Il y a des gestes qui marquent plus profondément qu’une gifle. Arracher la kippa d’un gamin de 17 ans dans un bus, la faire tournoyer comme un trophée en hurlant des insultes, puis mimer l’égorgement… On se dit que c’est du cinéma, que ça n’arrive que dans les films d’épouvante. Et pourtant, c’est arrivé un soir d’octobre 2025, dans la banlieue nord de Paris.
Je ne vais pas vous refaire le déroulé minute par minute comme un procès-verbal froid. Ce qui m’a frappé, c’est surtout le contraste : d’un côté un lycéen discret qui rentre chez lui après les cours, de l’autre une violence gratuite, presque festive, comme si voler un symbole religieux était devenu un jeu.
Une soirée ordinaire qui bascule
Le 27 octobre dernier, Sacha, 17 ans, monte dans son bus habituel à Pantin. Il sort de son lycée confessionnel d’Aubervilliers, la tête couverte de cette petite kippa verte qu’il porte fièrement en cours mais qu’il a déjà appris à dissimuler dehors. La prudence est devenue une seconde nature.
Ce soir-là, trois individus montent à un arrêt. Ils repèrent d’abord un adulte accompagné d’enfants, eux aussi coiffés de kippas. Les cris fusent immédiatement : « Free Palestine », « Allahou akbar », « Yahoudi ». L’ambiance tourne à l’orage en quelques secondes.
Puis c’est au tour de Sacha. Sa kippa vole, passe de main en main. L’un des agresseurs la fait tournoyer au-dessus de sa tête en riant. Un autre, plus menaçant, porte la main à sa gorge dans un geste universellement compris. Le message est clair : on sait où tu habites, on sait qui tu es.
« J’ai eu peur qu’ils aillent plus loin. Quand on mime l’égorgement, on ne rigole plus. »
Sacha, devant le tribunal
Le profil des agresseurs
Deux des trois auteurs ont été interpellés rapidement. Deux Algériens en situation irrégulière, déjà connus des services de police pour des faits similaires ou des délits de droit commun. Le troisième reste introuvable à ce jour.
Devant les juges, le spectacle a été consternant. Dénégations en cascade, sourires en coin, provocations à peine voilées. L’un d’eux a même osé demander pourquoi on faisait « tout un plat » pour « une simple blague ». Le président du tribunal a dû élever la voix à plusieurs reprises.
Ce n’est pas la première fois qu’on voit ce genre d’attitude au palais de justice de Bobigny. Une forme de défi permanent, comme si la loi française était une plaisanterie qu’on pouvait ignorer impunément.
Une peine qui fait débat
Dix mois de prison ferme pour chacun des deux prévenus. C’est la peine prononcée mardi 9 décembre. À cela s’ajoutent une interdiction de port d’arme pendant cinq ans et une obligation de suivre un stage de citoyenneté.
Dix mois, ça peut sembler beaucoup pour « juste » un vol de kippa. Et en même temps, ça paraît dérisoire quand on mesure la terreur infligée à un adolescent et, au-delà, à toute une communauté qui se sent visée.
- Vol en réunion avec violence : jusqu’à 7 ans possibles
- Injures à caractère antisémite : jusqu’à 1 an et 45 000 € d’amende
- Menaces de mort par geste : jusqu’à 3 ans
Sur le papier, la qualification pénale était lourde. Dans les faits, la réponse judiciaire apparaît comme un compromis entre fermeté affichée et réalité des peines plancher.
La kippa, ce symbole devenu cible
Ce n’est pas la première affaire de ce type, loin de là. Depuis plusieurs années, les témoignages se multiplient : kippas arrachées à Sarcelles, à Créteil, dans le métro parisien, dans des lycées même. À chaque fois, le même mode opératoire : l’effet de groupe, l’alcool ou le cannabis parfois, et une haine qui semble sortie de nulle part.
Mais d’où vient cette haine ? C’est la question que tout le monde se pose sans oser vraiment y répondre. Importation du conflit israélo-palestinien ? Influence des réseaux sociaux ? Échec de l’intégration ? Un peu de tout ça sans doute, mais surtout une impunité perçue qui donne des ailes aux plus violents.
« Je ne porte plus ma kippa dans la rue. J’ai 17 ans et j’ai déjà appris à me cacher. »
Sacha, encore
Cette phrase-là, elle fait mal. Parce qu’elle dit tout du climat actuel.
Un climat qui s’alourdit depuis des années
Il suffit de remonter le temps un peu. 2018 : un enfant de 8 ans agressé à Sarcelles « parce qu’il était juif ». 2021 : un rabbin frappé à coups de béquille à Strasbourg. 2023 : tags « mort aux juifs » sur les murs d’une école à Paris. Et maintenant ça.
Les associations le répètent inlassablement : les actes antisémites ont explosé ces dernières années en France. Plus 1000 % en 2024 selon certaines estimations. Un chiffre vertigineux qui donne le tournis.
Et pourtant, dans le débat public, le sujet reste souvent tabou. On parle d’insécurité globale, de « sauvageons », de « zones de non-droit ». Rarement on ose nommer les choses : une partie de ces agressions cible spécifiquement les Juifs, et les auteurs viennent souvent du même milieu socio-culturel.
La réponse judiciaire : entre fermeté et impuissance
Les dix mois de prison, c’est déjà plus que ce qu’on voit parfois dans ce genre d’affaires. Souvenez-vous du jeune homme qui avait craché sur une femme juive dans le métro en 2023 : relaxe partielle. Ou cet autre qui avait menacé de « finir le boulot » en référence à la Shoah : 6 mois avec sursis.
Alors oui, cette fois la justice a tapé plus fort. Mais dix mois, c’est aussi la certitude que les deux agresseurs seront dehors avant l’été prochain. Et probablement expulsés… ou pas. Car là encore, entre la théorie et la pratique, il y a un monde.
En attendant, Sacha, lui, continuera à remonter sa capuche sur sa kippa. Parce que la peur, elle, ne prend pas de sursis.
Et maintenant ?
On peut toujours se rassurer en se disant que « ce ne sont que des cas isolés ». Mais quand les cas isolés se multiplient, ils finissent par dessiner une tendance. Et cette tendance-là fait peur.
Il faudra bien un jour avoir le courage de regarder le problème en face. Pas pour stigmatiser une communauté entière, mais pour protéger ceux qui n’ont rien demandé : des gamins qui veulent juste rentrer chez eux sans se faire insulter ou menacer de mort à cause de ce qu’ils portent sur la tête.
Parce qu’en 2025, en France, un adolescent ne devrait pas avoir à choisir entre sa sécurité et sa foi.
Je ne sais pas vous, mais moi cette affaire me laisse un goût amer. Pas seulement à cause de la violence des faits. Surtout à cause de ce qu’elle révèle de notre incapacité collective à protéger les plus vulnérables. Dix mois de prison, c’est un signal. Espérons qu’il soit enfin entendu.
