Vous est-il déjà arrivé de voir un simple flyer faire trembler toute une mairie ? À Toulouse, c’est exactement ce qui se passe en ce moment. Une soirée baptisée « ACAB Party », prévue dans le célèbre tiers-lieu La Chapelle, met le feu aux poudres entre les militants radicaux et la municipalité. Et franchement, on sent que ça va aller loin.
Quand un lieu alternatif devient un champ de bataille idéologique
La Chapelle, ce n’est pas n’importe quel squat. Depuis trente ans, cet ancien couvent du quartier Compans-Caffarelli vit en autogestion totale. Concerts, débats, ateliers, cantine solidaire… c’est un peu le cœur battant de la contre-culture toulousaine. Des générations de militants, d’artistes et de précaires y ont trouvé refuge. Et pourtant, aujourd’hui, ce symbole vacille.
Tout part d’une affiche rouge sang, partagée sur les réseaux, qui annonce la fameuse soirée du 13 décembre. On y voit des silhouettes masques à gaz, des grenades, et surtout ces quatre lettres qui font bondir : ACAB. Traduisez « All Cops Are Bastards ». Autant dire que le message est clair, brut, sans filtre.
Un programme qui ne laisse aucune place au doute
Le menu de la soirée ? Du lourd, très engagé à gauche de la gauche :
- Projection du film Autopsie d’un carnage sur les affrontements de Sainte-Soline
- Débat « Comment faire face au racisme et aux violences d’État ? »
- Conférence sur l’abolition de la police (rien que ça)
- Et pour finir, un DJ set jusqu’au bout de la nuit
Organisé avec le Secours Rouge, structure qui défend les prisonniers politiques, l’événement assume totalement son positionnement anti-flics. Pas de demi-mesure, pas de langue de bois. Et c’est précisément ça qui pose problème aux yeux de la mairie.
« La Chapelle ne doit pas devenir un lieu de désordre et de haine »
Le maire de Toulouse, dans un tweet devenu viral
Le ton est donné. Pour l’élu, organiser une soirée ouvertement hostile aux forces de l’ordre dans un bâtiment qui appartient encore à la ville, c’est inacceptable. Il parle même d’atteinte à l’honneur de la police. Et il n’est pas le seul à grincer des dents.
La vente bloquée : le nerf de la guerre
Parce que oui, derrière la polémique, il y a un enjeu concret : la propriété du lieu. En 2018, la mairie avait signé un compromis de vente avec l’association qui gère La Chapelle. Prix négocié, travaux réalisés par les occupants pour mise aux normes… tout était prêt. Le vote définitif devait avoir lieu fin novembre.
Mais patatras. Quelques jours avant, la municipalité annonce un report « pour vérifications juridiques ». Les membres de La Chapelle, eux, crient à la manœuvre politique. Et cette ACAB Party tombe au pire moment pour eux… ou au meilleur, selon le point de vue.
J’ai discuté avec des habitués du lieu. L’ambiance est électrique. « On sent qu’ils cherchent le moindre prétexte pour nous virer », me confie l’un d’eux, la voix pleine de colère contenue. « Cette soirée, c’est aussi une façon de dire qu’on ne se laissera pas faire. »
ACAB : slogan historique ou incitation à la haine ?
Il faut bien comprendre d’où vient ce sigle. ACAB n’est pas né sur TikTok hier. Il traîne dans les stades anglais dès les années 80, puis dans les milieux punks, anarchistes, ultras. En France, il explose vraiment après 2005, dans la foulée des émeutes en banlieue.
Pour certains, c’est une simple expression de défiance envers un système perçu comme répressif. Pour d’autres, c’est une généralisation insupportable qui met tous les policiers dans le même sac. Le débat n’est pas nouveau, mais il reste explosif.
Ce qui change aujourd’hui, c’est le contexte. Après Sainte-Soline, après les manifestations contre la réforme des retraites, après les tensions entre certains mouvements radicaux et les forces de l’ordre sont à leur paroxysme. Une soirée comme celle-ci, c’est un peu une allumette jetée dans une poudrière.
La liberté d’expression a-t-elle des limites dans un lieu public ?
La question est épineuse. D’un côté, La Chapelle est un espace privé dans les faits, même si le bâtiment appartient encore à la collectivité. Les occupants paient un loyer symbolique et gèrent tout en assemblée générale. De l’autre, la mairie peut arguer qu’elle ne veut pas financer, même indirectement, des événements qu’elle juge contraires aux valeurs républicaines.
Et là, on touche à un débat de fond : jusqu’où va la liberté d’expression quand on occupe un lieu public ? Peut-on interdire une conférence sur l’abolition de la police ? Peut-on annuler une soirée parce qu’un slogan choque ?
Personnellement, je trouve que la réponse n’est pas si simple. D’un côté, on ne peut pas laisser des discours de haine se développer tranquillement. De l’autre, commencer à censurer des idées, même radicales, sous prétexte qu’elles dérangent… ça peut ouvrir une boîte de Pandore dangereuse.
Les précédents : quand les tiers-lieux dérangent
Ce n’est pas la première fois qu’un lieu alternatif se retrouve dans le viseur. On se souvient du 108 à Paris, de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, ou plus récemment de certains lieux à Lyon ou Rennes. À chaque fois, même schéma : un projet culturel et politique fort, une occupation longue, puis un jour, la pression politique et policière qui monte.
À Toulouse, La Chapelle a déjà survécu à plusieurs menaces d’expulsion. Mais cette fois, l’argument de la « haine anti-police » pourrait être celui de trop. Surtout quand on sait que certains élus locaux rêvent de transformer le quartier Compans en zone d’affaires chic.
Et maintenant ? Trois scénarios possibles
À l’heure où j’écris ces lignes, plusieurs issues sont envisageables :
- La soirée a lieu comme prévu, malgré les pressions – ce serait une victoire symbolique énorme pour les occupants
- La préfecture interdit l’événement pour risque de troubles à l’ordre public
- La mairie utilise la polémique pour bloquer définitivement la vente et programmer une expulsion
Franchement, je penche pour la troisième option. Quand un maire sort publiquement pour dire qu’un lieu « ne doit pas devenir un espace de haine », c’est rarement bon signe pour la suite.
Ce que cette polémique dit de notre société
Au-delà de Toulouse, cette histoire est révélatrice d’un malaise plus large. D’un côté, une partie de la jeunesse radicale qui ne croit plus du tout aux institutions et exprime sa rage sans filtre. De l’autre, des élus qui découvrent, parfois avec stupeur, que leur ville abrite des poches de contestation qu’ils ne contrôlent plus.
Entre les deux, il y a tout un pan de la population qui ne se reconnaît ni dans les cocktails molotov ni dans les communiqués indignés des mairies. Et c’est peut-être là que se joue l’avenir de lieux comme La Chapelle : seront-ils écrasés entre ces deux extrêmes, ou arriveront-ils à tracer une troisième voie ?
Une chose est sûre : ce samedi 13 décembre, tous les regards seront tournés vers cette vieille chapelle du centre de Toulouse. Et quelque soit l’issue, elle marquera un tournant. Soit pour la survie d’un des derniers bastions de l’autogestion en France. Soit pour le début d’une nouvelle ère de répression des lieux alternatifs.
À suivre, donc. Très attentivement.
