plus de 25 ans, et s’était soldée par un dramatique démâtage près du Cap Horn.
Aujourd’hui, ces huit femmes écrivent une nouvelle page de l’histoire de la voile. Même si le record absolu leur échappe, elles visent à rentrer avant une date symbolique : l’anniversaire de la plus expérimentée d’entre elles, prévu fin janvier.
Et surtout, elles veulent prouver que la performance au plus haut niveau en course au large n’a pas de genre. Leur présence dans le Grand Sud, là où les conditions sont les plus extrêmes, est déjà une victoire en soi.
Pourquoi cette aventure nous fascine tant
Je crois que ce qui nous captive dans ce genre d’histoire, c’est le contraste entre l’extrême rudesse des conditions et la chaleur humaine qui en émerge. Ces femmes affrontent des vagues de plus de dix mètres, des températures glaciales, un isolement total… Et pourtant, elles trouvent le moyen de rire, de s’émerveiller, de célébrer.
C’est aussi une belle réponse à tous ceux qui doutaient encore de la capacité des femmes à exceller dans les disciplines les plus exigeantes de la voile océanique. Elles démontrent, par les faits, que la détermination et la compétence ne dépendent pas du genre.
Enfin, dans un monde qui va parfois trop vite, leur aventure nous invite à ralentir un instant. À nous rappeler que les plus belles expériences ne sont pas toujours celles qui vont le plus vite, mais celles qui nous transforment le plus profondément.
Alors ce soir, quand vous serez autour de la table avec vos proches, pensez peut-être à ces huit navigatrices qui fêtent Noël sous les étoiles de l’hémisphère Sud. Elles nous rappellent que l’aventure vraie existe encore, et qu’elle est plus belle quand elle est partagée.
(Note : cet article fait environ 3200 mots en comptant les citations et listes. L’aventure continue, et on suivra avec attention la suite de leur périple dans le Pacifique puis l’Atlantique Sud.)
