Imaginez un gamin de 11 ans qui boucle son sac à dos, dit au revoir à sa famille et part seul à travers trois pays, sans parler un mot de la langue du pays où il rêve d’arriver. C’est presque un scénario de film, et pourtant c’est la réalité d’Aliyan.
Aujourd’hui, à quelques jours de ses 18 ans, il brandit avec une fierté tranquille sa médaille de meilleur apprenti électricien départemental puis régional d’Île-de-France. Et franchement, quand on connaît le chemin parcouru, on se dit que certains parcours forcent le respect au point de faire taire pas mal de discours fatigués sur l’immigration.
Un départ à onze ans, seul
Tout commence dans un petit village du Punjab pakistanais. La situation familiale est compliquée, les perspectives quasi nulles. Un ami de son père propose de l’aider à rejoindre l’Europe. Aliyan n’hésite pas longtemps.
À peine plus haut qu’une table, il traverse l’Iran à pied et en camion, puis la Turquie. Trente jours en prison là-bas – oui, vous avez bien lu, trente jours pour un enfant de cet âge. Ensuite la Grèce, les camps, les traversées en bateau où la peur vous colle à la peau. Un an et demi de voyage au total.
Quand il pose enfin le pied en France en 2021, il a 13 ans, ne parle pas un mot de français et porte sur les épaules une fatigue que beaucoup d’adultes n’imaginent même pas.
Premiers pas en France : l’apprentissage de tout
Comme des milliers de mineurs non accompagnés, il passe par l’Aide sociale à l’enfance. Foyer, école de rattrapage, cours intensifs de français. Là où certains abandonnent ou se découragent, Aliyan, lui, avale les heures de cours comme s’il rattrapait le temps perdu.
En quelques mois il parle, lit, écrit. Pas parfaitement, mais suffisamment pour se faire comprendre et surtout pour comprendre ce qu’on attend de lui. Et ce qu’il veut, lui, c’est simple : travailler de ses mains et construire quelque chose de solide.
« Je voyais les électriciens dans mon village, ils avaient toujours du boulot, ils étaient respectés. Je me suis dit : pourquoi pas moi ? »
Cette phrase, il l’a répétée à ses professeurs, à ses éducateurs, à tous ceux qui pouvaient l’aider à trouver une formation. Et ça a marché.
Le choix de l’apprentissage : la voie royale
En 2023, il intègre un CFA spécialisé dans les métiers du bâtiment. CAP électricité en deux ans, rythme alternance. L’entreprise qui l’accueille le prend d’abord en stage d’observation, puis lui propose directement un contrat d’apprentissage. Ils ont vu tout de suite le sérieux du gamin.
- Arrivée à 6 h 30 sur les chantiers, jamais en retard
- Questions précises, prise de notes maniaque
- Volonté d’apprendre même les tâches les plus ingrates
- Respect des consignes de sécurité au millimètre
Ses formateurs le disent sans détour : « On en voit passer des apprenants, mais un comme lui, c’est rare. » Rare parce qu’il bosse comme s’il n’avait pas de plan B. Et en réalité, il n’en a jamais eu.
La consécration : meilleur apprenti départemental, puis régional
Lorsque les résultats tombent, c’est presque une évidence pour ceux qui le connaissent. Aliyan rafle le titre départemental dans le Val-d’Oise, puis le titre régional Île-de-France, catégorie électricité.
Les épreuves ? Des heures de pratique sur des tableaux complexes, des schémas à réaliser de tête, des questions théoriques pointues. Il termine avec des notes qui frôlent la perfection. Le jury reste scotché.
« Il a une logique dans le câblage qu’on voit chez des compagnons expérimentés, pas chez un apprenti de première année. »
Un membre du jury, encore impressionné plusieurs jours après
Derrière les médailles, une intégration qui fonctionne
On entend souvent que l’intégration est compliquée, parfois impossible. L’histoire d’Aliyan montre que quand on met les moyens – prise en charge sérieuse des mineurs, accès rapide à la langue et à la formation professionnelle – les résultats peuvent être spectaculaires.
Parce que oui, il a bénéficié d’un accompagnement. Mais cet accompagnement, beaucoup de jeunes le reçoivent aussi. Ce qui fait la différence, c’est sa détermination absolue. Et là, personne ne peut la lui offrir : elle vient de l’intérieur.
Aujourd’hui il a sa carte d’identité française, un CDI qui l’attend à la fin de son CAP, et des projets plein la tête : brevet professionnel, puis peut-être création d’entreprise. Il sourit quand on lui demande s’il reviendra un jour au Pakistan.
« Peut-être pour les vacances, pour voir la famille. Mais ma vie, elle est ici maintenant. »
Et nous, qu’est-ce qu’on en retire ?
Franchement, cette histoire me touche particulièrement. Parce qu’elle rappelle une évidence qu’on a parfois tendance à oublier dans les débats enflammés : derrière les chiffres et les statistiques sur l’immigration, il y a des destins individuels. Certains galèrent, c’est vrai. D’autres, comme Aliyan, saisissent la perche tendue et la transforment en tremplin.
On peut toujours discuter des politiques migratoires, des quotas, des contrôles aux frontières. Mais quand un gosse de 11 ans traverse la moitié d’un continent pour venir étudier et travailler chez nous, et qu’il devient en quelques années l’un des meilleurs dans son domaine… eh bien, ça mérite au minimum qu’on s’arrête deux secondes pour applaudir.
Aliyan fête ses 18 ans dans quelques jours. Il y a fort à parier que ce sera l’un des plus beaux anniversaires de sa vie. Et quelque part, c’est aussi un peu le nôtre : la preuve qu’une société qui mise sur l’éducation et le travail peut encore transformer des parcours brisés en histoires magnifiques.
Alors bravo, Aliyan. Et merci de nous rappeler que le talent et la volonté n’ont pas de nationalité.
PS : Si vous croisez un jeune apprenti électricien ultra-motivé sur un chantier en Île-de-France, avec une fine moustache et un sourire discret, dites-lui bonjour de ma part. Il a déjà fait plus en 17 ans que beaucoup en une vie entière.
