Imaginez un gamin qui grandit dans les tours des « 14 » à Dreux, fait un bac compta parce que c’est ce qu’on lui propose, et finit quarante ans plus tard sous-préfet à Paris, conseiller au Sénat et préfet à l’égalité des chances. Et puis, à 68 ans, au lieu de siroter des cocktails sur une terrasse, il décide de revenir là où tout a commencé pour briguer la mairie. C’est l’histoire vraie d’Abdel-Kader Guerza, et franchement, elle mérite qu’on s’y arrête un peu.
Un retour aux sources qui sent le défi
Quand on lui demande pourquoi maintenant, il ne tourne pas autour du pot : « Ne pas me proposer aurait été une lâcheté. » La phrase claque. Dreux, il la porte dans la peau. Né en Seine-Maritime, il a passé toute son enfance et son adolescence ici, rue Muger-Bardin, dans le quartier que tout le monde appelait « les 14 » à cause des halls d’immeubles. Il connaît chaque recoin, chaque histoire, chaque cicatrice aussi.
Et la ville, aujourd’hui, il la trouve « fracturée ». Le mot revient plusieurs fois dans la conversation. Fracturée entre communautés, fracturée entre centre et quartiers, fracturée dans les esprits. Lui veut « recréer du lien ». Pas de grands discours théoriques, il parle avec la voix de quelqu’un qui a vu les choses de l’intérieur – d’abord comme habitant, puis comme sous-préfet revenu en poste entre 2010 et 2013.
Un parcours qu’on n’apprend pas dans les manuels
Abdel-Kader Guerza n’est pas passé par Sciences Po ni l’ENA. Il le dit d’ailleurs sans aucune gêne : « J’ai juste le bac compta. » Point. Et c’est peut-être ça qui rend son ascension encore plus impressionnante.
Il commence dans la fonction publique hospitalière, gravit les échelons un à un grâce à la formation continue – oui, celle dont on dit souvent qu’elle ne mène nulle part. Lui, elle l’a mené très loin : directeur d’hôpital pendant vingt ans. Et pas n’importe où.
- Direction de l’hôpital psychiatrique Henri-Ey en Eure-et-Loir (Bonneval, Chartres, Dreux…)
- Création des premières urgences psychiatriques de Chartres
- Fusion historique entre hôpital public et clinique privée à Lillebonne, une première en France
Il a cette capacité, disent ceux qui l’ont côtoyé, à faire travailler ensemble des gens qui n’ont a priori aucune raison de s’entendre. Des médecins, des syndicats, des élus de tous bords, des administrations rivales. Il négocie, il écoute, il trouve des compromis qui tiennent la route.
« Faire travailler des cultures différentes, c’est devenu ma marque de fabrique. »
Abdel-Kader Guerza
Du blouse blanche au corps préfectoral
En 2006, il franchit un cap que peu osent : il passe le concours interne et intègre le corps préfectoral. Sous-préfet à Mortagne-au-Perche d’abord, puis à la politique de la ville en Seine-et-Marne où il croise Yves Jégo, Jean-François Copé ou Christian Jacob.
Ensuite ? Directeur de cabinet du préfet de Paris. Le poste dont rêvent les énarques de 30 ans. Lui l’obtient à plus de 50 ans, sans être passé par la case grande école. À Paris, il gère le logement et l’hébergement d’urgence – deux dossiers brûlants.
Puis retour en Eure-et-Loir comme sous-préfet de Dreux (2010-2013). Là, il travaille main dans la main avec le maire de l’époque sur la rénovation urbaine. Des centaines de millions d’euros débloqués, des barres d’immeubles rasées, des quartiers entièrement repensés. Mais il le répète : « Détruire et reconstruire des murs, c’est bien. Accompagner les gens, c’est mieux. »
Sa carrière continue : Rambouillet, cabinet du président du Sénat après les attentats de 2015 (il travaille sur l’appartenance à la nation), préfet à l’égalité des chances dans le Val-de-Marne, puis préfet évaluateur – celui qui note les préfectures de France entière.
Une liste « apolitique », vraiment ?
C’est le point qui intrigue tout le monde. Il le martèle : pas d’étiquette, pas de parti, pas d’extrêmes. « J’ai des personnalités qui vont jusqu’au PS, mais personne du RN ni de LFI. » Il veut une liste de rassemblement, ouverte à la société civile, aux compétences avant les cartes.
Est-ce réaliste ? En 2026, les municipales restent très politisées, même dans les villes moyennes. Mais lui connaît les rouages. Il sait où trouver les subventions, comment monter un dossier ANRU, comment négocier avec l’État. « Je n’aurai pas besoin de six mois pour apprendre le métier », glisse-t-il avec un sourire en coin.
Et puis il y a cette phrase qui résume tout : « Dreux a une richesse humaine extraordinaire. La jeunesse est pétillante. Les gens sont fiers de leur ville. » Il croit sincèrement que c’est possible. Qu’on peut dépasser les clivages, les peurs, les étiquettes.
Les chantiers qu’il porte déjà dans sa tête
Il n’a pas encore officiellement lancé sa campagne, mais les idées sont là, claires :
- Continuer et amplifier la rénovation urbaine, mais avec plus d’accompagnement social
- Redonner de la transparence dans l’attribution des logements sociaux
- Développer l’emploi local et l’insertion des jeunes des quartiers
- Recréer des lieux de rencontre entre communautés – parce que « la fracture, elle se voit tous les jours »
- Faire de Dreux une ville où on est fier d’élever ses enfants, quel que soit le quartier
Il ne promet pas la lune. Il parle budget, procédure, partenariats. Il sait que la mairie n’a pas de baguette magique, mais qu’avec de la méthode et du réseau, on avance.
Un pari osé, mais pas insensé
Beaucoup, à Dreux, voient déjà en lui un candidat sérieux. D’autres sourient : « Un sous-préfet sans parti, ça ne passe jamais. » Peut-être. Mais quand on regarde son parcours, on se dit que cet homme a déjà réussi plusieurs paris que personne n’aurait misé sur lui.
Et puis il y a cette petite musique qu’on entend dans ses mots : l’envie de rendre à la ville ce qu’elle lui a donné. Pas une revanche, pas une revanche sociale, non. Juste une forme de gratitude. « Dreux m’a beaucoup donné », dit-il simplement.
En 2026, les électeurs de Dreux auront le choix. Un choix rare : celui d’un homme qui connaît la ville par cœur, qui connaît l’État comme sa poche, et qui refuse les étiquettes toutes faites.
Est-ce que ça suffira ? On verra. Mais une chose est sûre : l’histoire d’Abdel-Kader Guerza n’a pas fini de s’écrire. Et cette fois, c’est dans les urnes que ça va se jouer.
À suivre, évidemment. Parce que cette candidature-là, elle sent la vraie vie. Et ça fait du bien.
