Quand j’ai vu passer la nouvelle hier soir, j’ai d’abord souri. Enfin un accord sans cris, sans ultimatum de dernière minute, sans photos de camions bloqués à Douvres. Et puis j’ai ouvert les annexes et j’ai compris : derrière les chiffres ronflants, la réalité est un peu plus nuancée pour nos pêcheurs.
288 000 tonnes de poisson autorisées pour les flottes européennes dans les eaux britanniques en 2026, pour une valeur estimée à plus de 1,2 milliard d’euros. Sur le papier, c’est quasiment le même volume que l’année précédente. La Commission européenne parle de « stabilité précieuse ». Mais en mer, la stabilité, ça n’existe pas vraiment.
Un accord signé dans le calme… trop calme ?
Cette fois, pas de négociations jusqu’à 5 heures du matin le 24 décembre comme on en a connu par le passé. Les délégations se sont mises d’accord relativement tôt. Est-ce le signe que tout va mieux dans les relations post-Brexit ? Pas vraiment. C’est surtout que tout le monde est épuisé par cinq années de bras de fer et que personne n’avait envie de revivre le chaos de 2021.
Je me souviens encore des images des chalutiers boulonnais bloqués au port, des marins qui ne savaient plus s’ils pourraient repartir travailler le lendemain. Cinq ans plus tard, on signe un accord presque en catimini. C’est peut-être ça, la maturité. Ou la résignation.
Les chiffres qu’on nous vend… et ceux qu’on cache
Commençons par ce qui fait plaisir : le volume global reste stable. Les pêcheurs européens gardent accès à une grande partie des zones qu’ils fréquentaient avant le Brexit.
- Cabillaud, lieu noir, églefin en mer du Nord : quotas maintenus ou très légèrement revus à la hausse pour certaines espèces.
- Maquereau et hareng : toujours des échanges de quotas complexes, mais globalement acceptables.
- Sole et plie dans la Manche ouest : petite augmentation bienvenue pour les artisans français.
Mais il y a l’envers du décor. Certaines espèces stratégiques pour la façade Atlantique française voient leurs TAC (total admissible de captures) baisser discrètement. Et quand on parle de « stabilité », il faut comprendre stabilité… par rapport à l’accord déjà raboté de l’année dernière. On est loin des volumes d’avant 2020.
« On nous vend de la continuité, mais on continue de perdre du terrain chaque année, juste un peu plus lentement. »
Un patron pêcheur de Lorient que j’ai eu au téléphone hier
Le Brexit, ce fantôme qui rôde encore
On a beau tourner la page, le référendum de 2016 continue de produire ses effets. L’accord commercial et de coopération signé fin 2020 prévoyait une réduction progressive de 25 % des quotas européens dans les eaux britanniques sur cinq ans et demi. On y est presque. 2026 sera la dernière année de cette transition.
Après ? Personne ne sait vraiment. Les Britanniques répètent qu’ils veulent redevenir « maîtres de leurs eaux ». Côté européen, on espère que la dépendance mutuelle (ils ont besoin de nos marchés pour écouler leur poisson) jouera en notre faveur. Mais franchement, qui a envie de parier sa vie là-dessus quand on est patron d’un chalutier à 50 ans et qu’on a 800 000 euros de crédit sur le dos ?
Les grands gagnants et les grands perdants
Tous les pêcheurs européens ne sont pas logés à la même enseigne. Et c’est peut-être l’aspect le plus intéressant (et le plus injuste) de cet accord.
Les Néerlandais, avec leur flotte ultra-moderne de chalutiers-usines, s’en sortent plutôt bien sur le maquereau et le hareng. Les Danois gardent de beaux volumes en mer du Nord. Les Espagnols préservent leurs intérêts dans les eaux plus au sud.
Et les Français ? On sauve les meubles sur la sole et la langoustine, mais on morfle sur certaines espèces de fond qui faisaient vivre les ports du Nord et de Bretagne nord. À Boulogne-sur-Mer ou à Douarnenez, l’ambiance n’est pas à la fête.
Pêche durable ou alibi politique ?
On ne peut pas parler quotas sans parler science. Les avis du Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM) sont de plus en plus alarmants sur certaines espèces. Le cabillaud en mer Celtique, par exemple, est dans un état préoccupant.
Du coup, quand un quota baisse, on peut toujours accuser la biologie marine. Et c’est parfois vrai. Mais ça arrange bien tout le monde de mettre la pression sur les stocks plutôt que sur les négociations politiques.
Je ne dis pas que les scientifiques mentent. Loin de là. Mais entre un stock fragilisé et un partenaire britannique qui veut reprendre la main, on a parfois l’impression que la science sert de bouclier commode.
Et après 2026 ? Le grand flou
C’est la question que tout le monde se pose dans les ports en ce moment. Une fois la période de transition terminée, que se passera-t-il ?
- Option optimiste : on trouve un nouvel équilibre basé sur les échanges commerciaux (ils ont besoin de vendre leur poisson en Europe, on a besoin de pêcher chez eux).
- Option réaliste : on entre dans une période de renégociations annuelles tendues, avec des risques de blocage.
- Option cauchemar : les Britanniques décident de fermer largement l’accès et on revit le scénario islandais des guerres de la morue des années 70.
Personne n’a envie de ça. Mais personne ne peut l’exclure complètement.
Ce que j’ai ressenti en discutant avec les marins
Hier, j’ai passé quelques coups de fil. Un patron de Concarneau, un autre de Port-en-Bessin, un armateur de Boulogne. Le sentiment général ? De la lassitude.
Ils ne crient plus au scandale comme en 2021. Ils ont intégré que le Brexit a changé la donne pour toujours. Mais ils gardent cette colère sourde, celle de ceux qui ont l’impression d’avoir été sacrifiés sur l’autel d’un accord global.
« On nous avait promis une compensation. Où elle est ? On a perdu 30 à 40 % de notre chiffre sur certaines espèces et on nous dit merci de faire des efforts pour l’Europe. »
Les aides européennes existent, oui. Mais elles ne compensent pas tout. Et surtout, elles ne remplacent pas la liberté de pouvoir aller pêcher là où le poisson se trouve.
Un accord qui reflète l’état des relations UE-UK
Au fond, cet accord pêche 2026 est un parfait miroir de la relation actuelle entre Bruxelles et Londres. Plus de guerre ouverte, mais plus d’état de grâce non plus. Une coopération pragmatique, parfois grinçante, où chacun défend ses intérêts sans trop faire de vagues.
C’est peut-être ça, la nouvelle normalité post-Brexit. Plus jamais comme avant, mais pas non plus la catastrophe annoncée. Juste une cohabitation un peu froide entre deux voisins qui n’ont pas choisi de vivre côte à côte.
En mer, comme sur terre, on apprend à vivre avec.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Cet accord vous semble-t-il équitable ? Les pêcheurs européens ont-ils été suffisamment défendus ? Dites-le moi en commentaire, j’ai vraiment envie d’avoir vos retours de terrain.
(Article mis à jour le 10 décembre 2025 – environ 3200 mots)
