Vous est-il déjà arrivé de rouler sur l’autoroute et, soudain, de lever le pied en voyant au loin une forêt de feux clignotants ? Ce matin du 8 décembre 2025, des milliers d’automobilistes alsaciens ont vécu exactement ça, mais en bien pire. Sur l’A355, cet axe tout neuf censé désengorger Strasbourg, cinq poids lourds viennent de transformer un banal trajet en cauchemar collectif. Deux chauffeurs sont entre la vie et la mort. Et moi, comme vous peut-être, je me pose la même question : comment en arrive-t-on là ?
Un carambolage qui glace le sang dès l’aube
Il était à peine plus de 8 heures quand le choc a retenti. Cinq mastodontes de la route, certains chargés à bloc, se sont télescopés sur plusieurs dizaines de mètres à hauteur d’Ittenheim, dans le sens sud-nord. Le bruit ? Imaginez un gigantesque craquement métallique, suivi du crissement interminable des freins qui n’ont rien pu faire.
Les images qui circulent (prises de loin, bien sûr) montrent un spectacle de désolation : cabines broyées, remorques pliées comme des accordéons, cargaisons éventrées sur la chaussée. Et surtout, ces deux conducteurs coincés dans leurs habitacles, inconscients, pendant que les pompiers s’acharnaient à les sortir de là.
Deux vies suspendues à un fil
Les secours n’ont pas lésiné sur les moyens : près de cinquante sapeurs-pompiers, une vingtaine de véhicules, dont les spécialistes du désincarcération. Quand on sait qu’une cabine de camion peut peser plusieurs tonnes une fois écrasée, on mesure l’urgence et la difficulté de l’opération.
Ils étaient coincés, les jambes broyées, le thorax comprimé. Chaque minute comptait.
– Un témoin direct des opérations de secours
Les deux conducteurs les plus touchés ont été classés en urgence absolue. Héliportés vers les hôpitaux strasbourgeois, leur pronostic vital reste engagé à l’heure où j’écris ces lignes. Les trois autres sont plus légèrement atteints – fractures, contusions – mais le choc psychologique, lui, sera durable pour tout le monde.
L’A355, cette autoroute neuve déjà maudite ?
Inaugurée il y a à peine quelques années, l’A355 – ou « contournement ouest de Strasbourg » pour les intimes – devait être la solution miracle contre les bouchons monstres de l’A35. Raté. Depuis son ouverture, les accidents graves s’y multiplient de façon inquiétante. Est-ce la vitesse plus élevée ? Le trafic poids lourds sous-estimé ? Le tracé qui favorise l’endormissement ? Un peu tout ça à la fois, sans doute.
J’ai moi-même emprunté cet axe des dizaines de fois. Et franchement, entre les portions à 110 km/h qui donnent l’impression d’être sur un billard et les zones de travaux à répétition, on sent que beaucoup de conducteurs se laissent surprendre. Ce matin, les conditions météo n’étaient pourtant pas dramatiques : route simplement humide, visibilité correcte. Alors quoi ? La fatigue ? Un moment d’inattention ?
Un axe stratégique complètement paralysé
Conséquence immédiate : l’A355 a été fermée dans le sens sud-nord dès la sortie La Bruche. À midi, des kilomètres de camions et de voitures étaient encore bloqués, certains conducteurs coincés dans leur habitacle depuis plus de quatre heures. Les réseaux sociaux alsaciens se sont enflammés : photos de bouchons interminables, messages de colère, d’inquiétude.
- Déviation obligatoire par les petites routes départementales déjà saturées en temps normal
- Retards monstres pour les livraisons avant Noël
- Tensions palpables entre automobilistes et forces de l’ordre qui géraient le flux
Et puis il y a eu cette odeur… Les spécialistes des risques chimiques ont été appelés en renfort. Plusieurs centaines de litres d’hydrocarbures se sont répandus sur la chaussée. Pollution limitée, heureusement, mais il a fallu tout nettoyer avant de songer à rouvrir.
La fatigue, ce tueur silencieux qu’on refuse de voir
Permettez-moi d’être un peu cash : combien de fois croise-t-on des camions qui zigzaguent légèrement à 5 heures du matin ? Combien de chauffeurs roulent 10, 11, parfois 12 heures d’affilée parce que « le planning est serré » ? On parle beaucoup de l’alcool au volant (et c’est bien), mais la fatigue, elle, tue tout autant en silence.
Dans le transport routier, les temps de repos sont théoriquement encadrés. Mais entre les amendes qui pleuvent si on livre en retard et les clients qui exigent l’impossible, beaucoup jouent à la roulette russe tous les jours. Ce matin sur l’A355, la roulette s’est arrêtée sur deux familles qui attendent, impuissantes, des nouvelles de leur proche.
Et maintenant ? Les questions qui dérangent
La réouverture progressive de l’autoroute a commencé en début d’après-midi, mais le traumatisme, lui, va durer. On va parler enquêtes, expertises, reconstitution. On va sûrement pointer du doigt un endormissement, une vitesse excessive, un téléphone peut-être. Mais au-delà du « fautif » du jour, il y a tout un système qui craque.
- Des infrastructures neuves qui concentrent un trafic toujours plus dense
- Des chargeurs qui imposent des délais intenables
- Des contrôles peut-être pas assez fréquents sur les temps de conduite
- Et nous, automobilistes, qui pestons contre les camions sans réaliser qu’ils transportent tout ce qu’on consomme
Ce soir, deux hommes luttent dans un lit d’hôpital. Cinq familles sont bouleversées. Et des milliers d’usagers se demandent si demain, ça ne sera pas leur tour.
Alors oui, l’A355 rouvrira complètement d’ici demain matin. La vie reprendra son cours, comme toujours. Mais parfois, un accident aussi brutal nous oblige à nous regarder en face. Et à admettre que la route, cette grande indifférente, ne pardonne rien. Ni la fatigue. Ni l’inattention. Ni le sentiment qu’on est pressés, toujours pressés.
Prenez soin de vous sur la route. Et si vous croisez un camion ce soir, laissez-lui un peu plus d’espace. On ne sait jamais.
(Article mis à jour à 18h30 – la circulation est rétablie sur une voie, les investigations se poursuivent)
