Il est des matins où l’on préférerait rester couché. Ce dimanche 8 décembre 2025, peu avant 7 h 30, la pluie fine tombe sur Mitry-Mory, en Seine-et-Marne. Les rues sont encore noires, les phares des rares voitures percent à peine le brouillard léger. Et puis, en quelques secondes, tout bascule pour un jeune homme de 22 ans qui roulait simplement en trottinette électrique.
Un choc sourd. Une silhouette projetée au sol. Un conducteur qui, au lieu de s’arrêter, appuie sur l’accélérateur et disparaît dans la nuit. C’est seulement plus tard, rongé par le remords, qu’il avouera à son patron ce qu’il vient de faire. Trop tard pour la victime.
Un drame qui aurait pu être évité
Ce qui frappe d’emblée dans cette affaire, c’est la banalité terrifiante du scénario. Un trajet domicile-travail avant le lever du jour, une route humide, une visibilité réduite, un engin sans protection réelle face à une voiture… et de l’alcool dans le sang du conducteur. Tous les ingrédients d’une catastrophe annoncée étaient réunis.
Le jeune homme, originaire du Sri Lanka et récemment installé en France avec sa famille, n’aura pas eu le temps de voir venir le véhicule. Les secours, arrivés rapidement après l’alerte d’un passant, n’ont rien pu faire. Le médecin du Smur a constaté le décès sur place. Vingt-deux ans.
Ce qui est presque aussi glaçant que l’accident lui-même, c’est la réaction initiale du conducteur : il prend la fuite. On peut imaginer la panique, le déni, la peur. Mais pendant ces minutes où il roule vers son travail, la victime gît seule sur le bitume froid.
Le remords qui change tout
Et puis arrive ce moment inattendu. L’homme, la trentaine, entre dans les locaux de son entreprise. Il est blême. Il finit par craquer devant son employeur : « Je crois que je viens de renverser quelqu’un en trottinette… » Le patron appelle immédiatement les forces de l’ordre. Fin de la cavale.
À l’arrivée des policiers, le test d’alcoolémie est sans appel : 1,5 gramme par litre de sang. De quoi largement aggraver les faits. L’homme est placé en garde à vue pour homicide routier aggravé par état alcoolique et délit de fuite. Des chefs qui peuvent envoyer derrière les barreaux pour longtemps.
Il est encore trop tôt pour savoir s’il avait conscience de la gravité des blessures de la victime au moment où il a choisi de fuir.
Un magistrat proche du dossier
Une question reste en suspens : la victime portait-elle un casque ? L’enquête le dira. Mais on sait déjà que beaucoup d’utilisateurs de trottinettes, surtout les habitués, finissent par zapper cette protection pourtant vitale.
Mitry-Mory, une commune sans yeux la nuit
Autre difficulté pour les enquêteurs : la ville n’est pas équipée de caméras de vidéoprotection à cet endroit. Pas de témoins non plus à cette heure-là. Sans l’aveu du conducteur, l’affaire aurait pu rester un mystère pendant des jours, voire des semaines. On pense à tous ces accidents non élucidés où le chauffard n’a jamais eu ce sursaut de conscience.
J’ai souvent roulé tôt le matin dans ces zones périurbaines. On se croit seul au monde. Les routes sont larges, les trottoirs parfois inexistants, et les trottinettes, même éclairées, restent des points lumineux fragiles dans le rétroviseur.
2025, année noire pour les trottinettes en Seine-et-Marne
Malheureusement, ce drame n’est pas isolé. L’année 2025 est particulièrement meurtrière pour les utilisateurs de trottinettes électriques dans le département.
- Janvier : un homme de 34 ans tué sur la D142 entre Melun et Le Coudray-Montceaux. Le conducteur avait fui, prétextant avoir cru heurter un animal. 18 mois de prison avec sursis.
- Octobre : une femme de 30 ans fauchée sur la D5 à Villenoy, elle aussi en allant travailler. Elle décède le lendemain.
- Décembre : ce jeune de 22 ans à Mitry-Mory.
Trois morts en un an, tous tôt le matin, tous percutés par des automobilistes. Le schéma est effrayant de répétition.
Pourquoi les trottinettes restent si vulnérables
On le répète pourtant jusqu’à l’épuisement : une trottinette, ce n’est pas un jouet. C’est un engin classé EDPM (Engin de Déplacement Personnel Motorisé) qui peut dépasser les 25 km/h. Mais face à une voiture, même à 50 km/h, l’issue est presque toujours fatale.
Et pourtant, on voit encore trop souvent :
- Des utilisateurs sans casque (parfois même sans lumières)
- Des trajets sur des routes départementales pourtant interdites aux EDPM
- Des conducteurs de voitures qui regardent ailleurs, téléphone en main ou simplement fatigués
- De l’alcool ou de la drogue au volant, même à 7 heures du matin
Je ne jette la pierre à personne. On a tous déjà pris des risques, consciemment ou non. Mais quand on cumule tous ces facteurs, on joue à la roulette russe sur la voie publique.
L’alcool au petit matin, un fléau sous-estimé
1,5 g à 7 h 30 un dimanche matin, ça veut dire que l’homme n’avait probablement pas dormi ou qu’il avait continué à boire après une soirée. C’est le genre de situation qu’on associe plus aux retours de boîte de nuit qu’aux trajets matinaux vers le boulot. Et pourtant, c’est une réalité.
Les statistiques montrent que les accidents liés à l’alcool ne se concentrent pas seulement le week-end tard le soir. Il y a tout une tranche d’accidents « du lendemain matin » où les conducteurs n’ont pas encore désaoulé. C’est vicieux, parce qu’on se sent « en forme » alors que le taux reste largement positif.
Que faut-il retenir, au-delà de l’émotion ?
Ce drame nous renvoie à nos responsabilités collectives. Oui, les trottinettes ont envahi nos villes et nos routes, parfois de façon anarchique. Oui, certains utilisateurs se mettent en danger bêtement. Mais non, ça n’excuse en rien de prendre le volant après avoir bu, ni de fuir après un accident.
Peut-être que cet aveu spontané, aussi tardif soit-il, sauvera d’autres vies à l’avenir. Parce qu’il montre qu’on peut encore choisir de faire face, même quand tout semble perdu.
En attendant, une famille pleure un fils, un frère, arrivé il y a peu en France avec l’espoir d’une vie meilleure. Et sur le bitume de Mitry-Mory, une trottinette renversée rappelle cruellement que la route ne pardonne rien.
Prenez soin de vous sur la route. Vraiment.
