Ce matin-là, en ouvrant mon téléphone, j’ai failli renverser mon café. La place de l’Étoile, ce rond-point mythique où douze avenues se rejoignent comme les rayons d’une roue folle, était rouge. Pas rouge coquelicot de Noël, non. Rouge sang, rouge colère, rouge alarme. Dix ans exactement après la signature de l’Accord de Paris, des activistes ont décidé que les mots ne suffisaient plus.
Je me suis surpris à me demander : est-ce que ça choque encore quelqu’un ? Ou est-ce qu’on s’est habitués, nous aussi, à voir le symbole de la France recouvert de peinture comme on s’habitue à voir les glaciers fondre en direct sur les réseaux ?
Quand l’Arc de Triomphe devient un cri d’alarme
Il était à peine 11 heures quand une poignée de militants, équipés de extincteurs remplis de peinture biodégradable (ils y tiennent, à ce détail), ont transformé le bitume en toile géante. Des banderoles ont été déployées en quelques secondes : « 10 ans de sabotage climatique ». Le message est brutal, direct, sans filtre. Et franchement, il cogne.
Les voitures continuaient de tourner, klaxons furieux, chauffeurs médusés. Les touristes prenaient des selfies. La police est arrivée, comme toujours un peu après la bataille. Les activistes se sont évaporés dans les avenues voisines. Classique. Mais cette fois, le symbole est tellement fort qu’on ne peut pas juste passer à autre chose.
L’Accord de Paris, ce rêve qui fête ses dix ans… en cauchemar
12 décembre 2015. Je m’en souviens comme si c’était hier. On nous vendait le « premier accord universel sur le climat ». Presque 200 pays qui s’asseyaient ensemble et disaient : « On va limiter le réchauffement à 1,5 °C, promis juré. » Il y avait des larmes, des embrassades, des selfies avec les ministres. On parlait d’espoir historique.
Dix ans plus tard, où en est-on ?
- La température a déjà grimpé de 1,2 °C depuis l’ère préindustrielle.
- Les engagements actuels, s’ils sont tenus (et c’est un grand si), nous mènent vers +2,7 °C d’ici la fin du siècle.
- L’objectif des 1,5 °C ? Officiellement hors d’atteinte à court terme, selon les scientifiques les plus sérieux.
- Et pourtant, on continue d’ouvrir des centrales à charbon et des terminaux gaziers un peu partout.
Quand je lis ça, j’ai parfois l’impression qu’on vit dans deux réalités parallèles. D’un côté les discours, les COP, les beaux engagements. De l’autre, la réalité des chiffres qui grimpent plus vite que prévu.
« Il faut faire des choses spectaculaires qui vont attirer l’attention des gens et de l’État. C’est un peu navrant, mais c’est ça la résistance citoyenne aujourd’hui. »
Un militant polynésien présent sur place
Cette phrase m’a marqué. Parce qu’elle dit tout. On en est là : il faut recouvrir l’Arc de Triomphe de peinture pour que les gens lèvent enfin les yeux du bitume.
La peinture rouge, symbole d’un sang qui coule déjà
Ils ont choisi le rouge. Pas le vert espoir, pas le bleu planète. Le rouge. Celui des alertes incendie, des feux de forêt qui ravagent la Californie, l’Australie, la Grèce. Celui du sang des espèces qui disparaissent à un rythme jamais vu depuis 65 millions d’années.
Et ils ont raison, quelque part. Ce n’est pas de la peinture qui va rester. C’est de l’ocre naturel mélangé à de l’eau, ça partira avec la première pluie. Mais l’image, elle, va rester. Elle tourne déjà en boucle sur tous les écrans. Et c’est exactement ce qu’ils voulaient.
On peut critiquer la méthode – et beaucoup le font, d’ailleurs. Mais on ne peut pas nier l’efficacité. Combien de fois avons-nous fait défiler une publication sur le climat en pensant « encore une mauvaise nouvelle » avant de passer au meme suivant ? Là, impossible de faire semblant de ne pas voir.
Ce qu’on a vraiment réussi en dix ans (soyons honnêtes)
Il faut aussi le dire : tout n’est pas noir. L’Accord de Paris n’a pas été un échec total. Loin de là.
- Le coût des énergies renouvelables a chuté de façon spectaculaire (le solaire a été divisé par 7, l’éolien par 4).
- Plus de 130 pays ont adopté des objectifs de neutralité carbone d’ici 2050.
- Les investissements dans les énergies propres dépassent maintenant ceux dans les fossiles dans beaucoup de régions.
- La conscience collective a explosé : il y a dix ans, le climat n’était pas dans le top 10 des préoccupations des Français. Aujourd’hui, c’est souvent dans le top 3.
Mais le problème, c’est le rythme. On va dans la bonne direction, mais à 30 km/h quand il faudrait rouler à 300. Et pendant ce temps, les émissions continuent de grimper, les événements extrêmes se multiplient, et les îles du Pacifique regardent la mer monter avec une angoisse qu’on peine à imaginer depuis nos balcons parisiens.
Et maintenant ? Vers une radicalisation de l’activisme ?
Ce qui m’inquiète un peu, c’est la pente sur laquelle on est. Plus les années passent sans résultats concrets, plus les actions deviennent spectaculaires. On est passé des collages d’affiches aux soupes sur les vitres de musées, puis aux blocages, et maintenant à recouvrir les monuments nationaux de peinture.
Jusqu’où ira-t-on ? Et surtout, est-ce que ça marche vraiment ? Est-ce que ces images choc finissent par réveiller les consciences… ou est-ce qu’elles finissent par lasser, voire agacer ? J’ai l’impression qu’on marche sur une corde raide entre légitimité et rejet.
Ce qui est sûr, c’est que le message passe. Ce matin, des millions de personnes ont vu la place de l’Étoile en rouge. Et même si beaucoup ont râlé contre les « casseurs », beaucoup d’autres se sont posés la question : et si ils avaient raison ?
Ce que je retiens, personnellement
Je ne vais pas vous mentir : je suis partagé. D’un côté, j’admire le courage de ceux qui mettent leur liberté en jeu pour alerter. De l’autre, je me dis que salir un monument historique, même temporairement, ça ne fait pas avancer le débat de la meilleure des manières.
Mais il y a une chose que je ne peux pas nier : dix ans après l’Accord de Paris, on n’est pas à la hauteur des promesses. Loin de là. Et si pour que ça rentre enfin dans les têtes, il faut parfois des images qui choquent, alors peut-être que c’est le prix à payer.
Parce qu’au fond, le vrai scandale, ce n’est pas la peinture rouge sur les pavés. C’est le rouge des alertes climatiques qu’on continue d’ignorer, année après année.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Est-ce que ces actions vous révoltent… ou vous réveillent ?
