Imaginez un instant être adolescent, déjà pas simple, et vous retrouver hospitalisé plusieurs semaines, parfois plusieurs mois, loin de vos copains, de l’école, de tout ce qui fait une vie « normale ». Ajoutez à cela des troubles psychiques qui vous coupent du monde. Et si, au milieu de ce tunnel, quelqu’un venait vous tendre une main autrement qu’avec des médicaments ? C’est exactement ce que fait, depuis des années, une petite association dans l’Aube.
Je suis tombé sur leur histoire presque par hasard, et franchement, ça m’a bouleversé. On parle beaucoup de santé mentale chez les jeunes aujourd’hui, mais on voit rarement ce qui se passe vraiment derrière les portes des services de pédopsychiatrie. Alors j’ai voulu comprendre, et surtout partager.
Quand l’école et l’art deviennent des médicaments sans ordonnance
L’association s’appelle l’École des Enfants Malades de l’Aube. Le nom peut paraître un peu vieillot, mais le combat est ultra-moderne. Leur mission ? Faire en sorte qu’aucun enfant ou adolescent malade ne décroche complètement de la scolarité, et surtout, qu’il garde un lien avec la joie de vivre.
Cette année, leurs chiffres parlent d’eux-mêmes : plus de 3 600 heures de bénévolat, une trentaine de jeunes suivis individuellement pour leurs cours, et plus de 200 bénéficiaires d’ateliers lecture ou artistiques à l’hôpital. Des chiffres qui cachent des sourires retrouvés, des notes qui remontent, des familles qui respirent un peu.
Le défi des vacances scolaires : le moment où tout peut basculer
Le plus gros problème ? Les vacances. Quand les profs de l’Éducation nationale ne peuvent plus intervenir à l’hôpital, les jeunes se retrouvent parfois livrés à eux-mêmes dans leur chambre ou dans le service. C’est là que l’association veut frapper fort : proposer des activités toute l’année, y compris l’été et pendant les petites vacances.
Mais pour ça, il faut de l’argent. Et là, c’est la douche froide. Les subventions publiques se raréfient, les collectivités serrent la vis, et l’association tourne essentiellement grâce à la générosité privée et au travail acharné de ses deux permanentes et de ses 80 bénévoles.
« On a toujours besoin de bénévoles, et oui… on a aussi besoin d’argent. Mais on n’ose même plus le dire trop fort, on a peur de passer pour des mendiants. »
– La présidente de l’association, avec un sourire fatigué
« Jouons le Je » : l’atelier qui change tout
Parmi les projets les plus touchants, il y a cet atelier baptisé Jouons le Je. Une artiste professionnelle intervient une fois par semaine auprès d’adolescents hospitalisés en pédopsychiatrie. Pas de théâtre classique, non. Ici on mélange danse, chant, langue des signes, expression corporelle… tout ce qui peut aider ces jeunes à réhabiter leur corps et leur voix.
L’intervenante m’a expliqué simplement : « Quand ils arrivent, beaucoup sont voûtés, parlent à peine, évitent le regard. Après quelques séances, je vois des épaules qui se redressent, des voix qui portent, des sourires qui apparaissent. C’est… magique, mais tellement fragile. »
Ce qui me marque le plus, c’est que ces ateliers ne se passent pas dans le service lui-même, mais dans un espace à part, hors du contexte médical. Un sas de liberté. Les jeunes viennent en pyjama ou en jogging, sans blouse, sans soignant derrière eux. Et là, ils ne sont plus « des patients », juste des ados qui créent.
- Ils apprennent à occuper l’espace avec leur corps
- Ils osent parler fort, chanter faux, rire de travers
- Ils recréent du lien dans un petit groupe de 6-8 maximum
- Ils sortent de l’isolement que la maladie mentale impose souvent
Les soignants le confirment : ces moments complètent parfaitement le travail thérapeutique. Un cadre de santé me disait : « On voit des jeunes qui refusent toute activité individuelle accepter de venir à l’atelier collectif. C’est une petite victoire à chaque fois. »
Des sapins de Noël en vieux livres et des anges en papier
À côté de l’atelier professionnel, il y a aussi les interventions bénévoles. Tous les quinze jours, deux bénévoles débarquent avec des valises pleines d’idées. Récemment, une ancienne animatrice est arrivée avec des vieux livres de poche et a proposé de fabriquer… des sapins de Noël et des petits anges en papier.
Elle rit encore en racontant : « Certains traînent des pieds, sortent de la sieste, grognent parce qu’on leur a pris leur portable. Mais cinq minutes après, ils découpent, collent, décorent… Et quand ils repartent, j’ai droit à des « Merci, c’était trop bien ! ». Ça vaut tout l’or du monde. »
Ces petits riens sont en réalité immenses. Parce que pour un jeune en crise, réussir à terminer un bricolage, à l’offrir à sa maman ou à le garder dans sa chambre, c’est une preuve qu’il est encore capable de créer du beau.
Le nerf de la guerre : l’argent et les bras
Malgré l’enthousiasme, la réalité rattrape vite. L’artiste qui anime Jouons le Je est rémunérée – et c’est normal – mais son poste est précaire. Les deux permanentes qui coordonnent tout (démarches administratives, lien avec les familles, planning des bénévoles, recherche de fonds) voient leurs charges augmenter chaque année.
Et puis il y a tous les petits frais : matériel artistique, déplacements des bénévoles, assurance, location de salles… Ça chiffre vite. L’association cherche donc activement :
- Des mécènes ou entreprises prêtes à s’engager sur plusieurs années
- Des dons défiscalisés (66 % pour les particuliers, 60 % pour les entreprises
- Des bénévoles, même quelques heures par mois
- Des idées neuves pour développer les activités pendant les vacances
La présidente le dit sans détour : « La jeunesse a besoin d’être aidée et accompagnée. Je ne lâcherai pas. » Et quelque chose me dit qu’elle ne lâchera vraiment pas.
Et nous, on peut faire quoi ?
Peut-être que vous habitez dans l’Aube et que vous avez deux heures par mois. Peut-être que votre entreprise cherche une cause à soutenir avant la fin de l’année. Ou peut-être que vous avez simplement envie de partager cet article pour que d’autres découvrent ce travail de l’ombre.
Parce que derrière chaque heure de bénévolat, chaque euro donné, il y a un ado qui va oser parler un peu plus fort, une famille qui va souffler un peu, un avenir qui se dessine moins sombre.
Et franchement, dans le monde tel qu’il va en ce moment, ça fait un bien fou de savoir que des gens se battent encore pour ça.
Si cet article vous a touché, n’hésitez pas à le partager. Parfois, une petite goutte fait déborder le vase… dans le bon sens.
