Imaginez un instant : vous êtes commerçant dans une grande ville, vous vous levez chaque matin en sachant que vos marchandises coûtent plus cher à l’achat que ce que vous pouvez les vendre. Vos clients, eux, serrent la ceinture un peu plus chaque jour. Et puis un beau matin, ça craque. Vous fermez votre boutique et descendez dans la rue avec des centaines d’autres. C’est exactement ce qui se passe en Iran en cette fin décembre 2025.
La colère monte depuis plusieurs jours, et elle ne semble pas prête de redescendre. Ce n’est pas une révolution annoncée avec tambours et trompettes, mais une contestation sourde, quotidienne, qui touche le cœur même de la société : le pouvoir d’achat.
Une grogne qui part des bazars
Les bazars, ces lieux historiques du commerce iranien, sont traditionnellement des baromètres de l’humeur populaire. Quand les commerçants se mettent en grève ou manifestent, c’est que la situation économique est vraiment critique. Et là, elle l’est.
Depuis dimanche, des rassemblements spontanés ont éclaté à Téhéran, mais aussi dans d’autres grandes villes. Les marchands protestent contre l’inflation galopante qui ronge leurs marges et contre des perspectives économiques de plus en plus sombres. Très vite, les étudiants les ont rejoints, amplifiant le mouvement.
J’ai toujours trouvé fascinant comment, dans certains pays, les bazars peuvent devenir le théâtre de changements politiques majeurs. Ce n’est pas nouveau en Iran : l’histoire l’a déjà prouvé par le passé.
Des scènes de défi quotidien
On voit circuler des vidéos impressionnantes. Une femme, tête nue, marche au milieu d’un cortège en criant des slogans d’unité. Une autre reste assise face à une ligne de policiers motorisés, immobile, comme un symbole de résistance pacifique. Ces images font le tour des réseaux et galvanisent les participants.
« N’ayons pas peur ! Nous sommes tous ensemble ! »
Ce cri résonne dans les rues. Il rappelle que, malgré la peur bien réelle des forces de l’ordre, une partie de la population refuse de se taire plus longtemps.
Ce qui frappe, c’est le caractère spontané de ces rassemblements. Pas d’organisation centrale visible, pas de leaders charismatiques à la tribune. Juste une colère partagée qui explose au grand jour.
L’inflation, le vrai déclencheur
Parlons chiffres, parce que derrière les images, il y a une réalité économique brutale. L’inflation dépasse largement les chiffres officiels, et le rial continue de s’effondrer face aux devises étrangères. Importer des marchandises devient un casse-tête, et les prix flambent dans les magasins.
Pour un commerçant, cela signifie souvent travailler à perte. Pour les familles ordinaires, c’est choisir entre manger correctement ou payer les factures. Cette érosion du niveau de vie touche toutes les couches de la société, même celles qui étaient jusqu’ici plutôt silencieuses.
- Produits de première nécessité en hausse constante
- Marges commerciales comprimées à l’extrême
- Pouvoir d’achat en chute libre depuis plusieurs années
- Jeunes diplômés sans perspectives d’emploi stable
Ces éléments forment un cocktail explosif. Et quand on ajoute les sanctions internationales qui pèsent sur l’économie, on comprend mieux pourquoi la patience s’effrite.
La réponse du régime : entre fermeté et concessions
Face à cette mobilisation, les autorités iraniennes se trouvent dans une position délicate. D’un côté, elles ne peuvent pas laisser la contestation s’étendre sans réagir. De l’autre, une répression trop brutale risquerait d’embraser encore plus le pays.
On observe donc une stratégie en deux temps. D’abord, la fermeté : des avertissements clairs sur les risques de « déstabilisation », des interventions policières avec gaz lacrymogènes pour disperser les rassemblements. Mais aussi, curieusement, des gestes d’apaisement.
Le plus surprenant reste cette décision de déclarer le 31 décembre jour férié, officiellement à cause du froid. Beaucoup y voient une manière habile de vider les rues et d’éviter de nouvelles manifestations massives en cette journée symbolique.
C’est une parade classique : donner l’impression de comprendre la grogne tout en gagnant du temps. Mais est-ce que cela suffira à calmer les esprits ? Rien n’est moins sûr.
Un régime très impopulaire
Il faut le dire franchement : la popularité du pouvoir est au plus bas. Les promesses économiques non tenues, les restrictions sociales, les affaires de corruption perçues… Tout cela s’accumule depuis des années.
Aujourd’hui, même des segments de la population qui soutenaient traditionnellement le régime commencent à exprimer leur mécontentement. C’est peut-être l’aspect le plus inquiétant pour les autorités.
Quand les commerçants des bazars – souvent vus comme conservateurs – se mobilisent, c’est un signal fort. Cela montre que le malaise dépasse largement les cercles habituels de l’opposition.
Les étudiants entrent dans la danse
Mardi, les étudiants ont rejoint le mouvement. Et ça change beaucoup de choses. Cette génération, née après la révolution, n’a connu que ce système. Elle est connectée, éduquée, et particulièrement sensible aux questions de liberté et de perspectives d’avenir.
Leur participation donne une nouvelle dynamique à la contestation. Plus jeune, plus visible sur les réseaux, plus difficile à contrôler aussi. On se souvient des grands mouvements étudiants passés et de leur rôle déterminant.
La jeunesse iranienne représente à la fois l’espoir et le plus grand défi pour le régime.
– Observateur de la scène politique iranienne
Le contexte international pèse lourd
On ne peut pas comprendre cette crise sans regarder au-delà des frontières. Les sanctions occidentales continuent d’asphyxier l’économie. Malgré quelques tentatives de contournement, leur impact reste massif sur la vie quotidienne.
Récemment, le lancement de satellites avec l’aide russe a été présenté comme une victoire technologique. Mais pour beaucoup d’Iraniens, cela ressemble à une distraction face aux problèmes bien plus concrets du quotidien.
Le programme spatial coûte cher. Et dans un contexte de crise économique, cela peut apparaître comme une provocation pour ceux qui peinent à joindre les deux bouts.
Vers une escalade ou un apaisement ?
La grande question maintenant : où va-t-on ? Plusieurs scénarios sont possibles. Une répression plus dure pourrait étouffer le mouvement à court terme, mais au prix d’une rancœur encore plus profonde.
À l’inverse, des réformes économiques significatives pourraient calmer la grogne. Mais cela supposerait une volonté politique forte, et surtout des marges de manœuvre que les sanctions réduisent drastiquement.
Ce qui semble certain, c’est que cette vague de contestation marque un tournant. Elle montre que le contrat social implicite – stabilité contre acceptation du système – est de plus en plus remis en question.
Et quand les bazars se taisent pour manifester, c’est tout un pays qui parle. Reste à savoir si le pouvoir saura entendre ce message avant qu’il ne devienne assourdissant.
En cette fin d’année 2025, l’Iran nous rappelle une fois de plus que les révolutions commencent souvent par le ventre. Quand les gens n’arrivent plus à manger correctement, ils finissent toujours par se faire entendre. D’une manière ou d’une autre.
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