Imaginez-vous sortir d’une salle d’audience après trois jours où votre vie entière a été passée au crible. On vous a accusé du pire. Le procureur a requis huit ans ferme avec incarcération immédiate. Et puis, d’un seul coup, le mot « acquitté » tombe. Vous êtes libre. C’est exactement ce qu’a vécu Baptiste Valette ce mercredi à Nancy.
Je ne vais pas vous refaire le match minute par minute, mais croyez-moi, cette affaire a tout : le glamour parfois trompeur du monde pro, la violence d’une accusation de viol, la fragilité des témoignages après plusieurs années, et surtout cette question qui brûle : comment prouve-t-on qu’on n’a pas fait quelque chose ?
Un acquittement qui tombe comme un soulagement brutal
Quand la cour criminelle de Meurthe-et-Moselle a prononcé l’acquittement, l’ancien gardien titulaire de l’AS Nancy-Lorraine a sûrement senti ses jambes trembler. Contrôle judiciaire depuis 2019, interdiction de quitter le territoire pendant des années, carrière mise entre parenthèses… et puis plus rien. Ou presque.
Car il reste les dix jours pendant lesquels le parquet général peut faire appel. Dix jours où l’on respire à moitié. Dix jours où l’on sait que tout peut basculer à nouveau. C’est la règle, mais quand on sort d’un tel marathon judiciaire, ça doit ressembler à une éternité.
« C’est un gros soulagement pour lui, d’autant que les réquisitions étaient sévères et disproportionnées »
Maître Caroline Toby, avocate de la défense
Retour sur les faits : une nuit de décembre 2019
Revenons à la base. Décembre 2019, Nancy. Une jeune femme de 18 ans sort de discothèque. Elle accuse le footballeur, alors âgé de 27 ans, d’un rapport sexuel non consenti dans un contexte particulièrement flou : beaucoup d’alcool, des souvenirs partiels, des versions qui divergent fortement.
La plaignante parle de contrainte. La défense parle de relation consentie, suivie d’un regret le lendemain matin. Classique, diront certains. Tragique, répondront les autres. Entre les deux, il y a cinq ans d’enquête, des confrontations, des expertises psychologiques, des analyses toxicologiques tardives.
Et surtout, il y a cette fameuse question que tout le monde se pose mais que peu osent formuler clairement : quand deux personnes sont très alcoolisées, à partir de quel moment parle-t-on encore de consentement éclairé ? La justice française n’a toujours pas de réponse définitive à ça.
Les réquisitions : huit ans et mandat de dépôt
L’avocat général, lui, n’avait pas de doute. Huit ans de prison ferme. Mandat de dépôt immédiat. En clair : menottes dans la seconde et direction la maison d’arrêt. C’est rare dans ce genre d’affaires quand l’accusé est inconnu du casier judiciaire et qu’il a respecté toutes les obligations de son contrôle judiciaire pendant cinq ans.
Pourquoi une telle fermeté ? Parce que le parquet estimait avoir des « preuves certaines ». Lesquelles exactement ? On reste un peu sur notre faim. Des témoignages de proches de la plaignante ? Des messages ambigus ? Des incohérences dans la version du footballeur ? Le huis clos nous empêche de tout savoir, mais le contraste entre les réquisitions et le verdict final est saisissant.
- Réquisitions : 8 ans ferme + mandat de dépôt
- Verdict : acquittement total
- Conséquence immédiate : retour possible sur les terrains
- Risque résiduel : appel du parquet dans les 10 jours
Le sport professionnel face aux affaires judiciaires
Ce qui m’interpelle le plus, c’est la gestion de carrière pendant ces cinq années. Baptiste Valette a continué à jouer. D’abord en Norvège, puis à Sedan, à Nîmes, à Sochaux, et maintenant à Grasse en National 2. Des clubs qui ont accepté de le signer malgré la procédure en cours. Courageux ? Pragmatiques ? Les deux sans doute.
On a vu l’inverse ailleurs. Des joueurs suspendus dès la mise en examen, des contrats résiliés, des carrières brisées avant même un jugement. Là, le RC Grasse a même communiqué son soulagement sur les réseaux. Preuve que dans le foot, on sait aussi faire bloc quand on croit en quelqu’un.
Mais imaginons une seconde que l’appel aboutisse et qu’une nouvelle cour condamne. Le club aura-t-il l’air d’avoir soutenu un coupable ? C’est tout l’enjeu de ces paris risqués que prennent certains présidents.
La présomption d’innocence, vraiment respectée ?
On nous répète qu’en France la présomption d’innocence est sacrée. Pourtant, quand vous tapez le nom du joueur sur Google, les premiers résultats parlent encore de « l’ex-gardien accusé de viol ». L’acquittement, lui, est noyé page 2 ou 3. C’est la double peine médiatique classique.
J’ai suivi pas mal de ces affaires ces dernières années. Ce qui frappe, c’est la vitesse à laquelle on passe du statut de « suspect » à « monstre » dans l’opinion publique, et la lenteur avec laquelle on revient en arrière quand le doute bénéficie à l’accusé. Parfois jamais.
« Il était seulement sous contrôle judiciaire depuis sa mise en examen »
Cette phrase toute simple dit tout. Cinq ans sous contrôle judiciaire sans jamais enfreindre les règles. Ça pèse dans la balance, même si certains diront que ça ne prouve rien sur le fond.
Et la plaignante dans tout ça ?
On parle beaucoup de l’accusé acquitté, mais rarement de celle qui reste avec sa version des faits et un sentiment d’injustice. Un acquittement n’efface pas la souffrance. Il dit juste qu’il manquait des preuves suffisantes pour condamner au-delà du doute raisonnable.
C’est peut-être le point le plus douloureux de ces affaires : il n’y a souvent ni vrai gagnant ni vraie réparation. Juste deux vies abîmées par une nuit dont personne ne sortira jamais intact.
Que va-t-il se passer maintenant ?
Si aucun appel n’est formé d’ici le 13 décembre, Baptiste Valette pourra reprendre normalement avec Grasse. Peut-être viser plus haut. À 31 ans, il a encore de belles années devant lui. Le football a cette capacité incroyable à offrir des secondes chances, parfois là où d’autres milieux les refusent.
Mais quelque chose me dit que cette affaire le suivra longtemps. Pas dans les vestiaires, où on oublie vite. Mais dans les commentaires sous les articles, dans certains regards dans les tribunes, dans les souvenirs qu’on ne contrôle pas.
Le foot pro est un monde à part. On y pardonne beaucoup quand on arrête des penaltys ou qu’on marque des buts. Reste à savoir si la société, elle, est prête à tourner la page aussi facilement.
Ce qui est sûr, c’est que ce verdict n’est pas une fin. C’est une pause. Une respiration après cinq ans d’apnée. Et dans le football comme dans la vie, parfois, respirer à nouveau, c’est déjà énorme.
(Article mis à jour le 3 décembre 2025 – suivi en temps réel de l’éventuel appel)
