Il y a des familles où l’on se déchire pour un vieux service en argent. Et puis il y a les Delon.
Quand une légende du cinéma français s’éteint, on s’attend à des hommages, des rétrospectives, des larmes sincères. On n’imagine pas forcément que quatre mois plus tard ses enfants se battent devant les tribunaux français et suisses pour savoir qui a le droit de porter son nom ou de vendre la maison où il repose. Pourtant c’est exactement ce qui est en train de se passer.
Un testament qui change tout… ou presque
L’histoire commence comme tant d’autres successions de stars : un premier testament équilibré, puis un second qui concentre presque tout entre les mains d’un seul enfant. En 2005 l’acteur avait tout prévu de façon plutôt claire :
- 50 % pour sa fille Anouchka
- 25 % pour Anthony, l’aîné
- 25 % pour Alain-Fabien, le cadet
Une répartition qui semblait juste, surtout pour le benjamin qui répète aujourd’hui qu’elle correspondait aux « véritables dernières volontés » de son père. Problème : entre 2022 et 2023 deux nouveaux actes vont tout bouleverser.
D’abord Anouchka devient l’unique détentrice du droit moral sur le nom Delon – comprendre : elle seule peut autoriser ou refuser l’utilisation de l’image et du nom de son père à l’avenir. Ensuite elle reçoit 51 % des parts de la société qui exploite commercialement ce même nom. Résultat ? Elle contrôle à la fois l’honneur et l’argent que rapporte encore la légende.
Le jour où tout a basculé
Alain-Fabien, 31 ans, père depuis peu, costume anthracite et regard fatigué, a choisi la radio pour raconter sa version. Et le récit glace le sang.
Ils l’ont sorti de la clinique, emmené chez un notaire, fait signer des papiers très importants, puis ramené à la clinique.
Alain-Fabien Delon
Nous sommes en novembre 2022. L’acteur, qui a subi un grave AVC en 2019, vit entre la Suisse et Douchy. Selon son plus jeune fils, il rate tous les tests cognitifs depuis des années – même le fameux test de l’horloge où il faut placer les aiguilles à 11 h 10. Les médecins auraient même recommandé une mesure de protection.
Pourtant c’est précisément à cette période que les documents décisifs sont signés. Coïncidence ? Alain-Fabien n’y croit pas une seconde. Il parle d’un père « vulnérable », parfois « mielleux » – un adjectif qui ne colle pas avec le caractère bien trempé qu’on lui a toujours connu.
« Si c’était une question d’argent, j’aurais déjà mon pognon »
Cette phrase, lâchée presque en passant, résume tout. Le cadet assure qu’il ne se bat pas pour les millions – estimés à 25 millions d’euros après impôts. Il répète qu’il pourrait déjà avoir « touché » si tel était son but. Non, ce qui le met hors de lui, c’est l’idée que quelqu’un ait pu profiter de la faiblesse de son père.
Et il ne mâche pas ses mots envers les exécuteurs testamentaires : avocat historique, gestionnaire de fortune, notaire genevois… Il les accuse de vouloir « vendre Douchy », la propriété du Loiret où Alain Delon a choisi d’être enterré auprès de ses chiens. Pour lui ces « gens véreux » n’ont aucun respect pour la mémoire de son père.
Une fratrie en trois actes
Reprenons les personnages, parce qu’on s’y perd parfois.
- Anthony, 60 ans, fils de Nathalie Delon, le plus médiatique ces dernières années, celui qui avait porté plainte pour abus de faiblesse contre Anouchka dès 2023.
- Anouchka, 34 ans, fille de Rosalie van Breemen, la préférée, celle qui vivait près de son père en Suisse ces dernières années.
- Alain-Fabien, 31 ans, même mère qu’Anouchka, le « petit dernier », longtemps tenu à distance, mais qui s’était beaucoup rapproché de son père avant sa mort.
Les deux garçons contre la fille. Ou plutôt : les deux garçons qui estiment avoir été déshérités au profit de la sœur. L’équation est brutale.
La Suisse, terrain de la dernière bataille
Pourquoi la Suisse ? Parce que la société qui gère le nom Delon y est domiciliée et que le dernier testament a été passé là-bas. Alain-Fabien vient donc de saisir un tribunal helvète pour demander la suspension de l’exécution du testament et invoquer l’indignité successorale d’Anouchka – autrement dit : chercher à la priver de tout ou partie de l’héritage pour faute grave.
En France il a déjà engagé une procédure pour faire annuler purement et simplement le testament de 2022-2023. Double front, double risque, double dépense aussi. Mais le message est clair : il ira jusqu’au bout.
Ces successions qui finissent toujours mal
On a vu ça avec Johnny Hallyday, avec Maurice Jarre, avec Jean-Luc Delarue… Dès qu’il y a un nom, une image, une marque, les enfants deviennent soudain des actionnaires. Et l’amour filial passe après le contrat.
Mais le cas Delon a quelque chose de particulièrement douloureux. Parce que l’acteur avait toujours cultivé une image de père absent mais charismatique. Parce qu’il avait lui-même rompu avec son propre père très tôt. Parce qu’il répétait qu’il voulait être enterré avec ses chiens, pas avec des hypocrites.
Et voilà qu’aujourd’hui ses enfants se battent pour savoir qui a le droit de décider où et comment son image vivra après lui.
L’image d’une légende écornée ?
Certains reprochent à Alain-Fabien de salir la mémoire de son père en révélant ses moments de faiblesse, ses trous de mémoire, ses changements de caractère. Sa réponse est cinglante :
Mon père, il ne m’a pas attendu pour abîmer son image. Il l’a fait tout seul quand il parlait des positions sexuelles des uns ou quand il fréquentait l’extrême droite.
Touché. L’acteur n’a jamais été un saint et n’a jamais prétendu l’être. Peut-être que, quelque part, cette guerre familiale sans merci est la plus fidèle des hommages : un mélodrame à la hauteur de ses plus grands films.
Et maintenant ?
Les procédures vont durer des années. Les avocats vont se gaver. Les journalistes vont continuer à se régaler. Et quelque part dans le Loiret, dans le silence de Douchy, un homme repose auprès de ses bêtes, probablement effaré de voir ses enfants rejouer Le Guépard version réalité.
Une chose est sûre : tant que cette affaire ne sera pas réglée, le nom Delon continuera de faire la une. Pas pour un nouveau film, pas pour un hommage, mais pour un règlement de comptes familial.
Triste épilogue pour le Samouraï ? Peut-être. Mais aussi, paradoxalement, la preuve qu’il reste une immense star : même mort, il fait encore trembler les tribunaux et les cœurs.
Et vous, qu’en pensez-vous ? L’argent corrompt-il toujours les plus belles histoires familiales, ou est-ce simplement la nature humaine qui reprend ses droits quand la caméra s’éteint ?
