Imaginez-vous au cœur de l’été, sous un soleil de plomb qui écrase les vignes. Les feuilles grillent, les raisins se ratatinent, et le viticulteur regarde son outil de travail souffrir en silence. C’est la réalité que vivent de plus en plus de vignerons dans le sud de la France. Et pourtant, dans les Pyrénées-Orientales, certains sourient : au-dessus de leurs parcelles flottent désormais d’immenses panneaux solaires qui jouent les parasols high-tech. Bienvenue dans l’ère de l’agrivoltaïsme version catalane.
Quand le soleil devient un allié plutôt qu’un ennemi
Je me souviens encore de ma première visite dans un vignoble équipé de ces structures impressionnantes. On se croirait dans un film de science-fiction, sauf que ça marche vraiment. Les panneaux, montés à plusieurs mètres du sol, s’inclinent automatiquement selon la position du soleil ou les besoins de la plante. Un peu d’ombre quand il fait trop chaud, un maximum de lumière quand la vigne en a besoin. Le rêve, non ?
Dans le Roussillon, on ne parle plus de « si » mais de « comment » et « où » installer ces ombrières nouvelle génération. L’approche est pragmatique : chaque projet est étudié au cas par cas. Pas de dogme, pas d’interdiction systématique. Et franchement, quand on connaît les difficultés actuelles de la filière viticole, on comprend pourquoi.
Des chiffres qui parlent plus que les discours
L’été 2025 a été particulièrement révélateur. Pendant que certaines régions pleuraient des pertes de rendement à deux chiffres, des parcelles équipées ont sorti des récoltes qualifiées d’« exceptionnelles » par leurs propriétaires. Comment c’est possible ?
- Température du sol réduite jusqu’à 10 °C sous les panneaux lors des pics de canicule
- Diminution significative des besoins en eau (jusqu’à 20-30 % selon les premières observations)
- Maintien, voire augmentation, du rendement en quantité et qualité
- Production d’électricité vendue au réseau = revenu complémentaire non négligeable
Ces résultats ne sortent pas d’un chapeau. Ils sont mesurés, pesés, comparés. Et ils tombent au moment où la viticulture méditerranéenne encaisse coup sur coup sécheresse, gel tardif, mildiou sous stéroïdes. Bref, tout ce que le changement climatique nous promet pour les années à venir.
« On ne peut plus se permettre de regarder ailleurs. Entre protéger nos vignes et produire de l’énergie propre, je ne vois pas où est le débat. »
Un président de syndicat AOC dans les Pyrénées-Orientales
Une différence de philosophie avec d’autres terroirs
Ce qui frappe, c’est le contraste avec d’autres régions prestigieuses. Certaines appellations, notamment dans la vallée du Rhône, ont choisi la ligne dure : interdiction pure et simple de l’agrivoltaïsme sur leurs parcelles AOC. L’argument principal ? Le paysage. On craint que les panneaux ne défigurent des terroirs historiques, que le « génie du lieu » en prenne un coup.
Dans le Roussillon, on répond sans détour : le génie du lieu, c’est d’abord la vigne vivante. Un paysage de ceps brûlés ou arrachés parce que plus rentables, ça abîme bien plus l’âme d’un terroir que quelques structures discrètes et réversibles. Et puis soyons honnêtes : quand on voit certaines serres ou hangars agricoles qui poussent comme des champignons, on se demande où est la cohérence.
La vraie question, au fond, n’est pas esthétique. Elle est existentielle : comment faire pour que les jeunes reprennent des exploitations dans vingt ans ? Quand les charges explosent et que le prix du raisin stagne, un complément de revenu annuel de plusieurs milliers d’euros par hectare change la donne.
Les nuances qu’on oublie trop souvent
Attention, tout n’est pas rose non plus. L’ombre créée par les panneaux modifie le microclimat. Résultat : il faut redoubler de vigilance sur certaines maladies, le mildiou en tête. L’humidité relative augmente légèrement, et ce champignon adore ça. Mais les viticulteurs qui ont franchi le pas vous diront que c’est un faux problème : on ajuste les traitements, on aère mieux, on surveille. Comme toujours en agriculture.
D’ailleurs, la plupart des installations actuelles concernent des parcelles en IGP plutôt qu’en AOC. Pourquoi ? Plus de souplesse dans le cahier des charges, moins de contraintes administratives. Mais la porte n’est pas fermée pour les appellations prestigieuses. Des dossiers sont à l’étude, avec des panneaux encore plus discrets, plus hauts, plus intégrés.
Un modèle qui pourrait faire école
Ce qui se passe aujourd’hui dans les Côtes-du-Roussillon et les Côtes Catalanes n’est pas une anecdote régionale. C’est peut-être le laboratoire d’une viticulture résiliente de demain. Parce que, soyons lucides, les épisodes extrêmes vont se multiplier. Les assurances grimpent, les aides diminuent, les consommateurs veulent du vin mais pas à n’importe quel prix environnemental.
L’agrivoltaïsme bien conçu coche beaucoup de cases :
- Adaptation concrète au changement climatique
- Production d’énergie décarbonée à grande échelle
- Maintien de l’agriculture sur des terres qui pourraient être tentées par l’artificialisation
- Revenu diversifié pour des exploitations fragilisées
Et contrairement à ce qu’on entend parfois, les panneaux n’empêchent pas le travail mécanique dans les rangs. Les structures sont conçues pour ça. Tracteurs, vendangeuses, tout passe en dessous sans problème.
Et demain ?
La grande question maintenant, c’est l’acceptabilité sociale et paysagère à plus grande échelle. Les premiers retours des touristes ? Plutôt positifs. Beaucoup trouvent ça « moderne », « intelligent », « dans l’air du temps ». Quelques-uns grincent des dents, bien sûr. Mais globalement, le ciel catalan n’a pas perdu son âme.
On voit aussi émerger des projets hybrides : des panneaux qui alimentent directement les chais en électricité, réduisant encore la facture énergétique. D’autres qui intègrent des capteurs pour piloter l’irrigation au plus juste. On n’est plus dans le gadget, on est dans l’outil de gestion complet.
Personnellement, ce qui me frappe le plus, c’est le changement de posture. Il y a dix ans, parler de panneaux solaires dans les vignes relevait de l’hérésie pour beaucoup. Aujourd’hui, dans certaines zones, ne pas s’y intéresser commence à passer pour de l’inconscience. Les temps changent vite.
Alors oui, il reste des questions à régler. Hauteur minimale, distance entre rangées de panneaux, pourcentage de couverture maximale, réversibilité des installations… Tout ça se discute, se peaufine, s’encadre. Mais l’essentiel est là : une solution existe, elle fonctionne, elle est rentable et elle protège nos vignobles. Le reste, c’est du détail technique.
Dans le Roussillon, on a choisi de regarder l’avenir en face plutôt que de s’accrocher à une carte postale figée. Et quelque part, c’est peut-être ça, la plus belle définition du respect du terroir : le transmettre vivant aux générations suivantes, même si pour ça il faut savoir évoluer.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Les panneaux solaires ont-ils leur place au-dessus de nos plus beaux vignobles ? Ou faut-il préserver à tout prix l’image traditionnelle, même au risque de voir des pans entiers de viticulture disparaître ? Le débat est ouvert. Mais une chose est sûre : dans le sud, la révolution verte est déjà en marche.
