Il y a des soirs où tout bascule en quelques secondes. Une soirée qui s’annonçait belle, des rires, de la musique, des retrouvailles. Et puis plus rien. Juste le bruit assourdissant d’un choc, des corps projetés, et quatre vies qui s’éteignent sur une route de banlieue. À Sarcelles, fin octobre 2023, ce scénario cauchemardesque est devenu réalité pour plusieurs familles. Deux ans plus tard, elles attendent encore que justice soit rendue.
Je me souviens encore de la une des journaux locaux à l’époque. On parlait d’un « terrible accident », d’un « chauffard », de « victimes fauchées en rentrant chez elles ». Derrière les mots, il y a des visages, des prénoms, des histoires. Et surtout, une douleur qui ne s’efface pas.
Un drame qui aurait pu être évité ?
Ce soir-là, Marie-Hélène, 66 ans, marchait main dans la main avec son compagnon Marcelin, 61 ans. Avec eux, deux amis proches. Ils revenaient d’une soirée ultramarine organisée dans des jardins partagés du quartier. Rien d’extraordinaire : de la musique, des grillades, l’ambiance chaleureuse qu’on connaît dans ces rassemblements communautaires. La nuit était tombée depuis longtemps, mais ils habitaient à quelques minutes à pied.
Pour rentrer, il fallait traverser la D316. Une départementale connue des habitants pour son danger. Éclairage public souvent défaillant, vitesse excessive des véhicules, absence de passage piéton sécurisé. Ce soir-là, les lampadaires étaient éteints ou trop faibles. Les quatre amis avançaient prudemment sur le bas-côté quand une voiture les a percutés de plein fouet.
Tous les quatre sont morts sur le coup ou peu après. Un bilan effroyable qui a secoué toute la ville.
« Ce conducteur m’a pris ma mère »
Sandra a 48 ans. Elle parle de sa mère avec une voix qui tremble encore. « Maman était la joie de vivre incarnée. Toujours à rire, à aider tout le monde, à organiser des repas de famille géants. Elle avait ce don de rendre n’importe quelle journée plus belle. » Deux ans après, elle répète souvent la même phrase, presque comme un mantra : « Ce conducteur m’a pris ma mère. »
« Je ne comprends pas comment on peut rouler aussi vite sur une route pareille, la nuit, sans visibilité. C’était un massacre annoncé. »
– Une fille endeuillée
Les autres familles disent à peu près la même chose. Le compagnon de Marie-Hélène, Marcelin, était un homme discret mais adoré de tous. Les deux amis fauchés en même temps laissaient derrière eux des enfants, des petits-enfants, des frères et sœurs. Quatre familles détruites en une fraction de seconde.
Une route connue pour être dangereuse
La D316 n’est pas une autoroute. Mais pour beaucoup d’automobilistes, c’est un raccourci pratique entre plusieurs communes du Val-d’Oise. Résultat : des voitures qui filent à des vitesses folles, surtout la nuit. Les riverains le disent depuis des années : cette portion est un piège.
- Éclairage public insuffisant ou en panne régulière
- Absence de trottoir sur de longs tronçons
- Aucune barrière de sécurité entre la chaussée et le bas-côté
- Vitesse limitée à 70 ou 80 km/h mais rarement respectée
- Passages piétons inexistants à certains endroits stratégiques
Combien de fois a-t-on signalé le problème ? Des pétitions, des courriers à la mairie, des alertes aux services départementaux. Rien ou presque n’a bougé. Et puis il a fallu un drame avec quatre morts pour que, peut-être, les choses commencent à être prises au sérieux.
Deux ans d’attente pour un procès
Le conducteur a été placé sous contrôle judiciaire rapidement après les faits. L’enquête a établi une vitesse excessive, probablement bien au-delà des limites autorisées. Mais depuis ? Le silence, ou presque. Les familles ont reçu quelques courriers administratifs, des dates repoussées, des expertises qui traînent.
Le procès est enfin fixé au 13 février 2026. Plus de deux ans et trois mois après les faits. C’est long. Très long. Trop long pour des proches qui tournent en rond avec leurs questions et leur chagrin.
« On nous dit que la justice a besoin de temps pour être bien faite. Mais nous, on a besoin de comprendre, de tourner la page, de savoir pourquoi nos proches ne sont plus là. »
Dans les affaires d’homicide involontaire par conducteur, les délais sont souvent critiqués. Entre les expertises techniques (reconstitutions, analyses de vitesse, état du véhicule), les auditions, les contre-expertises demandées par la défense… les mois défilent. Et pendant ce temps, les familles restent suspendues.
La sécurité routière, éternel parent pauvre ?
Ce drame n’est malheureusement pas isolé. Chaque année en France, des centaines de piétons meurent sur les routes. Souvent la nuit. Souvent sur des axes mal éclairés. Souvent à cause d’une vitesse inadaptée.
Ce qui frappe dans cette affaire, c’est qu’on avait tous les ingrédients d’un accident annoncé :
- Une route connue comme dangereuse
- Un éclairage public défaillant ce soir-là
- Des piétons obligés de marcher sur la chaussée ou le bord
- Un conducteur qui, selon les premiers éléments, roulait trop vite
On attend toujours les conclusions définitives de l’enquête, mais beaucoup se demandent : et si on avait agi plus tôt sur l’aménagement de cette route ? Et si les contrôles de vitesse étaient plus réguliers ? Et si l’éclairage fonctionnait correctement ?
Après le drame, des travaux ont été promis. Des radars pédagogiques installés, des projets de trottoirs, un meilleur éclairage. Espérons que ça ne reste pas des promesses en l’air.
Vivre avec l’absence
Pour les familles, le plus dur n’est pas seulement l’attente du procès. C’est le vide tous les jours. Les anniversaires sans eux. Les fêtes de Noël où il manque quatre chaises autour de la table. Les photos qu’on regarde en pleurant.
Sandra raconte qu’elle passe souvent devant l’endroit de l’accident. « Il y a des fleurs fanées, parfois des bougies. Je m’arrête, je parle à ma mère. Je lui dis qu’on ne l’oublie pas, qu’on se bat pour qu’il y ait une vraie justice. »
Les enfants des autres victimes ont créé un petit groupe de soutien. Ils se retrouvent, échangent, pleurent ensemble. Parce que personne d’autre ne peut vraiment comprendre ce qu’ils vivent.
Et maintenant ?
Février 2026 approche doucement. Le procès aura lieu au tribunal de Pontoise. Les familles s’y préparent, autant qu’on peut se préparer à revivre l’horreur. Elles espèrent des réponses claires, une reconnaissance de la responsabilité, et surtout que ce drame serve à quelque chose.
Elles souhaitent que cette route devienne enfin sûre. Que plus jamais une famille n’ait à vivre ça. Que les quatre vies perdues ce soir-là n’aient pas disparu pour rien.
Parce qu’au-delà des débats juridiques, des expertises et des plaidoiries, il y a une vérité simple : quatre personnes pleines de vie ne rentreront jamais chez elles. Et ça, aucun procès ne pourra le réparer.
En écrivant ces lignes, je repense à toutes les familles que j’ai croisées au fil des années dans des affaires similaires. La douleur est toujours la même. L’attente aussi. Et la question qui revient sans cesse : combien de drames faudra-t-il encore pour que la sécurité des plus vulnérables – les piétons – devienne enfin une priorité absolue ?
À Sarcelles, comme ailleurs, l’espoir reste fragile. Mais il existe. Porté par des proches qui refusent l’oubli et qui se battront jusqu’au bout pour que justice soit rendue. Et pour que plus jamais une soirée joyeuse ne se termine ainsi.
