Imaginez un peu : vous marchez le long de la Seine, près de la gare d’Austerlitz, et vous tombez sur un chantier titanesque. Des grues, des toupies à béton, un bâtiment ultramoderne qui enjambe littéralement le métro aérien. Coût de l’opération ? 924 millions d’euros. Et ce n’est pas une tour de bureaux classique, c’est le futur siège de l’Agence française de développement (AFD). Forcément, quand on parle de presque un milliard d’argent public (ou supposé public), les critiques fusent. Et elles viennent surtout d’un côté bien précis de l’échiquier politique.
Quand l’extrême droite s’empare du dossier AFD
Ces dernières semaines, les réseaux sociaux et certaines tribunes se sont enflammés. On accuse le patron de l’AFD, Rémy Rioux, d’être un haut fonctionnaire déconnecté, payé grassement sur le dos du contribuable, en train de dilapider l’argent public dans un palace inutile pendant que la France s’endette. Il y a même eu des allusions à des liens personnels troublants avec une figure connue de l’extrême droite, Sarah Knafo. Bref, le cocktail parfait pour faire le buzz.
Face à cette vague, l’intéressé a décidé de répondre. Pas par un communiqué laconique, mais dans une longue interview accordée exclusivement. Et franchement, après avoir épluché ses arguments, on se dit que certaines accusations méritaient vraiment d’être recadrées.
Le siège à 924 millions : argent public ou pas ?
C’est LE point qui fait tousser tout le monde. 924 millions d’euros pour un immeuble, même à Paris, ça fait mal aux yeux. Alors, vrai gaspillage ?
La réponse est plus nuancée qu’on ne le croit. D’abord, ce n’est pas l’État qui paie directement la facture. L’AFD a contracté un emprunt auprès de la Caisse des dépôts et de la Banque européenne d’investissement. Ensuite, le bâtiment appartient à 100 % à l’agence, qui va le louer… à elle-même via un montage financier classique (le « lease-back »). En clair, l’AFD rembourse son propre prêt avec ses propres ressources.
« Il n’y a strictement aucun euro du contribuable français dans ce projet », assure le patron de l’agence.
Et pour cause : l’AFD gagne de l’argent grâce aux intérêts des prêts qu’elle accorde aux pays en développement. Ces intérêts, ce sont ses recettes propres. En 2024, elle a ainsi dégagé un bénéfice net de plus de 300 millions d’euros. Autrement dit, elle n’a pas besoin de la dotation de l’État pour vivre – et encore moins pour investir dans son siège.
- Le terrain a été acheté en 2017 pour 145 millions d’euros
- La construction coûte environ 780 millions
- Le reste correspond aux frais annexes (études, assurances, etc.)
- L’immeuble sera livré en 2027 et certifié HQE Excellent + label biosourcé
Est-ce que c’était le moment, en pleine crise budgétaire française ? La question est légitime. Mais l’AFD était éclatée sur dix sites parisiens différents, avec des loyers annuels exorbitants. À long terme, regrouper tout le monde dans un bâtiment moderne et économe en énergie fera économiser de l’argent. C’est en tout cas l’argument massue.
Un salaire de 24 000 € brut : trop ou pas assez ?
Autre chiffre qui circule en boucle : Rémy Rioux toucherait 24 000 euros brut par mois. Choc. Sauf que… ce n’est pas tout à fait exact.
En réalité, son salaire fixe est de 15 000 euros brut mensuels. Les 9 000 euros supplémentaires sont une part variable, conditionnée à des objectifs précis validés par le conseil d’administration. Et devinez quoi ? En 2024, il n’a touché que 60 % de cette part variable, parce que certains objectifs (notamment sur la transparence) n’étaient pas totalement remplis.
Pour un patron qui gère 13,6 milliards d’euros de financements par an et 3 300 collaborateurs dans le monde entier, est-ce vraiment exorbitant ? Quand vous comparez avec certains patrons du CAC40 ou même d’autres agences publiques, on est loin des sommets.
