Vous êtes en train de marcher tranquillement sur une plage de Normandie, l’air iodé vous fouette le visage, les mouettes crient au-dessus… Et soudain, votre pied bute contre quelque chose de dur, à moitié enfoui dans le sable. Un obus. Pas une blague, pas un faux. Un vrai vestige de guerre, chargé d’explosifs, prêt à vous rappeler que l’histoire n’est pas toujours enterrée bien profond. En cette fin 2025, ce genre de scénario continue de se produire régulièrement sur nos côtes.
J’avoue que ça me glace le sang rien que d’y penser. Plus de quatre-vingts ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, la mer nous rend encore ses sinistres cadeaux. Et les démineurs, eux, n’ont pas de trêve hivernale.
Les côtes normandes, un musée à ciel ouvert… et dangereux
Le mois de décembre 2025 a été particulièrement chargé pour les équipes spécialisées. Plusieurs interventions ont marqué les esprits : une impressionnante colonne de fumée noire s’élevant au-dessus d’une plage près de Courseulles-sur-Mer, des gerbes d’eau spectaculaires au large de Dieppe et du Havre. Des scènes presque cinématographiques, mais bien réelles.
Ce qui frappe, c’est la fréquence. Les spécialistes parlent d’une ou deux découvertes par semaine en moyenne sur le littoral normand. Des promeneurs qui tombent sur des cartouches, des obus, parfois même des mines antichars, simplement posés là par la marée descendante.
Pourquoi la mer continue-t-elle à rejeter ces vestiges ?
Plusieurs facteurs se combinent pour transformer nos plages en terrain de découverte permanent. D’abord, le jeu incessant des marées qui brassent les fonds marins. Ensuite, les tempêtes de plus en plus fréquentes qui remuent tout sur leur passage. Et enfin, l’érosion du trait de côte, ce phénomène qui ronge progressivement les falaises et libère ce qui était enfoui depuis des décennies.
C’est un peu comme si la nature décidait de faire le ménage, mais en nous renvoyant en pleine figure ce que l’humanité a laissé derrière elle. L’aspect le plus troublant ? Ces objets ont beau dater de la Première ou de la Seconde Guerre mondiale, ils restent extrêmement dangereux.
Une enveloppe métallique rouillée autour d’explosifs toujours actifs, avec un système d’amorçage qui peut encore fonctionner… On ne prend aucun risque.
– Un plongeur-démineur expérimenté
Et il a raison. L’âge ne rend pas ces munitions inoffensives. Au contraire, la corrosion peut parfois les rendre plus instables.
Les interventions récentes : un aperçu concret
Revenons sur quelques opérations marquantes de décembre. À Courseulles-sur-Mer, un obus de 95 mm datant probablement de la Première Guerre mondiale a été neutralisé directement sur la plage. Le spectacle de l’explosion contrôlée a dû impressionner les riverains.
Plus au nord, près d’Auberville, c’est une véritable collection qui a été découverte : une vingtaine de cartouches, obus et mines de champ de bataille. Là encore, destruction sur place pour limiter les risques.
Mais les interventions les plus spectaculaires se déroulent en mer. Au large de Dieppe, une bombe américaine de 150 kg a été traitée. Au Havre, ce sont deux engins alliés successifs – 125 kg puis 262 kg en équivalent TNT – qui ont nécessité l’intervention des plongeurs.
- Bombe anglaise de 262 kg neutralisée le 16 décembre au Havre
- Explosion contrôlée avec gerbe d’eau visible depuis la côte
- Opération réalisée « entre deux eaux » pour minimiser l’impact sur les fonds marins
- Technique préférée : remonter l’engin entre 10 et 20 mètres de profondeur
Ces chiffres donnent le vertige quand on réalise qu’ils représentent seulement une fraction des découvertes de l’année.
Qui sont ces démineurs qui veillent sur nos côtes ?
Les plongeurs-démineurs de la Marine nationale forment une unité d’élite peu connue du grand public. Leur travail combine expertise technique, sang-froid absolu et connaissance approfondie de l’histoire militaire. Ils interviennent dès qu’une munition est signalée sur l’estran ou en mer peu profonde.
