Vous est-il déjà arrivé de regarder par le hublot lors d’un atterrissage à Roissy et de vous demander combien de vies, d’entreprises et de rêves dépendent réellement de ces immenses pistes ? Derrière les files d’attente aux contrôles et les annonces d’embarquement, se cache une réalité économique impressionnante, presque méconnue du grand public.
Je me souviens encore de ma première visite professionnelle dans la zone aéroportuaire. Entre les camions qui filent sans discontinuer, les hangars gigantesques et les badges omniprésents, on ressent immédiatement qu’ici, quelque chose de très grand se joue. Quelque chose qui dépasse largement le simple fait de faire voyager des gens.
Un géant économique aux portes de Paris
L’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle n’est pas seulement le premier aéroport français. C’est aussi l’un des plus puissants moteurs économiques d’Île-de-France, et probablement l’un des plus sous-estimés par rapport à son impact réel. Les chiffres récemment mis à jour donnent le vertige : environ 95 000 salariés gravitent quotidiennement autour de la plateforme, et celle-ci génère près de 10 milliards d’euros de richesse chaque année pour le territoire.
Attention, on ne parle pas uniquement des emplois directs dans les terminaux. Le périmètre étudié s’étend à 10 kilomètres autour de l’aéroport, englobant ainsi les zones d’activités, les plateformes logistiques, les hôtels, les restaurants, les entreprises de maintenance aéronautique et bien d’autres structures qui vivent grâce à la présence de cette gigantesque machine à connecter le monde.
« On entend souvent que l’aéroport crée surtout des emplois précaires. La réalité est beaucoup plus nuancée et globalement plus positive qu’on ne le pense généralement. »
Un responsable du développement territorial
Et cette nuance est de taille. Parmi tous ces emplois, 87 % sont des CDI. Oui, vous avez bien lu. C’est même trois points au-dessus de la moyenne nationale. De quoi sérieusement remettre en question l’image parfois caricaturale d’une « usine à petits boulots » que certains persistent à colporter.
Des emplois variés, pas seulement des bagagistes
Quand on parle de Roissy, beaucoup imaginent spontanément les agents de piste, les hôtesses au comptoir et les équipes de nettoyage. C’est une partie de la réalité, bien sûr, mais seulement une partie.
- 20 % des postes sont des emplois de cadre
- De nombreuses fonctions techniques hautement qualifiées (maintenance avion, systèmes informatiques de navigation, sécurité aéroportuaire…)
- Des métiers de la logistique et du fret express qui recrutent à un niveau très technique
- Une vraie filière restauration et hôtellerie haut de gamme liée aux équipages et aux passagers en transit
- Des fonctions support (RH, juridique, finance) pour les très nombreuses entreprises multinationales installées sur place
Bref, on est très loin de l’image d’Épinal d’un vivier d’emplois peu qualifiés et précaires. Le tissu économique est dense, diversifié et plutôt solide.
Une attractivité internationale qui fait envie
Plus de la moitié des établissements présents dans le rayon de 10 km dépendent d’un groupe multinational. C’est énorme. Cela signifie que Roissy n’est pas seulement un hub pour les voyageurs français : c’est un point d’ancrage stratégique pour des acteurs mondiaux du transport, de la logistique, de l’aéronautique et même de la pharmacie ou du luxe.
Et quand ces géants s’installent, ils ne viennent pas seuls. Ils amènent fournisseurs, sous-traitants, centres de décision intermédiaires… C’est tout un écosystème qui se développe autour.
Mais voilà, si les grands groupes trouvent leur compte, les collectivités locales et les habitants des communes alentour se demandent parfois si elles en profitent autant qu’elles le pourraient. Et c’est là que le débat devient intéressant.
Les élus locaux veulent davantage
Les maires et présidents d’intercommunalités du secteur ne cachent plus leur impatience. Ils reconnaissent volontiers la masse critique économique apportée par l’aéroport, mais ils estiment que le modèle actuel laisse trop de valeur « s’échapper » vers Paris ou vers les sièges sociaux des grands groupes, souvent situés bien loin.
Le sentiment général ? On accueille le bruit, les nuisances, le trafic routier intense… il serait temps que les retombées fiscales et les emplois très qualifiés profitent davantage aux bassins de vie immédiats.
« On ne demande pas la lune, juste que la dynamique créée par cette plateforme profite plus visiblement et plus concrètement aux habitants et aux entreprises du coin. »
Un élu du Val-d’Oise
Et ils ont quelques arguments solides.
Les salariés viennent de loin… parfois trop loin
Si on regarde d’où viennent les salariés de la plateforme, la carte est éloquente. Les quatre principaux départements fournisseurs de main-d’œuvre sont :
- La Seine-Saint-Denis
- Le Val-d’Oise
- La Seine-et-Marne
- L’Oise
Jusque-là, rien d’étonnant. Ce sont les territoires les plus proches. Mais quand on affine un peu, on s’aperçoit que beaucoup de salariés qualifiés habitent plus loin encore, parfois en grande couronne ou même à Paris intra-muros.
Pourquoi ? Essentiellement à cause des prix immobiliers. Les communes riveraines immédiates, malgré leur proximité géographique, restent souvent trop chères pour les salaires moyens ou intermédiaires de la plateforme. Résultat : on crée des emplois sur place… mais on oblige les salariés à faire parfois plus d’une heure de trajet matin et soir.
Vous trouvez ça normal, vous ? Moi, je commence à me poser sérieusement la question.
Quelles pistes pour un meilleur partage de la valeur ?
Les idées ne manquent pas. Certaines sont déjà sur la table depuis plusieurs années :
- Création de programmes de logements intermédiaires destinés spécifiquement aux salariés du site
- Incitation fiscale plus forte pour les entreprises qui s’installent directement dans les communes concernées
- Meilleure redistribution de la taxe de séjour et des taxes aéroportuaires vers les collectivités riveraines
- Projets de formation en alternance plus massifs et plus orientés vers les jeunes du territoire
- Amélioration des dessertes en transports en commun (on en parle depuis 20 ans…)
Chacune de ces pistes a ses partisans et ses détracteurs. Mais une chose est sûre : le statu quo ne satisfait plus grand monde.
Un avenir entre croissance et acceptabilité
Roissy n’a pas fini de grandir. Les projets d’extension des capacités fret, les nouvelles lignes long-courriers, le développement du hub cargo européen… tout cela promet de faire encore grossir le chiffre d’affaires et le nombre d’emplois.
Mais à quel prix ? La question de l’acceptabilité sociale et environnementale devient de plus en plus centrale. Les riverains veulent bien continuer à « porter » l’aéroport… à condition que cela se traduise par du développement local concret, des emplois accessibles et une vraie qualité de vie.
Le défi des prochaines années sera donc double : continuer à faire grandir la plateforme pour qu’elle reste compétitive au niveau mondial, tout en veillant à ce que cette croissance profite réellement aux territoires qui l’accueillent.
Pas simple. Mais tellement stratégique pour l’avenir économique de toute une région.
Et vous, vous en pensez quoi ? Est-ce que selon vous, les territoires autour de Roissy profitent déjà assez de ce monstre économique ? Ou est-ce qu’il reste encore un gros travail de rééquilibrage à faire ?
Une chose est sûre : le sujet est loin d’être clos. Et il va continuer d’occuper les esprits pendant de longues années.