La dette de l’AFD : 11 milliards qui font peur
On lit parfois que l’AFD croule sous une dette de 11 milliards d’euros. Effrayant, non ? Sauf que c’est le métier même de l’agence d’avoir de la dette !
L’AFD emprunte sur les marchés à des taux très bas (grâce à la garantie de l’État français), puis prête cet argent aux pays en développement à des taux légèrement supérieurs. La différence finance ses opérations et son développement. C’est exactement le modèle économique de toutes les grandes agences de développement du monde (KFW allemande, JICA japonaise, etc.).
Son ratio d’endettement est parfaitement sain et surveillé de près par les agences de notation. D’ailleurs, elle bénéficie de la meilleure note possible (AAA). Difficile de faire plus solide.
Sarah Knafo dans l’équation : conflit d’intérêts ou rumeur ?
L’accusation la plus surprenante venait d’un média d’extrême droite : Rémy Rioux aurait fait embaucher une proche de Sarah Knafo à un poste important. Sous-entendu : favoritisme politique.
La réponse est nette : la personne en question a été recrutée sur concours externe anonyme par un cabinet indépendant. Elle n’a jamais travaillé directement avec Sarah Knafo et son parcours (Sciences Po, ENA) est irréprochable. L’intéressée a d’ailleurs porté plainte pour diffamation. Fin de l’histoire ? On dirait que oui.
Pourquoi maintenant ? L’ombre de la Cour des comptes
Le timing n’est pas anodin. Rémy Rioux fait partie des trois finalistes pour prendre la tête de la Cour des comptes début 2026. Un poste ultra-stratégique en pleine crise des finances publiques. Forcément, certains aimeraient le discréditer avant l’audition décisive devant les commissions des finances de l’Assemblée et du Sénat.
J’ai déjà vu ce genre de campagne : dès qu’un haut fonctionnaire technocrate devient gênant ou convoite un poste sensible, on sort les dossiers (vrais ou faux). Là, on a l’impression que tout y passe pour salir une gestion qui, sur le fond, semble plutôt rigoureuse.
L’AFD, un outil stratégique qu’on oublie trop souvent
Au milieu de la polémique, on en viendrait presque à oublier ce que fait vraiment l’AFD. Pourtant, ses missions sont cruciales :
- Financer des hôpitaux et écoles en Afrique subsaharienne
- Soutenir les énergies renouvelables en Asie du Sud-Est
- Aider les pays du Sahel à lutter contre le réchauffement climatique
- Participer à la reconstruction en Ukraine
En 2025, la France a engagé 13,6 milliards d’euros via l’AFD. C’est plus que jamais nécessaire dans un monde où la coopération internationale est parfois vue comme une dépense superflue.
Et pourtant, chaque euro investi rapporte : influence diplomatique, contrats pour les entreprises françaises, lutte contre les causes migratoires, transition énergétique mondiale… On critique souvent l’aide au développement, mais quand on regarde les résultats concrets, le bilan est plutôt positif.
Ce que j’en pense personnellement
Je suis toujours méfiant quand une polémique explose d’un seul côté politique et repose sur des approximations. Là, plusieurs éléments m’ont marqué :
- Le siège est cher, oui, mais financé sans argent public direct
- Le salaire est élevé, mais dans la moyenne haute des patrons d’établissements publics de cette taille
- Les accusations personnelles (Sarah Knafo) se dégonflent à la première vérification
Est-ce que tout est parfait à l’AFD ? Probablement pas. Mais on est loin du scandale d’État qu’on a voulu nous vendre. Et franchement, dans un pays où on adore taper sur les « technos », ça commence à devenir lassant.
Alors la prochaine fois qu’on vous dira que l’AFD jette l’argent par les fenêtres, rappelez-vous juste que sans elle, la France perdrait une grande partie de son influence dans les pays émergents. Et ça, ça n’a pas de prix.