Leur méthode est rodée : identification précise de l’engin, évaluation des risques, choix de la technique de neutralisation. Parfois, c’est la destruction sur place qui crée ces impressionnantes colonnes de fumée. D’autres fois, l’engin est remonté pour une explosion contrôlée en mer.
Ce qui m’impressionne particulièrement, c’est leur capacité à travailler dans des conditions difficiles : eau froide en hiver, visibilité réduite, courant fort. Et tout ça avec des objets qui peuvent exploser à tout moment.
D’où viennent toutes ces munitions ?
La Normandie porte les stigmates de son rôle central dans l’histoire militaire du XXe siècle. Le Débarquement de 1944 a laissé d’immenses quantités de matériel. Mais il y a aussi les stocks de la Première Guerre mondiale, parfois réutilisés plus tard. On trouve ainsi :
- Des bombes alliées non explosées lors des bombardements
- Des mines posées par les défenses allemandes
- Des obus d’artillerie abandonnés ou perdus
- Des munitions immergées volontairement après les conflits
Certaines zones, comme la baie de Seine ou les abords du port du Havre, sont particulièrement concernées. Les chasseurs de mines de la Marine nationale y effectuent régulièrement des missions de repérage.
Et puis il y a les grands projets modernes qui forcent le nettoyage : l’installation de parcs éoliens offshore oblige à des investigations systématiques des fonds marins. Idem pour les extensions portuaires. Sans ces chantiers, beaucoup de ces engins resteraient ignorés… jusqu’à ce qu’ils refassent surface d’eux-mêmes.
Que faire si vous trouvez une munition ? Les bons réflexes
C’est probablement la partie la plus importante de cet article. Parce que oui, ça peut arriver à n’importe qui. Voici ce qu’il faut faire – et surtout ne pas faire :
- Ne touchez surtout à rien. Pas même pour prendre une photo de trop près.
- Éloignez-vous calmement et marquez l’emplacement mentalement.
- Prenez une photo à distance respectable pour aider à l’identification.
- Notez la position GPS ou décrivez précisément l’endroit.
- Contactez immédiatement les autorités : gendarmerie ou le centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage (Cross).
- Transmettez vos photos et la localisation.
L’intervention suivra dans les jours qui viennent. Mieux vaut déranger pour rien que prendre des risques inutiles.
La plupart des découvertes sont le fait de promeneurs attentifs. Leur vigilance sauve des vies.
Combien de temps cela va-t-il encore durer ?
C’est la question que tout le monde se pose. Honnêtement ? Personne ne le sait vraiment. Les estimations sur la quantité restante varient énormément. Ce qui est sûr, c’est que l’année précédente, les équipes ont déjà traité plus de 21 tonnes d’équivalent TNT rien que dans le secteur Manche.
Avec le changement climatique qui accentue l’érosion et les tempêtes, on peut craindre que les découvertes se multiplient plutôt que l’inverse. Les fonds marins normands risquent de continuer à livrer leurs secrets pendant des décennies, voire des siècles.
L’aspect le plus poignant, à mon sens, c’est cette cohabitation permanente entre beauté touristique et danger mortel. Ces plages magnifiques qui attirent des millions de visiteurs chaque année portent encore les cicatrices invisibles des conflits passés.
Une responsabilité collective
Au-delà du travail héroïque des démineurs, il y a une dimension plus large. Celle de la mémoire, de la vigilance citoyenne, et peut-être aussi de la réflexion sur les traces que nous laissons derrière nous.
Chaque intervention réussie est une petite victoire. Chaque découverte signalée correctement aussi. Mais derrière ces opérations de routine se cache une réalité plus lourde : nous vivons encore avec les conséquences directes des guerres du siècle dernier.
La prochaine fois que vous marcherez sur une plage normande, regardez peut-être le sable un peu différemment. Sous vos pieds, l’histoire n’est pas qu’un souvenir. Elle peut encore exploser.
Et vous, avez-vous déjà entendu parler de découvertes similaires près de chez vous ? La mer garde-t-elle aussi des secrets dangereux sur d’autres côtes ? L’histoire militaire continue de marquer nos paysages de manière parfois invisible, mais toujours présente.
