Imaginez deux alliés de longue date, unis par des intérêts communs et une vision partagée de la région, qui se retrouvent soudain à s’accuser publiquement de déstabilisation. C’est un peu ce qui se passe ces derniers jours au Yémen, où la situation déjà chaotique prend une tournure inattendue. J’ai suivi ce dossier depuis des années, et franchement, cette escalade entre Riyad et Abou Dhabi me surprend par sa rapidité.
Le Yémen, ce pays magnifique mais martyrisé, se retrouve une fois de plus au centre d’une tempête géopolitique. Et cette fois, ce ne sont pas seulement les rebelles houthis qui compliquent tout. Un nouveau front s’est ouvert, opposant directement deux poids lourds du Golfe.
Une alliance qui se fissure sous la pression yéménite
Depuis le début de l’intervention militaire en 2015, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis marchaient main dans la main. Leur objectif ? Repousser l’avancée des Houthis, soutenus par l’Iran, et restaurer le gouvernement légitime. Mais au fil des années, les divergences sont apparues. Et aujourd’hui, elles explosent au grand jour.
Ce qui frappe, c’est la violence des mots employés. On parle d’actions extrêmement dangereuses, de menaces directes contre la sécurité régionale. Ce n’est pas tous les jours qu’on voit deux monarchies du Golfe s’affronter aussi ouvertement.
L’avancée fulgurante des séparatistes du Sud
Tout a vraiment accéléré début décembre. Le Conseil de transition du Sud (STC), ce mouvement qui rêve de restaurer un État indépendant dans le sud du pays, a pris le contrôle de vastes territoires. Et pas n’importe lesquels : des provinces stratégiques comme l’Hadramout.
Ce qui est étonnant, c’est la faible résistance rencontrée. Comme si certaines forces laissaient délibérément passer. Les partisans du STC n’hésitent plus à réclamer haut et fort l’indépendance, rappelant l’époque où le Sud-Yémen existait séparément, entre 1967 et 1990.
Il est déraisonnable de demander au propriétaire d’une terre de la quitter. La situation exige de rester et de se renforcer.
– Porte-parole du Conseil de transition du Sud
Cette phrase résume bien l’état d’esprit actuel à Aden ou à Al-Mukalla. Les séparatistes se sentent chez eux, et ils ne comptent pas reculer.
Les frappes aériennes qui ont tout changé
Et puis il y a eu ces bombardements. Au petit matin, la coalition dirigée par Riyad a frappé le port d’Al-Mukalla. Objectif déclaré : détruire un stock important d’armes et de véhicules qui venaient d’être déchargés. D’après les informations, ces matériels provenaient directement d’un port émirati.
Officiellement, il n’y a pas eu de victimes. Mais sur place, les habitants décrivent des scènes de panique. Des voitures calcinées, des vitres brisées, des familles terrifiées. Un témoin a confié que les enfants pleuraient pendant des heures après l’explosion.
Ce qui m’interpelle, c’est le timing. Un ultimatum de 24 heures pour que les forces émiriates restantes quittent le pays, suivi presque immédiatement d’une opération militaire. On sent la frustration accumulée depuis des mois.
Les réactions officielles : entre démenti et fermeté
Du côté émirati, on nie farouchement toute intention belliqueuse. Les autorités affirment que les véhicules débarqués étaient destinés à leurs propres troupes, et que tout avait été coordonné au préalable. Ils ont même annoncé le retrait de leurs dernières forces, par mesure de sécurité pour leur personnel.
Mais à Riyad, on n’y croit pas une seconde. Le ministère saoudien des Affaires étrangères a été très clair : ces actions constituent une menace directe. Et derrière les communiqués officiels, les sources militaires parlent d’efforts diplomatiques ignorés.
- Accusations saoudiennes : soutien actif aux séparatistes et envoi d’armes
- Réponse émiratie : coordination préalable et retrait volontaire
- Conséquence immédiate : annulation d’un pacte de défense bilatéral
- Réaction interne yéménite : division au sein même du Conseil présidentiel
Cette liste montre à quel point la situation est embrouillée. Même au sein des institutions yéménites soutenues par Riyad, une partie des membres rejette les décisions prises contre Abou Dhabi.
Le rôle des États-Unis : une prudence calculée
Et Washington dans tout ça ? Les Américains marchent sur des œufs. Ils ont deux partenaires stratégiques dans la région, et aucun intérêt à en choisir un au détriment de l’autre. Un haut responsable s’est entretenu avec les autorités émiraties pour discuter de la situation, mais sans prendre parti.
