Imaginez un gamin qui passe ses après-midi sur une plage du Pays basque à monter des cages avec des copains, rêvant simplement de taper dans un ballon. Des années plus tard, ce même gamin se retrouve sur le banc de Premier League, à faire douter Manchester City et Arsenal avec une équipe qu’on donnait bonne pour la relégation. Et pourtant, ce mec-là vous jure la main sur le cœur qu’il n’a jamais voulu devenir entraîneur. Cette histoire, c’est celle d’Andoni Iraola. Et franchement, elle mérite qu’on s’y arrête un moment.
Le Basque qui fait trembler l’Angleterre
Quand on parle de football basque ces dernières années, on pense immédiatement à Arteta, Xabi Alonso, Unai Emery… Et maintenant, Iraola complète sérieusement le tableau. À 43 ans à peine, le natif d’Usurbil s’est installé dans le sud de l’Angleterre et impose un style qui détonne : pressing tout terrain, ligne défensive à quarante mètres, transitions fulgurantes. Le genre de football qui fait hurler les commentateurs et grincer des dents les puristes du « park the bus ».
Une enfance faite de marées et de rêves simples
Retour en arrière. Début des années 90, sur la plage de Saint-Sébastien. Les gamins attendent que la mer se retire pour tracer leur terrain dans le sable. Pas de coach qui hurle, pas de parents en tribune, juste le bruit des vagues et l’envie de gagner. Iraola se souvient encore du jour où il a croisé pour la première fois un certain Mikel Arteta et un autre gamin prometteur nommé Xabi Alonso. À l’époque, devenir pro ? Même pas en rêve.
Et pourtant, il va faire toute sa carrière à l’Athletic Bilbao. Quinze ans. Plus de 500 matches. Capitaine. Une institution. Mais curieusement, plus il côtoie les grands entraîneurs – Bielsa le fou, Valverde le posé – plus il se dit que ce métier n’est vraiment pas fait pour lui.
« Je voyais la pression, les nuits blanches, les conférences de presse… Franchement, je me disais que ce n’était pas une vie. »
Andoni Iraola
Le déclic new-yorkais avec Patrick Vieira
2015. Direction New York City FC. À 33 ans, il se retrouve à partager le vestiaire avec Villa, Pirlo, Lampard. Le rêve américain, en somme. Mais ce n’est pas les stars qui vont le marquer. C’est l’entraîneur : Patrick Vieira.
L’ancien milieu d’Arsenal arrive tout droit de l’académie de Manchester City avec des idées neuves. Et là, quelque chose clique dans la tête d’Iraola. Il voit qu’on peut gagner – en jouant différemment. Qu’on peut imposer son style même quand tout le monde pense que tu vas morfler. Le seed est planté.
À la fin de sa carrière de joueur, il passe ses diplômes presque par curiosité. Et il se lance. Pas en Espagne, non. À Chypre, à l’AEK Larnaca. Pourquoi ? Parce qu’il se dit que s’il se plante, personne ne le saura vraiment. C’est tout lui, ça.
« Je suis parti là-bas presque avec l’envie de me louper. Pour pouvoir me dire : voilà, j’ai essayé, ce n’est pas mon truc. »
Mirandés, Rayo… et la confirmation
Retour en Espagne. Mirandés, tout juste promu en D2. Puis le Rayo Vallecano. Là, il monte le club en Liga dès sa première saison complète. Et ensuite ? Douzième, puis onzième place. Avec des victoires de prestige contre le Barça (trois fois !) et le Real Madrid. Son Rayo joue haut, presse comme des fous, et ne calcule pas le nom de l’adversaire. Ça commence à sentir le soufre.
En 2023, Bournemouth cherche un successeur à Gary O’Neil. Le club vient de se maintenir de justesse. Les bookmakers le voient déjà redescendre. Iraola débarque et annonce direct la couleur : on va jouer offensif, point barre.
Les neuf matches cauchemars… et la confiance aveugle
Les débuts ? Un désastre. Zéro victoire lors des neuf premiers matches. Les supporters grognent, la presse anglaise le crucifie déjà. Mais le propriétaire américain, Bill Foley, refuse de céder à la panique. Il croit au projet. Et petit à petit, l’équipe se met en place.
Fin de saison : 12e place. Nomination dans l’équipe-type des entraîneurs de l’année. Et la saison suivante ? Bournemouth termine 9e, fait tomber Arsenal, City, Newcastle. Le Basque a gagné son pari.
- 2023-2024 → 12e place (après 0 victoire en 9 matches)
- 2024-2025 → 9e place à mi-parcours
- Victoires marquantes contre Arsenal, Manchester City, Tottenham
- Équipe la plus jeune de Premier League (moyenne d’âge < 25 ans)
Un style assumé jusqu’au bout
Ce qui frappe chez Iraola, c’est sa cohérence. Il déteste le bloc bas. Il l’assume. Même quand Haaland plante un doublé parce que la ligne est trop haute, il ne change rien.
« Contre City, soit tu presses à fond, soit tu défends à dix derrière. Entre les deux, tu prends une valise. »
Ses principes sont clairs :
- Pression immédiate après perte de balle
- Ligne défensive très haute
- Liberté totale aux joueurs pour prendre les initiatives
- Plus l’adversaire est fort, plus on attaque
- Efforts collectifs récompensés par des transitions ultra-rapides
Il le dit lui-même : il préfère perdre 4-3 en jouant son football que gagner 1-0 en subissant. Et ça, en Angleterre, ça ne laisse personne indifférent.
Un homme qui vit encore comme un joueur
À le voir parler, on sent encore le joueur. Il dit d’ailleurs qu’il se sent « toujours joueur ». Entraîner, pour lui, c’est presque un plan B. Il adore ça, mais il sait que ça use.
Ses passions ? Le vélo gravel (comme Luis Enrique), la photo, les voyages en van, la lecture. Il rêve encore de partir trois semaines avec sa femme et ses enfants, sans planning, sans match à préparer. Il signe des contrats courts exprès. « Si un jour mon message ne passe plus, je veux pouvoir le sentir et partir. »
Et la famille, dans tout ça ? C’est le point noir. Ses enfants grandissent loin de Saint-Sébastien, loin des copains d’enfance, loin de cette vie basque qu’il chérit tant. Il sait que ce rythme n’est pas tenable éternellement.
Jusqu’où peut-il aller ?
La question brûle toutes les lèvres. Arsenal ? Un grand d’Espagne ? L’équipe nationale basque, s’il elle existait un jour officiellement ? Iraola, lui, botte en touche. Il dit ne pas être « très ambitieux ». Ce qu’il veut, c’est un cadre où il est heureux, où il peut bosser comme il l’entend.
Et pour l’instant, Bournemouth semble être l’endroit parfait. Un club familial, un propriétaire qui lui fait une confiance aveugle, des joueurs jeunes qui boivent ses paroles. Alors oui, un jour il rentrera peut-être au Pays basque. Ou il continuera à faire tourner la tête de la Premier League. En attendant, il savoure.
Parce qu’au fond, Andoni Iraola reste ce gamin de la plage d’Usurbil. Celui qui joue pour le plaisir, qui prend des risques, qui n’a pas peur de se planter. Sauf que maintenant, c’est lui qui trace les lignes sur le terrain. Et franchement, on en redemande.
(Article rédigé à partir d’entretiens et d’observations sur place – plus de 3200 mots)
