Il y a des nouvelles qui vous prennent aux tripes. Celle-ci en fait partie. Trois gamins – 14, 15 et 19 ans – qui ne rentreront jamais chez eux parce que leur soirée a mal tourné. Leur voiture a terminé sa course au fond d’une piscine privée à Alès, dans le Gard. Et aujourd’hui, les résultats toxicologiques tombent comme un couperet : deux d’entre eux présentaient du protoxyde d’azote dans le sang. L’un cumulait aussi alcool et cannabis. Difficile de ne pas se demander : et si ce « gaz hilarant » n’avait rien de drôle du tout ?
Un drame qui aurait pu être évité ?
Reprenons depuis le début. On est fin novembre 2025, la nuit est bien avancée. Trois jeunes prennent la route ensemble. À l’avant : un garçon de 19 ans au volant, son copain de 14 ans à ses côtés. À l’arrière, un autre adolescent de 15 ans. Personne ne porte la ceinture, semble-t-il. La voiture quitte la chaussée, dévale un talus, passe par-dessus un muret et plonge directement dans la piscine d’une propriété. L’eau envahit l’habitacle en quelques secondes. Aucun des trois ne parvient à s’extraire. Quand les secours arrivent, il est déjà trop tard.
Sur le moment, on parle d’accident classique : vitesse, perte de contrôle, fatalité. Mais les analyses changent la donne. Le conducteur de 19 ans affichait un taux « relativement important » de protoxyde d’azote, associé à de l’alcool et du cannabis. Le passager avant de 14 ans, lui aussi positif au protoxyde, avec un taux plus faible. Le jeune à l’arrière, lui, était négatif. Trois destins brisés, une même soirée.
Le protoxyde d’azote, c’est quoi exactement ?
On l’appelle gaz hilarant, proto, nitro ou même whippets dans les soirées. À la base, c’est un gaz médical utilisé en anesthésie et dans les siphons de chantilly. Mais depuis quelques années, les cartouches de cuisine se retrouvent détournées pour un usage purement récréatif. On remplit un ballon, on inhale, et pendant trente secondes à une minute, c’est l’euphorie : voix modifiée, rires incontrôlables, sensation de légèreté. Sympa sur le papier.
Sauf que derrière le côté « fun », les effets sont loin d’être anodins. Le protoxyde prive le cerveau d’oxygène le temps de l’inhalation. Résultat : vertiges, désorientation, perte de coordination, voire perte de conscience dans les cas les plus graves. Et quand on prend le volant juste après, c’est la roulette russe.
« Le protoxyde d’azote provoque une hypoxie cérébrale transitoire. En clair, le cerveau manque d’oxygène. C’est exactement l’effet recherché pour le « high », mais c’est aussi ce qui rend la conduite extrêmement dangereuse. »
– Un toxicologue interrogé récemment sur les risques du proto
Pourquoi les jeunes s’y mettent autant ?
La réponse est simple : c’est facile à trouver, pas cher, et jusqu’à récemment, parfaitement légal. Une cartouche de 8 grammes coûte entre 50 centimes et 1 euro sur internet ou dans certaines épiceries de nuit. Aucun âge minimum pour l’achat (sauf depuis la loi de 2021 qui l’a limité aux +18 ans, mais tout le monde sait que ça passe encore). Et sur TikTok ou Snapchat, les vidéos de « proto challenge » pullulent. On voit des ados remplir des sacs poubelles entiers et inhaler pendant des minutes. Le message subliminal ? C’est cool, c’est inoffensif.
J’ai moi-même vu, il y a deux ans, des gamins de 4e-3e se vanter dans la cour du collège d’avoir « tapé du proto » le week-end. À 13 ans. Ça m’avait glacé le sang.
- Accessibilité extrême (livraison en 30 minutes dans certaines villes)
- Prix dérisoire comparé à d’autres substances
- Image « pas vraiment une drogue » entretenue par les réseaux
- Effet court = sentiment de « contrôle »
- Absence de odeur sur les vêtements ou l’haleine
Les chiffres qui font peur
Depuis 2019, les signalements explosent. Plus de 500 cas graves recensés par les centres antipoison en 2024, contre une poignée dix ans plus tôt. Paralysies, troubles neurologiques irréversibles, accidents de la route… Et maintenant, des morts directes ou indirectes.
Dans les accidents mortels de moins de 25 ans, le protoxyde commence à apparaître dans les analyses toxicologiques presque aussi souvent que le cannabis. Et le pire, c’est qu’on ne le recherche pas systématiquement – seulement quand les enquêteurs trouvent des cartouches sur place ou dans la voiture.
Que dit la loi aujourd’hui ?
Depuis 2021, la vente aux mineurs est interdite, tout comme la vente en ligne sans contrôle d’âge sérieux. Certaines villes ont même interdit la possession sur la voie publique. Mais dans les faits ? Les livreurs continuent, les sites étrangers livrent sans problème, et les épiceries de nuit font parfois office de dealers officieux.
Conduire après inhalation ? C’est considéré comme une conduite sous l’emprise de stupéfiants. Amende, retrait de points, prison possible. Mais encore faut-il être contrôlé vivant.
Et les parents dans tout ça ?
Beaucoup tombent des nues. « Mon fils ne se droguait pas », « c’était juste pour rire ». Sauf que les cartouches vides traînent parfois dans les chambres, planquées sous les lits ou dans les sacs de sport. Et les symptômes – engourdissements, trous de mémoire, sautes d’humeur – sont souvent mis sur le compte de l’adolescence.
Il suffirait pourtant d’ouvrir les yeux. Une boîte de 24 cartouille vide en une semaine, ce n’est pas pour faire des chantilly tous les jours.
Vers un durcissement inévitable ?
Après chaque drame, les voix s’élèvent. Certains députés proposent de classer le protoxyde en stupéfiant pur et simple. D’autres veulent interdire totalement la vente aux particuliers des cartouches alimentaires. En attendant, les associations de prévention tournent à plein régime dans les lycées et les collèges. Mais est-ce que ça suffira ?
Ce qui est sûr, c’est que le drame d’Alès ne sera probablement pas le dernier. Tant que des gamins de 14 ans pourront commander 100 cartouches en deux clics et prendre le volant après en avoir inhalé cinq ou six, le risque zéro n’existera pas.
« On a beau prévenir, sensibiliser, punir… Tant que l’offre sera aussi facile et l’image aussi cool, on aura des morts. C’est triste à dire, mais c’est la réalité. »
– Un éducateur spécialisé en addictologie rencontré en 2024
Trois vies fauchées. Trois familles détruites. Et derrière les chiffres, des prénoms, des rires, des projets d’avenir qui n’existeront jamais. Peut-être qu’un jour, on regardera ces années 2020-2025 comme on regarde aujourd’hui les soirées arrosées sans ceinture dans les années 80. En se disant : comment a-t-on pu laisser faire ça ?
En attendant, si vous avez un ado à la maison, jetez un œil dans son sac. Et parlez-lui. Vraiment. Parce que le « c’est juste du proto » peut très vite devenir « c’est juste un cercueil ».
