Vous est-il déjà arrivé de courir après un bus qui démarre juste sous votre nez ? Ce petit sprint désespéré, la main tendue, le cœur qui bat… On l’a tous fait au moins une fois. Mais quand on a 80 ans, que la jambe ne suit plus aussi bien et que le chauffeur ne vous voit pas, ce geste anodin peut virer au drame en une fraction de seconde.
Ce jeudi matin, à Chambourcy dans les Yvelines, c’est exactement ce qui s’est passé.
Un accident aussi brutal que soudain
Il est un peu avant neuf heures. Rue Georges-Thill, un couple de personnes âgées attend le bus de la ligne R4. Madame, 80 ans, accompagne son mari qui a rendez-vous médical. Le bus arrive, s’arrête… ou du moins, c’est ce qu’ils croient. À peine la dame pose-t-elle le pied sur la marche que le véhicule redémarre. Déséquilibrée, elle glisse. Sa jambe gauche passe sous la roue arrière. Le cri, le choc, l’effroi des témoins.
Les pompiers sont sur place en quelques minutes. L’état de la victime nécessite un transport en urgence absolue vers l’hôpital le plus proche. À l’heure où j’écris ces lignes, on ignore encore le pronostic exact, mais les blessures à la jambe sont forcément très graves.
« C’est un couple charmant que tout le monde connaît ici. Tout le monde est sous le choc », confie un élu local qui préfère rester discret tant l’émotion est vive dans ce petit coin des Yvelines.
Pourquoi le bus a-t-il redémarré si vite ?
C’est la question que tout le monde se pose sur place. Le chauffeur a-t-il vraiment vu la dame tenter de monter ? Les rétroviseurs étaient-ils bien réglés ? Y avait-il beaucoup de monde à l’arrêt, créant une confusion ? Ou s’agit-il simplement du terrible enchaînement : une personne âgée un peu plus lente, un chauffeur pressé par les horaires, une seconde d’inattention fatale.
Dans les transports en commun, les procédures veulent que le conducteur s’assure que plus personne ne monte avant de refermer les portes. Mais dans la réalité, entre la pression du planning et la fatigue, ça ne se passe pas toujours comme dans les manuels.
J’ai moi-même surpris des chauffeurs repartir alors que je courais encore vers l’arrêt. On râle, on peste, mais on finit par rire jaune. Sauf que là, il n’y a vraiment pas de quoi rire.
Les personnes âgées, grandes oubliées de la sécurité routière ?
En France, les plus de 75 ans représentent à peine 10 % de la population… mais près de 30 % des piétons tués sur la route. Les chiffres font froid dans le dos. Réflexes moins vifs, troubles de l’équilibre, difficulté à évaluer les distances : tout joue contre eux.
Et pourtant, combien d’arrêts de bus sont réellement adaptés ? Rampes trop raides, trottoirs défoncés, horaires trop serrés qui poussent les chauffeurs à grappiller quelques secondes… On construit des lignes à grande vitesse, on vante la transition écologique, mais on oublie parfois les usagers les plus fragiles.
- Marquage au sol effacé devant de nombreux arrêts
- Éclairage souvent insuffisant en hiver
- Absence de signal sonore plus long avant fermeture des portes
- Formation des chauffeurs parfois réduite à la portion congrue sur la prise en charge des seniors
Autant de petites choses qui, mises bout à bout, augmentent le risque.
Un précédent tragique il y a à peine un mois
Ce qui rend l’affaire encore plus glaçante, c’est qu’un accident presque identique s’est produit il y a tout juste cinq semaines dans le département. À Maisons-Laffitte, une femme de 43 ans avait été percutée mortellement par un bus. Deux drames en quelques kilomètres et quelques semaines, deux vies basculées à cause d’un bus.
Coïncidence tragique ou signe d’un problème plus large dans la gestion des lignes de bus en Île-de-France ? Difficile de ne pas se prononcer sans enquête, mais le sentiment d’insécurité grandit chez les habitants.
Que faire pour que ça n’arrive plus ?
Il y a les mesures immédiates et celles de fond.
Côté immédiat, on peut imaginer :
- Une suspension du chauffeur le temps de l’enquête (procédure classique)
- contrôle technique renforcé du bus incriminé
- rappel à tous les conducteurs de la ligne des procédures d’arrêt
- visite de soutien à la victime et à sa famille par l’opérateur
Mais à plus long terme, il faut aller plus loin. Certains pays ont déjà mis en place des systèmes simples et efficaces :
- Capteurs qui empêchant le redémarrage si une porte est encore ouverte plus de 3 secondes
- Bouton extérieur « arrêt demandé » plus visible pour les personnes à mobilité réduite
- Formation obligatoire tous les deux ans sur la vulnérabilité des seniors
- Amende automatique pour les chauffeurs repartant trop tôt (comme à Londres)
Rien de révolutionnaire. Juste du bon sens et un peu de volonté politique.
Et nous, simples usagers, on fait quoi ?
On peut aussi changer nos habitudes. Attendre que le bus soit complètement arrêté avant de s’avancer. Lever la main bien haut pour signaler sa présence. Et surtout, surtout, ne jamais courir après un bus qui démarre – même si on est en retard. Un bus suivant passera. Une jambe écrasée, elle, ne se remplace pas.
J’ai 38 ans et je me surprends déjà à râler quand je rate un bus de deux secondes. Alors je n’ose imaginer la frustration à 80 ans, quand chaque sortie demande un effort énorme et que rater le bus signifie peut-être attendre une heure dehors par temps froid.
Cette dame voulait simplement accompagner son mari chez le médecin. Un geste d’amour ordinaire. Et aujourd’hui, elle se bat à l’hôpital.
On ne peut que lui souhaiter un prompt rétablissement et beaucoup de courage à son entourage. Et espérer que cet accident, aussi douloureux soit-il, serve enfin de électrochoc.
Parce que demain, ça pourrait être notre grand-mère. Ou la vôtre.
Prenez soin de vous sur la route. Et surtout, prenez soin des autres.
