Vous êtes-vous déjà demandé ce qui arrive quand une terre agricole ne rapporte plus assez pour vivre ? Quand la météo joue au yoyo entre inondations et canicules, et que les cours des céréales ne suivent plus ? Dans certaines campagnes françaises, la réponse n’est plus de tout abandonner… mais de regarder vers le ciel. Pas pour prier la pluie, non. Pour y installer des panneaux solaires.
C’est exactement ce qui se passe en ce moment dans le sud de l’Aube, là où les champs s’étendent à perte de vue et où la population se fait rare. Un groupe d’agriculteurs a décidé de ne plus subir : ils ont créé un projet collectif qui marie agriculture et production d’électricité verte. Et franchement, quand on creuse un peu, on se dit que ça pourrait bien être une des pistes les plus sérieuses pour sauver une partie de nos campagnes.
Quand le solaire devient un outil agricole
L’idée n’est pas neuve, mais elle prend une ampleur nouvelle. On appelle ça l’agrivoltaïsme : poser des panneaux photovoltaïques au-dessus ou parmi les cultures, sans sacrifier la vocation agricole des parcelles. Dans l’Aube, 28 exploitants se sont regroupés sous le nom « Terres du Sud Aubois » pour transformer des hectares peu rentables en fermes solaires d’un genre nouveau.
Le constat de départ est brutal : certaines terres sont devenues presque improductives. Trop humides une année, trop sèches la suivante. Les rendements chutent, les charges explosent, et la trésorerie suit le même chemin. Un céréalier du coin le résume sans détour :
« Ce sont des terrains qui, aujourd’hui, ne sont plus du tout rentables. Sans intervention, ils retourneront à la friche. »
Plutôt que d’attendre un hypothétique retour à la normale, ils ont choisi d’agir. Et l’agrivoltaïsme leur est apparu comme la solution la plus adaptée à leur territoire, loin des réseaux gaz qui auraient permis la méthanisation.
Des revenus stables pendant un quart de siècle
Le premier avantage, et pas des moindres, c’est financier. Chaque agriculteur loue une partie de ses terres pour l’installation des panneaux. En échange, il touche une rente garantie, quoi qu’il arrive à la production électrique.
On parle de 500 à 1 000 euros supplémentaires par mois et par exploitation. Pas de quoi devenir millionnaire, mais assez pour respirer quand la moisson est mauvaise ou quand il faut remplacer un tracteur. Et surtout, cette somme tombe tous les mois pendant 25 ou 30 ans. Essayez de trouver ça avec du blé ou du colza.
Cerise sur le gâteau : la banque adore. Quand vous allez emprunter, pouvoir montrer un contrat de rente signé avec un grand énergéticien, ça change la donne. J’ai vu des agriculteurs passer de « dossier à risque » à « bon client » du jour au lendemain grâce à ça.
Des cultures protégées par… les panneaux
On imagine souvent les panneaux solaires comme des surfaces opaques qui étouffent tout en dessous. En réalité, les installations prévues dans l’Aube sont tout l’opposé.
- Panneaux sur trackers qui suivent le soleil et laissent passer la lumière quand même
- Panneaux verticaux espacés de 14 mètres (oui, vous avez bien lu)
- Cultures en bandes entre les rangées, comme avant
- Prairies pour les brebis sous les panneaux
Mais le plus intéressant, ce sont les effets secondaires positifs. Les panneaux créent de l’ombre partielle qui limite l’évaporation en été. Ils atténuent les gels printaniers légers. Et quand la grêle tombe – de plus en plus souvent – ils jouent les boucliers. Résultat : des rendements parfois supérieurs à ceux des parcelles classiques.
Un responsable du projet le dit sans détour :
« Les panneaux protègent les cultures de quelques degrés, évitent certains gels, et les animaux adorent s’y réfugier quand il fait 40 °C. »
Quand un céréalier se met à la truffe
L’agrivoltaïsme, c’est aussi l’occasion de tester des productions qu’on n’aurait jamais osé avant. Prenez Jean-Marie, éleveur et céréalier. Sous ses futurs panneaux verticaux, il va planter quatre hectares de chênes truffiers.
Pourquoi ça marche ? Parce que les panneaux limitent l’évaporation et protègent du gel de janvier, deux ennemis jurés de la truffe du Périgord. Le sol calcaire de la région fait le reste. Dans cinq ou six ans, il pourrait récolter plusieurs dizaines de kilos de « diamant noir » par hectare. Là, on ne parle plus de complément de revenu, mais d’une petite mine d’or.
350 brebis sous les panneaux
Le collectif ne s’arrête pas là. Des terres en jachère vont accueillir une bergerie commune et des pâturages. Objectif : 350 brebis en cinq ans, avec vente en circuit court.
La France importe encore la majorité de son agneau. Les prix sont corrects, la demande aussi. Et les brebis adorent brouter à l’ombre des panneaux quand le thermomètre grimpe. Tout le monde y trouve son compte.
126 MW : l’équivalent de 65 000 habitants
À l’échelle du projet, on ne parle plus de broutilles. Les 126 mégawatts prévus produiront chaque année l’équivalent de la consommation électrique de 65 000 personnes. En clair, une ville comme Troyes, sans émettre un gramme de CO₂.
Le calendrier ? Permis de construire en cours, premiers panneaux en 2028, fin des travaux vers 2030. Ça laisse le temps de peaufiner, de former, d’ajuster.
Un modèle qui pourrait faire école
Ce qui se passe dans l’Aube n’est pas isolé, mais il a une saveur particulière. C’est un projet 100 % initié par les agriculteurs eux-mêmes. Pas imposé d’en haut, pas subi. Ils ont cherché le partenaire technique, négocié, adapté.
Et ça change tout. Parce que quand c’est l’agriculteur qui décide où placer ses panneaux, comment cultiver entre, et quelle rente il accepte, on n’est plus dans l’opposition stérile « écolos contre paysans ». On est dans la co-construction.
Je ne dis pas que l’agrivoltaïsme est LA solution universelle. Il y aura toujours des terres magnifiques où on n’a aucune envie de voir un panneau, même intelligent. Mais pour les parcelles en difficulté, celles qu’on laissait partir en friche, il offre une seconde vie. Une vie plus résiliente, plus diversifiée, et surtout plus sereine.
Dans dix ans, quand on roulera dans le sud de l’Aube, on verra peut-être ces étranges champs mi-agricoles mi-futuristes. Des blés qui poussent entre des rangées de panneaux, des brebis qui se prélassent à l’ombre, un agriculteur qui récolte ses premières truffes en souriant.
Et on se dira que, parfois, la modernité ne passe pas forcément par plus de chimie ou plus de mécanisation. Parfois, elle passe simplement par un peu plus de soleil.
(Article basé sur des initiatives réelles observées en décembre 2025 dans le département de l’Aube – environ 3200 mots)
