Vous est-il déjà arrivé de regarder l’étiquette d’un produit, de voir « Made in France » et de vous dire : « Bon sang, je veux bien payer plus cher si ça permet de sauver des emplois chez nous » ? Moi, oui. Souvent même. Et puis on ferme la page, on soupire, et on finit par commander l’équivalent chinois deux fois moins cher. C’est humain.
Mais imaginez un instant qu’on vous prenne au mot. Qu’on vous dise : « Voilà le prix de revient exact, matériaux et salaires compris. Maintenant, c’est vous qui décidez combien vous êtes prêt à mettre pour que ça reste fabriqué en France. » Sans blague, sans marketing, sans marge imposée. Juste une question brutale : combien valez-vous, votre patriotisme économique ?
Eh bien quelqu’un l’a fait. Et ça marche.
Le pari fou d’un patron qui croit encore aux clients
Dans une zone d’activités du Loiret, un entrepreneur de 41 ans a décidé de jouer cartes sur table. Sa société fabrique des escaliers, des garde-corps, des verrières et des rampes en acier sur-mesure. Du lourd, du beau, du solide. Tout est conçu et assemblé dans un atelier de 1 000 m² avec neuf salariés qui connaissent leur métier sur le bout des doigts.
Il y a deux mois, il lance une boutique en ligne pas comme les autres. Vous configurez votre escalier, vous entrez vos côtes, et là… surprise : on vous affiche le prix plancher. C’est-à-dire le coût réel : acier, énergie, salaires, charges, transport. Rien de plus. Ensuite ? Un curseur. Vous montez autant que vous voulez. Ou pas.
Ses collègues entrepreneurs ont rigolé. « T’es gentil, mais les gens vont tous cocher le minimum, tu vas couler en trois mois. » Lui a répondu : « On verra bien. Moi je crois qu’il y a encore des gens qui ont envie que ça existe, le made in France qui ne soit pas un slogan sur une étiquette. »
Les premiers chiffres qui font taire les sceptiques
Deux mois plus tard, le constat est là. Les clients ne se précipitent pas tous sur le prix le plus bas. Loin de là.
Exemple concret : une cliente des Pyrénées-Orientales cherchait un escalier design avec rampe assortie. Rien de satisfaisant près de chez elle. Elle tombe sur le site, voit le concept, et craque. Prix plancher affiché : 3 100 €. Elle décide de mettre 3 500 €. 400 € de plus, de son plein gré.
« Marre des produits qui viennent de l’autre bout du monde. Si on veut que l’artisanat français survive, il faut aussi qu’on fasse un effort. »
Elle n’est pas seule. D’autres commandes montrent la même tendance : les gens ajoutent en moyenne plusieurs centaines d’euros. Parfois 10 %, parfois 30 %. Il y a même eu des cas où le curseur a grimpé bien au-delà de ce qu’aurait osé facturer n’importe quel commercial.
Pourquoi ça marche ? Parce que la transparence change tout
On nous a tellement habitués à l’opacité que quand quelqu’un ouvre les livres de comptes, ça fait l’effet d’un électrochoc.
Là, plus de « marge cachée », plus de « frais de siège social », plus de discours marketing lénifiant. Vous voyez exactement ce que coûte la matière première, ce que touche l’ouvrier qui a soudé votre rampe, ce que pèsent les charges sociales françaises. Et soudain, vous n’achetez plus un objet. Vous achetez une décision.
- Vous décidez si ce soudeur mérite de garder son emploi.
- Vous décidez si cette PME mérite de continuer à investir dans de nouvelles machines.
- Vous décidez, concrètement, si le made in France a encore un avenir ou s’il finira au musée.
C’est presque politique, en fait. Sans urne ni bulletin de vote.
Un modèle qui pourrait inspirer bien au-delà de l’acier
Évidemment, tout le monde ne peut pas se le permettre. Fabriquer des escaliers en acier demande des investissements lourds, des machines, des stocks. Mais le principe, lui, est universel.
Imaginez des vêtements, des meubles, de l’électroménager, des jouets… Imaginez que chaque fois que vous hésitez entre le t-shirt à 9,90 € et celui à 49 € étiqueté « fabriqué à Roanne », on vous dise : « Voilà, le premier coûte 4 € à produire au Bangladesh, le second 28 € à produire ici. Choisissez. »
Est-ce que ça changerait vos habitudes ? Franchement, je pense que oui. Parce que quand on sait, on n’achète plus de la même façon.
Et si c’était le début d’une nouvelle forme de commerce ?
On parle beaucoup de RSE, de consommation responsable, de circuits courts. Mais souvent, ça reste du discours. Là, c’est du concret. Un entrepreneur qui dit : « Je vous fais confiance. Montrez-moi que j’ai raison. »
Et les clients répondent présents. Pas tous, bien sûr. Il y aura toujours ceux qui cliqueront sur le minimum – et c’est normal, on ne va pas les juger. Mais il y a aussi ceux qui, pour la première fois, ont l’impression de participer à quelque chose de plus grand qu’un simple achat.
Dans l’atelier, on m’a confié que certaines commandes arrivent avec des petits mots. « Merci de nous proposer ça », « Fier de participer », « Continuez, on est avec vous ». Ça change des avis Google 5 étoiles automatisés.
Les limites (parce qu’il en faut bien)
Soyons honnêtes : ce modèle ne va pas sauver l’industrie française à lui tout seul. Les volumes restent modestes, la concurrence asiatique est féroce, les charges sociales françaises restent ce qu’elles sont.
Mais il pose une question essentielle : et si le problème n’était pas seulement le prix, mais le sens qu’on donne à ce prix ? Et si, plutôt que de supplier l’État de baisser les charges ou de taxer les importations, on redonnait tout simplement la main aux consommateurs ?
Après tout, on est des millions à dire qu’on veut « acheter français ». Là, on a l’occasion de le prouver. Pas avec des mots. Avec notre portefeuille.
Ce que ça dit de nous, en 2025
Je trouve ça assez beau, finalement. Dans un monde où tout va vite, où on swipe à droite ou à gauche sans réfléchir, il y a encore des gens qui prennent le temps de faire monter un curseur de quelques centaines d’euros. Juste parce qu’ils croient que ça vaut le coup.
C’est peut-être ça, la vraie modernité : utiliser la technologie pour revenir à quelque chose de profondément humain. La confiance. La transparence. Le sentiment d’agir concrètement pour ce en quoi on croit.
Alors la prochaine fois que vous hésiterez devant un produit français un peu cher, posez-vous la question : combien êtes-vous prêt à payer, vraiment, pour que ça continue d’exister ?
Quelqu’un, quelque part dans le Loiret, a décidé de vous laisser la réponse.
Et franchement ? Ça fait du bien.
