Vous souvenez-vous de ce moment où le football, censé unir les peuples, se retrouve encore une fois éclaboussé par des dérives qu’on croyait appartenir au passé ? Hier soir, en scrollant distraitement sur les réseaux, je suis tombé sur une vidéo qui m’a littéralement scotché. Sergio Agüero, l’ancien crack de Manchester City, en train d’exploser de rire. Jusque-là rien d’anormal. Sauf que la blague qui le fait hurler concerne le futur France-Sénégal du Mondial 2026 et charrie de très lourds clichés racistes.
Franchement, j’ai dû remettre la vidéo deux fois pour être sûr d’avoir bien entendu. Et pourtant si.
Quand une simple blague devient un miroir gênant
Le contexte est assez simple. Après le tirage au sort de la Coupe du monde 2026, les deux sélections se retrouvent dans le même groupe. Un beau choc en perspective entre les champions du monde 2018 et les vice-champions d’Afrique. Mais pour certains en Argentine, c’est surtout l’occasion de ressortir les vieilles rengaines.
Un streamer connu dans le milieu argentin lâche, l’air de rien : « Ce sera l’équipe première contre l’équipe réserve ». Sous-entendu limpide : les joueurs noirs des Bleus seraient en réalité des Sénégalais, Camerounais ou Ivoiriens « prêtés » à la France. Agüero, invité du live, part dans un fou rire incontrôlable. Il en pleure presque.
« La primera vs la reserva » – la phrase exacte qui a fait basculer la soirée en terrain glissant.
Le pire ? Tout le monde dans le live trouve ça hilarant. Pas une voix pour dire stop. Pas un malaise visible. Juste des rires en cascade.
Un déjà-vu douloureux
On se dit « encore ? ». Parce que ce n’est pas la première fois. Souvenez-vous de l’été 2024, après la victoire en Copa América. Une vidéo tournée dans le bus des joueurs argentins avait mis le feu aux poudres. Un chant ignoble sur les origines des joueurs français, filmé et partagé par Enzo Fernández himself. Les paroles ? Je vous les épargne, mais vous les connaissez probablement.
À l’époque déjà, la défense était la même : « C’était pour chambrer, pas méchant, on fait ça entre nous dans le vestiaire depuis toujours ». Sauf que quand ça sort, ça fait mal. Très mal.
Et là, quelques mois plus tard, rebelote. Même pays, même cible (l’équipe de France et ses joueurs noirs), même type d’humour douteux. On passe du chant collectif à la blague de salon, mais le fond reste identique.
Pourquoi ça choque autant (et pourquoi ça devrait choquer encore plus)
Parce que derrière la soi-disant « plaisanterie », il y a une négation complète de l’identité française de ces joueurs. Dire que le Sénégal affronte « l’équipe réserve » des Bleus, c’est nier que des gamins nés à Bondy, à Lille ou à Marseille, qui ont grandi avec le maillot bleu, sont français. Point final.
C’est aussi réduire le Sénégal, une grande nation de football, à un simple réservoir de talents pour l’Europe. Comme si les Sadio Mané, Édouard Mendy ou Kalidou Koulibaly n’étaient que des remplaçants en attente d’un passeport français. C’est insultant à tous les niveaux.
- Pour les joueurs français d’origine africaine : on leur rappelle qu’on ne les considère jamais « vraiment » français
- Pour le Sénégal : on minimise son histoire, sa fierté et son niveau
- Pour le football en général : on ramène un sport magnifique à des clichés raciaux éculés
Et quand une légende comme Agüero valide ça de son rire, ça donne une caution terrible.
Le rôle ambigu des légendes retraitées
Depuis qu’il a raccroché les crampons, Kun Agüero s’est reconverti dans le streaming. Il passe ses soirées à jouer, commenter les matchs et inviter des potes. L’ambiance est détendue, parfois potache. On sent qu’il se lâche complètement, loin des caméras officielles.
Mais justement. Quand on a été une icône mondiale, qu’on a gagné la Premier League, la Copa América, qu’on a marqué l’histoire, chaque mot pèse plus lourd. On n’est plus juste « Sergio entre potes ». On reste Sergio Agüero, celui qui a fait vibrer le monde entier.
Et là, le piège se referme. Parce que dans l’entre-soi, on se croit à l’abri. On pense que « c’est juste pour nous ». Sauf que tout est filmé. Tout est public. Et tout peut exploser en quelques heures.
La réaction (ou l’absence de réaction) parle d’elle-même
Au moment où j’écris ces lignes, aucune excuse publique d’Agüero. Pas de story Instagram, pas de tweet, rien. Juste le silence. Et c’est peut-être le plus révélateur.
En 2024, après l’affaire du chant, certains joueurs avaient fini par présenter des excuses (souvent tièdes). Là, même pas ça. Comme si, finalement, ça ne méritait même pas une explication.
Le silence, parfois, en dit plus long que mille justifications bancales.
Et nous, supporters, on fait quoi ?
C’est là que ça devient intéressant. Parce qu’on adore critiquer les joueurs, les fédérations, les instances. Mais nous ? Quand on rit à ce genre de blagues dans les tribunes ou sur WhatsApp, on participe aussi.
J’ai moi-même entendu des « Mbappé camerounais » ou des « on joue contre l’Afrique » dans des bars lors des matchs des Bleus. Et à chaque fois, je me suis tu. Par paresse, par peur de passer pour le rabat-joie de service. Aujourd’hui, je me dis qu’on a tous une part de responsabilité.
Le football ne changera que si on arrête de trouver ça « normal ».
Vers un Mondial 2026 sous tension ?
Imaginez l’ambiance quand France-Sénégal arrivera. Si rien n’est dit d’ici là, si personne ne prend ses responsabilités, ce match risque d’être pourri avant même le coup d’envoi.
D’un côté, des joueurs français qui savent très bien ce qu’on pense d’eux dans certains coins d’Amérique du Sud. De l’autre, une sélection sénégalaise qui n’aura pas oublié qu’on la considère comme une « équipe B ».
On voulait du spectacle sportif. On risque d’avoir un règlement de comptes par maillots interposés.
Il est temps que ça change, vraiment
Le football argentin a un problème avec le racisme anti-noir. C’est une réalité. Ce n’est pas toute l’Argentine, loin de là. Mais c’est suffisamment répandu pour que ça ressorte régulièrement au plus haut niveau.
Et tant qu’on minimisera (« c’est juste une blague », « vous êtes trop sensibles »), rien n’avancera.
Des sanctions ? Peut-être. Des excuses publiques ? Certainement. Mais surtout, une vraie prise de conscience collective. Parce que le football mérite mieux que ça. Les joueurs méritent mieux. Et nous, supporters, on mérite un sport qui nous rende fiers, pas honteux.
Allez, on arrête de rire jaune. Le beau jeu, c’est sur le terrain. Pas dans les blagues pourries.
(Article écrit le regard encore un peu éccœuré, mais avec l’espoir que demain sera différent.)
