Vous souvenez-vous de ce frisson collectif, cet été 2024, quand les lumières du Stade de France se sont tamisées et que les premières notes de Sexy Boy ont envahi l’air ? Moi oui. Et je parie que, comme moi, vous n’avez pas tout de suite compris ce qui se passait quand une silhouette a littéralement sauté du toit. Tom Cruise, évidemment. Mais derrière cette séquence devenue virale en quelques minutes, il y avait deux Français un peu sonnés, claviers entre les mains, qui se demandaient s’ils rêvaient. Nicolas Godin et Jean-Benoît Dunckel, plus connus sous le nom d’Air, ont accepté de revenir sur cette soirée complètement dingue.
Quand Air devient la bande-son du passage de flambeau olympique
Reprenons depuis le début. L’idée n’est pas venue comme ça, un matin de hangover post-festival. Non, tout a commencé bien avant, presque par hasard. Le directeur artistique des cérémonies cherchait une identité sonore française, élégante, intemporelle, un peu rêveuse. Quelqu’un a glissé Moon Safari dans la playlist. Et là, magie : tout le monde s’est dit que c’était exactement ça, l’esprit qu’on voulait pour dire au revoir à Paris et bonjour à Los Angeles.
« On a reçu un mail un peu bizarre, raconte Nicolas Godin en rigolant. Genre : « Est-ce que vous seriez partants pour jouer à la clôture des JO ? » On a cru à une blague. Puis un deuxième mail, plus officiel. Et un troisième avec le planning. Là, on a compris que c’était sérieux. »
La pression ? Énorme. L’excitation ? Encore plus.
156 concerts dans les jambes avec la tournée Moon Safari réorchestrée, les deux hommes n’étaient pas vraiment des novices de la scène. Mais là, c’était autre chose. 80 000 personnes dans le stade, des milliards devant leur télé, et une setlist réduite à l’essentiel : trois morceaux maximum, pas une seconde de trop.
« On nous a dit : vous avez dix minutes pour résumer vingt-cinq ans de carrière. Bonne chance les gars. »
Jean-Benoît Dunckel
Ils choisissent La Femme d’argent en ouverture, Sexy Boy évidemment, et Kelly Watch the Stars pour refermer. Des versions légèrement rallongées, avec cordes et vents enregistrés en amont, parce que sur place, impossible d’avoir un orchestre complet.
Et puis arrive… Tom
C’est là que tout bascule dans le délire. Pendant les répétitions, personne ne leur parle du cascadeur hollywoodien. Secret défense absolu. Ils savent juste qu’il y aura « une intervention spectaculaire » après leur prestation. Point.
Le soir J, ils jouent. Le public hurle. Les lumières bleues et roses de Moon Safari envahissent le stade. Et soudain, au moment suspendu : les dernières notes s’éteignent, les projecteurs se braquent vers le toit… et Tom Cruise apparaît, harnais, drapeau olympique, sourire Ultra Brite, et se laisse glisser jusqu’à la scène en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire.
« J’étais en train de ranger mon câble et je vois ce truc noir qui tombe du ciel. J’ai cru à un problème technique. Et là : Tom Cruise qui atterrit à trois mètres de nous, nous fait un check et repart en courant chercher sa moto. On est restés comme deux idiots avec nos synthés. »
Nicolas Godin
Le plus fou ? L’acteur les a salués rapidement en coulisses après son numéro. « Super cool, hyper respectueux. Il connaissait même les paroles de Sexy Boy. On a fait une photo tous les trois, mais elle est quelque part dans les archives des JO, on ne l’a jamais revue », sourit Jean-Benoît.
Le Grand Palais, point final d’une aventure de deux ans
Quelques mois plus tard, le duo boucle sa tournée là où tout a commencé pour eux dans les années 90 : Paris, sous verre. Le Grand Palais, fraîchement rénové, verrière éclatante, 40 musiciens classiques autour d’eux pour une version symphonique totale de Moon Safari. Ultime date après Tokyo, Mexico, Londres, Coachella, Primavera…
- Plus de 300 000 spectateurs en tout sur la tournée
- Une setlist jouée dans l’ordre exact de l’album, sans jamais dévier
- Des larmes dans le public à chaque Alone in Kyoto
- Et un duo qui avoue être « un peu triste que ça s’arrête »
Mais pas de panique : ils ne raccrochent pas les claviers. « On va continuer à faire des concerts, promet Nicolas. Juste pas 156 en deux ans. Là, on a besoin de dormir un peu. » Quant à un nouvel album ? « On y pense. Mais pas tout de suite. On veut que ça vienne naturellement. »
Pourquoi Air reste une exception française
Ce qui frappe, quand on les écoute parler, c’est leur humilité. Vingt-cinq ans après Moon Safari, ils continuent de s’étonner que des gamins de vingt ans viennent les voir en criant les paroles par cœur. Ils parlent de leur musique comme d’un « accident heureux », d’une parenthèse rêveuse dans un monde qui va trop vite.
Et pourtant, cet album a défini une esthétique. Sofas blancs, moquette épaisse, néons roses, voyages spatiaux en apesanteur : toute une génération a grandi avec ces images en tête. Sofia Coppola en a fait la BO de ses films. Des séries entières s’en sont inspirées. Même Kanye West est venu sampler La Femme d’argent sans trop demander la permission (l’histoire s’est bien terminée).
Aujourd’hui, Air fait partie de ces rares groupes français que le monde entier associe immédiatement à Paris sans passer par la case « accordéon-tour Eiffel ». Avec Daft Punk (en pause indefinite), ils sont les derniers représentants d’une French Touch élégante, mélancolique, cinématographique.
Ce que la clôture des JO nous dit de la France en 2024
Il y a quelque chose de profondément symbolique dans le fait d’avoir choisi Air pour passer le relais à Los Angeles. D’un côté, la douceur française, l’élégance un peu désuète, le raffinement. De l’autre, le show à l’américaine, l’action, le blockbuster. Tom Cruise qui saute, Air qui rêve. Yin et yang.
Et au milieu, nous. Ceux qui avons vibré quand les deux univers se sont rejoints pendant quelques secondes magiques, sous les étoiles de août. Preuve que la France sait encore faire rêver grand, sans renier sa douceur.
Alors oui, le Grand Palais ce soir-là marquera la fin d’une tournée exceptionnelle. Mais quelque part, grâce à ces dix minutes olympiques devenues cultes, Air vient d’écrire un nouveau chapitre supplémentaire dans sa légende. Et nous, on a juste envie de dire : merci les gars. Pour la musique. Pour le rêve. Et pour avoir rendu Tom Cruise un peu français, le temps d’un saut.
PS : Si vous étiez au Stade de France ce soir-là, ou simplement devant votre télé, racontez-nous votre souvenir le plus marquant en commentaire. Parce que des moments comme ça, on n’en vit pas tous les jours.