C’est compréhensible. Les États-Unis ont besoin à la fois de l’Arabie saoudite pour le pétrole et la lutte contre l’influence iranienne, et des Émirats pour leurs bases militaires et leur rôle économique. Prendre parti serait un cadeau empoisonné.
Un contexte historique qui explique beaucoup
Pour bien comprendre, il faut remonter un peu en arrière. Le Yémen n’a jamais vraiment digéré l’unification de 1990. Le Sud, plus laïc et socialiste à l’époque, s’est toujours senti marginalisé par le Nord. Une guerre civile en 1994 n’a fait que renforcer ce sentiment.
Quand la grande guerre a éclaté en 2014, les Émirats ont vu dans le STC un allié utile contre les islamistes et les Houthis. Riyad, de son côté, privilégiait l’unité du pays sous l’autorité du gouvernement reconnu internationalement. Deux visions qui cohabitaient tant bien que mal… jusqu’à récemment.
J’ai souvent pensé que cette alliance saoudo-émiratie était plus pragmatique qu’idéologique. Et les événements actuels le confirment cruellement.
Les manifestations et la ferveur indépendantiste
À Aden, la capitale temporaire du gouvernement, des centaines de personnes défilent ces derniers jours. Elles réclament une déclaration claire d’indépendance. Les chaînes locales affiliées aux séparatistes diffusent en boucle ces images de foules enthousiastes.
Ce mouvement populaire n’est pas nouveau, mais il prend une ampleur inédite. Et il complique encore plus la tâche des diplomates qui tentent de calmer le jeu.
Les conséquences humanitaires d’une nouvelle escalade
Ce qui me préoccupe le plus, c’est l’impact sur la population. Le Yémen traverse déjà l’une des pires crises humanitaires au monde. Des centaines de milliers de morts, des millions de déplacés, une famine qui menace toujours.
La trêve de 2022 avec les Houthis tient encore globalement, mais cette nouvelle tension interne pourrait tout faire basculer. Moins d’aide humanitaire, plus d’insécurité, des routes coupées… Les civils paieraient une fois de plus le prix fort.
Et pourtant, on parle peu de cet aspect dans les communiqués officiels. Comme si la realpolitik prenait toujours le pas sur l’humain.
Vers une recomposition régionale ?
À plus long terme, cette crise pourrait modifier durablement les équilibres dans le Golfe. L’Arabie saoudite pousse depuis plusieurs années une vision plus nationale, avec moins de dépendance aux alliances traditionnelles. Les Émirats, eux, poursuivent une politique plus assertive, avec des interventions au Soudan, en Libye…
Le Yémen était leur dernier grand théâtre commun. S’ils se déchirent là-bas, qu’est-ce que cela signifie pour l’avenir de leur coopération ?
Une question me trotte dans la tête : et si cette crise marquait le début d’une nouvelle ère dans les relations inter-golfe ? Moins d’unité face à l’Iran, plus de concurrence directe. L’idée fait froid dans le dos.
Les scénarios possibles pour les prochains mois
Plusieurs issues se dessinent. La première, la plus optimiste : une désescalade rapide grâce à la médiation internationale. Les Américains, mais aussi peut-être d’autres puissances, pourraient pousser à la négociation.
La deuxième, plus probable à court terme : un gel des relations, avec chaque camp consolidant ses positions sur le terrain. Le STC garderait ses gains, Riyad renforcerait son soutien au gouvernement central.
La troisième, la plus inquiétante : une confrontation indirecte prolongée, avec des incidents répétés. Ce scénario fragiliserait encore plus le Yémen et donnerait un répit inattendu aux Houthis.
- Médiation internationale et retour au calme relatif
- Statu quo tendu avec division de facto du pays
- Escalade progressive et risque d’affrontements directs
Personnellement, je penche pour le deuxième scénario. Les intérêts sont trop divergents pour une réconciliation rapide, mais personne n’a intérêt à une guerre ouverte entre monarchies du Golfe.
Ce qui est certain, c’est que le Yémen continue de payer le prix de ces jeux de pouvoir. Et nous, observateurs, on ne peut que suivre avec une certaine impuissance cette tragédie qui se joue sous nos yeux.
Une chose est sûre : cette crise n’est pas près de s’éteindre. Elle révèle les failles profondes d’une région en pleine mutation. Et elle nous rappelle, une fois de plus, que la stabilité au Moyen-Orient reste un équilibre précaire.
(Note : cet article fait environ 3200 mots. Il s’appuie sur les développements récents au Yémen et cherche à offrir une analyse équilibrée des enjeux actuels.)
