Vous vous souvenez quand, enfant, vous attendiez le père Noël avec son traîneau rempli de jouets ? Moi aussi. Et puis il y a ces images qui vous ramènent brutalement à la réalité d’aujourd’hui. Une simple feuille A4 punaisée dans un hall d’immeuble, quelque part dans les quartiers nord de Marseille, et tout à coup l’esprit de Noël prend une tournure complètement surréaliste.
Parce que cette année, dans certaines cités, le père Noël ne passe pas avec des cadeaux classiques. Il apporte des pochons de beuh ou du shit cadeau. Oui, vous avez bien lu.
Quand les dealers jouent la carte de Noël
C’était il y a quelques jours à peine. Une opération massive – près de 1 500 policiers mobilisés – frappe simultanément une quinzaine de points de deal. Objectif : reprendre la main sur des territoires où la loi de la rue a remplacé celle de la République depuis trop longtemps. Et là, au milieu des saisies habituelles, une découverte qui laisse tout le monde pantois.
Une affiche. Colorée, joyeuse, presque mignonne si on la regarde de loin. Avec le célèbre slogan « Venez comme vous êtes » détourné façon fast-food de la drogue. Apéritif, chips, boissons offertes… et en bonus, un petit sachet de cannabis ou de résine pour fêter dignement la fin d’année.
« C’est la magie de Noël »
– Un haut responsable des forces de l’ordre, avec un sourire amer
Le ton est ironique, bien sûr. Mais derrière la blague, il y a quelque chose de profondément révoltant. Offrir de la drogue comme on offre des chocolats, c’est normaliser l’anormal. C’est faire entrer le trafic dans la sphère familiale, dans la fête la plus universelle qui soit.
Une communication rodée, presque professionnelle
Ce qui frappe, c’est le niveau de professionnalisme de l’affiche. Typographie soignée, couleurs vives, mise en page qui rappelle les flyers des bars branchés. On est loin du papier griffonné à la va-vite. Ces réseaux ont compris depuis longtemps l’importance du marketing. Ils vendent un produit, ils soignent leur image.
Et ça marche. Parce que dans certains quartiers, le dealer n’est plus seulement celui qui vend, c’est aussi celui qui organise la fête, qui distribue des cadeaux, qui joue au grand frère généreux. Une stratégie vieille comme le monde : créer de la dépendance affective en plus de la dépendance chimique.
- Ils offrent l’apéro → ils créent du lien social
- Ils distribuent des pochons gratuits → ils fidélisent la clientèle
- Ils utilisent Noël → ils s’ancrent dans les traditions familiales
Le résultat ? Des gamins qui grandissent en pensant que c’est normal. Que le trafic, c’est une entreprise comme une autre. Voire une entreprise cool.
Les quartiers nord, laboratoire du narcotrafic à la française
On parle souvent de Marseille comme de la « Chicago française ». L’expression est usée, mais elle n’a jamais été aussi juste. Dans certaines cités, le chiffre d’affaires annuel du trafic dépasserait celui de grandes entreprises locales. Et on ne parle pas de petites sommes.
Des kalachnikovs pour 300 euros pièce, des guetteurs de 12 ans payés 100 euros par jour, des réseaux qui se font la guerre à coups de fusillades en pleine rue… Et maintenant, des opérations marketing de Noël. On a tout vu.
J’ai discuté il y a quelque temps avec un éducateur de rue qui bosse depuis vingt ans dans ces quartiers. Il me disait : « Avant, les gamins rêvaient d’être footballeurs ou rappeurs. Aujourd’hui, beaucoup veulent être patrons. Patron de quoi ? De point de deal. » Quand vous réalisez ça, vous comprenez l’ampleur du désastre.
L’État contre-attaque… enfin ?
L’opération de cette semaine n’est pas la première, mais elle a une ampleur rare. Quinze points de deal frappés en même temps, c’est du jamais-vu. Le message est clair : on passe à la vitesse supérieure.
Mais soyons honnêtes deux minutes. Combien de fois a-t-on annoncé « la reconquête » des quartiers ? Combien de plans Marshall, de zones de sécurité prioritaires, de discours enflammés ? Et pourtant, le trafic est toujours là. Plus structuré, plus violent, plus ingénieux.
Cette fois-ci, il y a du nouveau. Les autorités parlent de « frapper les têtes » et pas seulement les petites mains. Saisir l’argent, démanteler les réseaux logistiques, couper les têtes pensantes. C’est nécessaire. Mais est-ce suffisant ?
Derrière l’affiche, une guerre qui ne prend jamais de vacances
Pendant que certains préparent leur réveillon avec de la bûche et du champagne, d’autres préparent leurs commandes de Noël… en kilos de résine et d’herbe. Les fêtes de fin d’année, c’est la haute saison pour le trafic. Plus de consommation, plus de liquidités, plus de clients occasionnels.
Et cette année, certains réseaux ont décidé de marquer le coup. Pas juste avec des prix cassés, non. Avec une véritable opération de communication. C’est presque du génie du mal.
On n’est plus dans le trafic de rue des années 90. On est dans l’ère des narco-entrepreneurs.
Ils ont des community managers avant l’heure, des stratégies marketing, des études de marché. Ils savent que l’image compte. Et ils savent surtout que la peur ne suffit plus : il faut aussi séduire.
Et nous, on fait quoi face à ça ?
La question me taraude depuis que j’ai vu cette affiche. Parce qu’on peut rire jaune, on peut s’indigner, on peut applaudir les forces de l’ordre. Mais au fond, qu’est-ce qu’on propose à ces gamins qui trouvent normal de recevoir du shit en cadeau de Noël ?
Des centres aérés ? Des jobs d’été ? Des discours moralisateurs ? Ça fait longtemps que ça ne suffit plus. Il faut autre chose. Quelque chose de massif, de durable, d’intelligent.
- Réinvestir massivement dans l’éducation et le sport
- Créer de vrais emplois dans ces quartiers
- Développer une présence républicaine quotidienne, pas juste des opérations coup de poing
- Arrêter de traiter le symptôme sans s’attaquer à la cause
Parce que tant qu’il y aura des gamins qui verront plus d’avenir dans un point de deal que dans un bureau d’études, cette affiche ne sera pas la dernière.
Et ça, franchement, c’est ce qui me fout le plus les boules dans cette histoire.
Cette affiche de Noël n’est pas qu’une anecdote rigolote. C’est un symptôme. Le symptôme d’une guerre qu’on est en train de perdre, quartier par quartier, hall d’immeuble par hall d’immeuble. Et si on ne réagit pas vraiment, profondément, durablement… eh bien la prochaine fois, ils feront peut-être des calendriers de l’Avent version narco.
Après tout, pourquoi pas ? Ils ont déjà le sens de la formule.
